Tout le monde sait qu’un contrat d’emploi à durée indéterminée et un contrat d’emploi à durée déterminée se distinguent par le fait que le premier n’a pas de terme, alors que le second en a un. Par contre, il existe certaines autres distinctions, dont l’une, fondamentale, réside dans le type de dommages que peut réclamer un employé congédié sans motif sérieux.
La récente affaire La récente affaire Bouasse c. Gemme canadienne PA inc.[1] est intéressante sur cette question, en plus de servir de rappel quant à certaines considérations pratiques que doit avoir en tête le conseiller RH dans le cas d’un contrat d’emploi à durée déterminée.
Ainsi, dans cette affaire, des discussions ont lieu entre l’employeur et l’employé, un citoyen français, qui s’entendent verbalement sur l’essentiel des modalités d’un contrat d’emploi. Toutefois, bien que les discussions initiales laissent présager un contrat à durée indéterminée, l’offre d’emploi écrite, vraisemblablement préparée aux fins d’obtention du permis de travail de l’employé, prévoit plutôt une durée initiale de deux ans, à compter de l’obtention du permis, avec possibilité de renouvellement. Cette offre prévoit en outre qu’un contrat d’emploi formel sera établi dans la semaine suivant l’engagement de l’employé et qu’il définira alors de manière précise des objectifs de rendement. Ce contrat n’a cependant jamais vu le jour, malgré les demandes répétées de l’employé. Quelque neuf mois plus tard, l’employeur le rencontre afin de lui manifester son insatisfaction quant à son rendement ainsi que de l’informer que son emploi prendra fin dans un mois.
L’employé poursuit l’employeur en raison de son congédiement sans motif sérieux, notamment afin de recouvrer le salaire dû pour les 14 mois de contrat restants, de même que des dommages de 50 000 $ pour troubles et inconvénients subis. En défense, l’employeur soutient que l’employé a été congédié pour un motif sérieux et que, subsidiairement, même s’il avait été congédié sans un tel motif sérieux, le préavis d’un mois était suffisant dans les circonstances puisque le contrat était, toujours selon l’employeur, à durée indéterminée.
La Cour supérieure en arrive à la conclusion que le contrat d’emploi liant les parties était à durée déterminée, que le congédiement a été fait sans motif sérieux et que l’employé avait donc droit au reliquat du contrat en ce qui concerne le salaire, duquel devaient cependant être soustraits ses revenus au cours de cette période. En outre, la Cour supérieure condamne aussi l’employeur à verser à l’employé un montant global de 5 000 $ pour troubles, inconvénients et dommages moraux.
L’intérêt de cette décision est de quatre ordres.
Dans un premier temps, cette affaire rappelle qu’afin qu’un congédiement pour incompétence ou insuffisance de rendement soit considéré être pour « motif sérieux », l’employeur a le fardeau de démontrer que :
- L’employé connaissait les politiques de l’employeur et/ou les attentes fixées à son endroit;
- Les lacunes de l’employé lui ont été signalées;
- L’employé a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
- L’employé a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
- L’employé a été prévenu que son emploi était en jeu à défaut d’amélioration de sa part.
Dans un second temps, la Cour supérieure rappelle que pour se qualifier de « contrat à durée déterminée », un contrat d’emploi ne doit pas obligatoirement prévoir des dates de début et de fin précises. Il suffit que le point de départ et le point d’arrivée soient déterminables, notamment par la réalisation d’un événement précis. Ainsi, « deux ans à compter de l’obtention du permis de travail » est suffisamment précis et déterminable pour permettre de saisir la durée effective du contrat d’emploi, tout comme son début et sa fin.
Dans un troisième temps, et c’est là le point d’intérêt majeur de cette décision, la Cour supérieure établit clairement une distinction concernant les dommages qu’un employé peut réclamer au moment de la fin de son emploi, sans motif sérieux, selon la nature du contrat d’emploi.
La jurisprudence[2] est claire : dans le cas d’une résiliation sans motif sérieux d’un contrat à durée indéterminée, un employé n’aura le droit à des dommages moraux qu’en cas d’abus de droit de l’employeur au moment de résilier le contrat. En effet, puisque le Code civil du Québec permet à un employeur de résilier unilatéralement le contrat d’emploi à durée indéterminée[3], peu importe la cause, ce ne sera que lorsque la façon de le faire sera fautive que l’employé aura droit à des dommages moraux.
La Cour supérieure établit une nette distinction concernant ces enseignements dans le cas où le contrat de travail est plutôt à durée déterminée. En effet, comme le Code civil du Québec ne permet pas explicitement, dans un tel cas, la résiliation unilatérale du contrat d’emploi sans un motif sérieux, l’employeur qui le ferait néanmoins sera tenu d’indemniser l’employé pour les dommages que celui-ci pourra démontrer avoir subis, qu’ils soient corporels, moraux ou matériels, le tout en application des principes généraux du droit des contrats et de la responsabilité civile contractuelle[4].
Finalement, dans un quatrième temps, l’employeur réclamait de l’employé le remboursement d’une avance partielle sur boni faite en cours d’emploi. La Cour supérieure fait ici un parallèle avec le principe voulant que les avances versées sur commissions ne soient remboursables que lorsque le contrat d’emploi le prévoit clairement. En l’espèce, le même principe s’applique, et si l’employeur avait voulu se réserver le droit de pouvoir être remboursé au cas où le boni n’était ultimement pas accordé, il aurait dû le prévoir expressément au moment de consentir l’avance, ce qui n’était pas le cas.
En conclusion, cette affaire rappelle l’importance du rôle essentiel du conseiller RH à toutes les étapes de la « gestion » d’une relation d’emploi, de manière à minimiser la responsabilité de l’employeur s’il doit mettre un terme à cette relation, plus particulièrement comme en l’espèce, lorsqu’elle est à durée déterminée. Notamment, il est important de bien qualifier dès le départ la nature du contrat d’emploi et d’accorder une attention particulière aux termes utilisés au moment de le rédiger afin de s’assurer qu’ils reflètent bien l’intention des parties. En cours d’emploi, le conseiller RH doit s’assurer que les insatisfactions quant au rendement de l’employé lui soient clairement indiquées et qu’il comprenne qu’éventuellement, son emploi pourrait être en jeu s’il ne remédie pas aux lacunes notées. Le but est qu’au moment de mettre fin avant terme au contrat d’emploi à durée déterminée, il existe bel et bien un motif sérieux démontrable, de manière à minimiser les sommes que l’employeur devrait autrement verser.
Par ailleurs, cette affaire est une bonne illustration de l’importance du choix des mots au moment d’offrir un emploi à un travailleur temporaire étranger. Les parties doivent en effet concilier leur intention qui pourrait tendre vers un contrat à durée indéterminée, alors qu’aux fins d’obtention du permis de travail, une durée est requise au contrat d’emploi. L’employeur avisé devrait donc s’assurer qu’il y a suffisamment de latitude dans les clauses du contrat pour lui permettre de mettre un terme unilatéralement au contrat, peu importe le motif et le moment.
Source : VigieRT, juin 2016.
1 | 2016 QCCS 1263. |
2 | Notamment Standard Broadcastiong Corp. c. Stewart, J.E. 94-1199 (C.A.). |
3 | Article 2091 du Code civil du Québec. |
4 | Articles 1458, 1590 et 1604 du Code civil du Québec. Voir également St-Germain c. Gérard Leblanc, courtier d’assurances ltée, 2012 QCCQ 4932. |