Vous lisez : Les conditions d’octroi de dommages intérêts en cas de congédiement injustifié

Dans une affaire relative à un congédiement injustifié survenu en Ontario, la Cour suprême a rendu le 27 juin dernier une décision lui offrant l’occasion de clarifier certains volets des règles de l’indemnisation dans le contexte de la rupture injustifiée d’un lien d’emploi[1].

En l’espèce, après onze ans de service chez Honda Canada Inc., le travailleur, monsieur Keays a cessé de travailler en raison d’un syndrome de fatigue chronique. Après avoir perçu des prestations d’invalidité pendant deux ans, il est retourné au travail à la suite de la décision de la compagnie d’assurances le déclarant apte à reprendre son emploi. En raison de la fréquence de ses absences, Honda a l’inscrit à un programme de gestion de l’invalidité en vertu duquel il devait remettre, pour chaque absence, un billet médical confirmant que sa déficience justifiait son absence. Les absences croissantes du travailleur et l’ambiguïté des billets médicaux ont conduit Honda à lui demander de rencontrer un médecin spécialiste afin de déterminer comment composer avec sa déficience. Le travailleur a refusé de rencontrer ce médecin si on ne lui expliquait pas au préalable l’objectif, la méthode et les paramètres de la consultation. Honda a refusé de fournir de plus amples renseignements et a prévenu le travailleur qu’à défaut de rencontrer le spécialiste, il serait mis fin à son emploi. Comme il refusait toujours de se présenter à cette expertise, le travailleur a été congédié.

La Cour supérieure de justice de l’Ontario[2] a fait droit à l’action pour congédiement injustifié intentée par le travailleur et lui a octroyé un préavis de quinze mois. Elle lui a également accordé un préavis additionnel de neuf mois en raison « de la mauvaise foi flagrante manifestée par Honda lors du congédiement et des répercussions de cette mesure sur sa santé ». Elle lui a aussi alloué des dommages-intérêts punitifs de 500 000 $, estimant que Honda s’était livrée à de multiples actes de discrimination et de harcèlement.

La Cour d’appel de l’Ontario[3] a confirmé que le congédiement était illégal et maintenu le préavis octroyé en première instance (vingt-quatre mois). Elle a néanmoins réduit les dommages-intérêts punitifs à un montant de 100 000 $.

La Cour suprême, à une majorité de sept juges contre deux, a accueilli le pourvoi formé contre la décision de la Cour d’appel.

La Cour a refusé d’accorder des dommages intérêts liés aux circonstances du congédiement
Compte tenu des critères permettant de déterminer le préavis raisonnable en cas de cessation d’emploi (dont l’ancienneté, l’âge, la nature de l’emploi et la possibilité d’obtenir un nouvel emploi), la Cour suprême a maintenu le préavis de quinze mois accordé par les juridictions inférieures.

La Cour suprême a par ailleurs rappelé que si « la souffrance morale normale causée par un congédiement n’est pas indemnisable », le préjudice moral résultant du comportement inéquitable ou de la mauvaise foi de l’employeur lors du congédiement peut être indemnisé. Selon la Cour suprême, une telle indemnisation doit être faite non pas par l’allongement du préavis, mais par « l’octroi d’une somme dont le montant reflète le préjudice réel ».

En l’espèce, la Cour suprême a annulé le préavis additionnel de neuf mois considérant que Honda n’avait pas agi de mauvaise foi lors du congédiement. Il ne pouvait en effet être reproché à Honda de s’être fié à l’opinion de ses médecins, d’avoir demandé au travailleur de subir une expertise ou d’avoir cherché à obtenir la confirmation de son invalidité. De plus, rien ne prouvait que les circonstances du congédiement étaient la cause de l’invalidité subséquente au renvoi.

La Cour a refusé d’octroyer des dommages-intérêts punitifs
De l’avis de la Cour suprême, l’octroi de dommages-intérêts punitifs est réservé aux affaires dans lesquelles un « acte fautif délibéré est si malveillant et inacceptable qu’il justifie une sanction indépendante ». Ces dommages intérêts sont liés à une conduite répréhensible de l’employeur et ils sont accordés à des fins de réprobation, de dissuasion et de punition.

La Cour suprême, en l’espèce, a annulé totalement l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Elle a considéré que la mise en place d’un programme de gestion de l’invalidité ne peut être « assimilée à l’intention malveillante de faire preuve de discrimination envers des personnes atteintes de certaines affections ». Il appartient en effet à l’employeur de s’assurer du suivi du dossier d’employés qui s’absentent régulièrement. Le comportement de Honda n’est donc ni inacceptable ni scandaleux.

Cet arrêt de la Cour suprême a le mérite d’établir une distinction claire entre les conditions permettant, dans le cas d’un congédiement injustifié, d’octroyer des dommages intérêts compensatoires et des dommages intérêts punitifs. Ainsi, alors que les premiers supposent l’existence d’un comportement inéquitable ou de mauvaise foi de la part de l’employeur lors du congédiement, les seconds exigent en plus un acte délibéré malveillant et inacceptable.

Michel Towner, CRIA, avocat et Sandrine Thomas, avocate du cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l. Me Sandrine Thomas est détentrice d'un permis restrictif du Barreau du Québec en droit du travail et de l'emploi et en droit de la santé et de la sécurité du travail.

Source : VigieRT, numéro 31, octobre 2008.


1 Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 C.S.C. 39.
2 Keays v. Honda Canada Inc., (2005) 40 C.C.E.L. (3d) 258 (On. S.C.).
3 Keays v. Honda Canada Inc., (2006) 52 C.C.E.L. (3d) 165 (On. C.A.).
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