Les principes d’équité dans le cadre d’une relation employeur-employé exigent que les motifs au soutien de l’imposition d’une mesure disciplinaire, telle que notamment le congédiement, soient communiqués à l’employé afin de lui permettre d’évaluer la justesse de cette mesure et, le cas échéant, de s’en plaindre.
Pour les employeurs du domaine public, la procédure entourant l’imposition d’une mesure disciplinaire est généralement encadrée par un processus beaucoup plus structuré que celui de la plupart des employeurs dans le domaine privé. Notamment, les exigences légales ou réglementaires peuvent prévoir la tenue d’une réunion d’un comité exécutif, la possibilité pour un employé dans le cadre de cette réunion de faire valoir ses arguments et sa version des faits et le huis clos (ou non, selon les règles propres à chaque employeur public) pour le délibéré et la prise de décision, laquelle sera ensuite consignée dans une résolution énonçant les grandes lignes de sa justification.
De manière générale, il est acquis pour ces employeurs publics que le délibéré tenu à huis clos menant à l’adoption d’une résolution demeure secret et que le justiciable doit s’en remettre aux motifs énoncés dans la résolution sans que celui-ci ne puisse connaître l’étendue de tous les motifs considérés pour la prise de décision. La jurisprudence faisant état de ces principes que sont le secret du délibéré et l’inconnaissabilité des motifs a toutefois été rendue exclusivement en matière de décisions prises par l’employeur public dans l’exercice de son rôle découlant de la sphère politique ou réglementaire ou lorsqu’il pose des actes de nature publique.
Néanmoins, ce sont précisément ces principes qu’une commission scolaire a tenté d’importer en matière de relations de travail alors qu’elle a imposé un congédiement à l’un de ses enseignants.
En effet, dans l’affaire Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de Laval[1], l’employeur, soit la Commission scolaire de Laval, devait déterminer, conformément aux nouvelles dispositions de la Loi sur l’instruction publique[2], si les antécédents judiciaires d’un enseignant, par ailleurs dévoilés lors de son embauche neuf ans plus tôt, étaient en lien avec ses fonctions et pouvaient justifier son congédiement, le cas échéant.
C’est ainsi que lors d’une séance extraordinaire du comité exécutif tenue à huis clos partiel, l’enseignant et son représentant syndical ont pu faire valoir leurs arguments. Les délibérations du comité exécutif sur la détermination du lien entre les antécédents judiciaires de l’enseignant et ses fonctions se sont toutefois tenues à l’écart de l’intéressé et du public puisqu’elles ont été tenues à huis clos total. La décision du comité exécutif, de même que ses motifs ont été consignés par écrit dans une résolution adoptée à l’unanimité. Ultimement, le comité exécutif a conclu que les antécédents judiciaires de l’enseignant étaient liés à ses fonctions et son contrat de travail a été résilié.
Cette décision a fait l’objet d’un grief syndical, notamment au motif que la procédure prescrite dans un cas de congédiement n’aurait pas été respectée suivant la prétention du salarié.
Devant l’arbitre de grief, le syndicat a assigné à comparaître trois des huit commissaires présents lors de la séance extraordinaire du comité exécutif en précisant que les questions qui leur seraient adressées porteraient notamment sur les délibérations tenues à huis clos, ainsi que sur les motifs ayant mené à la résolution de congédiement du salarié.
C’est dans ce contexte qu’une requête a été présentée par la Commission scolaire de Laval afin de venir circonscrire le témoignage desdits commissaires et ainsi, limiter la nature des informations pouvant être dévoilées quant à la teneur des délibérations tenues à huis clos. L’argument de la non-pertinence des motivations, personnelles ou non, ayant mené à la décision de congédier l’enseignant a également été soulevé comme motif pour limiter l’étendue de l’interrogatoire des commissaires. La Commission scolaire de Laval était d’avis que l’employé concerné disposait de toute l’information dont il avait besoin dans la résolution confirmant son congédiement, cette dernière exprimant ce qui était nécessaire pour expliquer la décision de le congédier. De même, la Commission scolaire de Laval invoquait le principe du secret des délibérés des réunions à huis clos.
Précisons également que la Fédération des commissions scolaires du Québec est intervenue au débat et a elle aussi présenté une requête, laquelle visait toutefois à casser en totalité l’assignation à comparaître des trois commissaires.
L’arbitre de grief a rejeté les requêtes de la Commission et de la Fédération et a conclu que les délibérations tenues à huis clos dans le contexte particulier de cette affaire n’emportaient pas l’application du principe du secret du délibéré. L’arbitre a également précisé que la teneur des délibérations était d’une pertinence certaine lorsqu’il s’agissait de déterminer, comme en l’espèce, si la décision de procéder au congédiement de l’enseignant suivant le lien entre sa fonction et ses antécédents disciplinaires avait fait l’objet de mûres réflexions tel que le prescrivait la convention collective applicable au salarié.
Alors que la Cour supérieure a cassé la décision de l’arbitre, la Cour d’appel est quant à elle venue la rétablir. Cette décision de la Cour d’appel a ensuite été confirmée par la Cour suprême du Canada qui a donc ultimement donné raison à l’arbitre en déclarant que le principe du secret du délibéré de même que l’inconnaissabilité des motifs n’empêchaient pas les trois commissaires d’être contraints à témoigner, sous réserve de la règle de la pertinence. La Cour suprême mentionne « […] que son employeur soit du secteur public ou privé, un salarié est en droit de contester la mesure disciplinaire qu’on lui impose en s’appuyant sur tout élément de preuve pertinent. Cela inclut l’interrogatoire des représentants de son employeur sur les raisons à l’appui de la mesure et sur le processus décisionnel qui y a mené. »[3]
Cette décision a certes un impact sur les employeurs dans le domaine public, de même que sur ceux dans le domaine privé (jusqu’à un certain point), et ce, sur le plan du processus menant au congédiement d’un salarié et, notamment, quant à la connaissance des motifs au soutien de la décision de congédier, même ceux discutés à huis clos. Il faut cependant mentionner que la Cour suprême du Canada en profite pour réitérer les larges pouvoirs des arbitres de griefs en matière d’administration de la preuve.
En outre, la Cour suprême du Canada souligne au passage que l’arbitre, malgré sa décision de permettre le témoignage des commissaires assignés, avait proposé aux parties d’entendre leur témoignage à huis clos, ce qui a toutefois été refusé par toutes les parties. Ce faisant, le débat sur ce moyen interlocutoire portant sur l’administration de la preuve aura duré six ans à lui seul, alors que l’audition devra maintenant reprendre sur le fond quant à la validité du congédiement.
Cela rappelle donc l’importance, tant pour le côté patronal que syndical, de ne pas perdre de vue l’essentiel d’un dossier de grief et d’éviter, dans la mesure du possible, de longs débats, lesquels, bien qu’intéressants quant aux principes, peuvent avoir des effets négatifs sur les personnes concernées ou les relations de travail.
Source : VigieRT, avril 2016.
1 | 2016 CSC 8. |
2 | RLRQ, c. I-13.3. |
3 | Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de Laval, 2016 CSC 8, par. 1. |