La Cour d’appel a récemment répondu à cette question dans l’affaire Jean c. Omegachem inc.[1] en décidant que le refus par un employé de signer en cours d’emploi un engagement de non-concurrence, dont il avait été question à son embauche et qui lui a été présenté pour la première fois trois ans après son entrée en fonction, n’est pas une cause juste et suffisante de congédiement. Ce jugement infirme les deux décisions rendues par la Commission des relations du travail[2] (ci-après « CRT ») ainsi que le jugement émis par la Cour supérieure[3] dans cette affaire.
Les faits
En 2002, le demandeur est embauché par une entreprise qui évolue dans le domaine de la chimie organique et qui fait affaires avec les plus importantes compagnies de l’industrie pharmaceutique au monde.
Un an et demi plus tard, l’entreprise revient avec une nouvelle version de l’engagement de non-concurrence, la durée de l’engagement est réduite à 12 mois, mais elle est maintenant applicable à travers le monde entier. L’employé refusant encore de signer ce document, l’employeur le met en demeure de le faire, alléguant que son refus compromet leur relation de confiance. Il refuse toujours de signer à moins que l’entreprise n’accepte de l’indemniser d’une contrepartie financière, ce qu’elle refuse de concéder.
L’entreprise congédie le demandeur en avril 2007. Au mois de mai suivant, celui-ci dépose une plainte à la Commission des relations du travail conformément à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[4].
La question à laquelle devaient répondre les différentes instances est la suivante : le refus de signer l’engagement de non-concurrence proposé par l’employeur constitue-t-il une cause juste et suffisante de congédiement?
La décision de la CRT
La CRT considère que l’employé a accepté les termes du contrat proposé lors de son embauche, lesquels prévoyaient la signature d’un engagement de non-concurrence, comme condition à son maintien dans l’emploi. L’indemnité financière réclamée par le demandeur ne trouve sa source dans aucune disposition de droit québécois. En refusant de signer l’engagement de non-concurrence, celui-ci viole une condition essentielle de son contrat de travail, ce qui constitue une cause juste et suffisante de congédiement. Cette décision est confirmée par la CRT siégeant en révision administrative.
La Cour supérieure, qui a analysé la question en révision judiciaire, confirme les décisions de la CRT et affirme que celles-ci ont les attributs de la raisonnabilité et appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
La décision de la Cour d’appel
À l’opposé, la Cour d’appel infirme le jugement de la Cour supérieure et casse les deux (2) décisions de la CRT.
À son arrivée en 2002, aucun engagement de non-concurrence n’est présenté à l’employé. Ce n’est qu’en 2005 qu’il est invité à signer un tel engagement. La Cour d’appel est d’avis que pour pouvoir conclure, comme l’a fait la CRT, que le demandeur avait violé une condition essentielle de son contrat de travail, l’engagement de non-concurrence aurait dû lui être présenté au moment de son arrivée, tel que prévu dans sa lettre d’embauche. Selon la Cour d’appel, l’omission par la CRT de prendre en considération ces éléments factuels précis constitue une lacune importante à la justification de sa décision qui affecte le caractère raisonnable de celle-ci.
La Cour d’appel est d’avis que la CRT aurait dû également considérer le formalisme de l’article 2089 du Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q ») qui prévoit notamment qu’une clause de non-concurrence, pour être valide, doit être stipulée par écrit et en termes exprès. Par ailleurs, selon le droit des contrats, une obligation contractuelle, pour être valide, doit être déterminée ou déterminable[5]. Ainsi, l’employé ne pouvait légalement s’engager en ignorant la teneur de l’obligation à laquelle il serait tenu. Selon la Cour d’appel, en omettant de considérer ces dispositions législatives, la CRT faisait une « proposition inacceptable en droit ».
Enfin, la CRT aurait dû considérer la légalité de l’engagement de non-concurrence au regard de l’article 2089 C.c.Q. À sa face même, la deuxième version de cet engagement était problématique en ce qui concerne le territoire qu’elle couvrait, soit « partout à travers le monde ».
Selon l’article 2089 C.c.Q., une clause de non-concurrence est valide si elle est limitée quant au temps, au lieu et au genre de travail visés. Selon la Cour d’appel, on ne saurait donc affirmer qu’une clause est limitée quant au lieu si elle prévoit s’appliquer « partout à travers le monde ».
En outre, la CRT ne pouvait valablement conclure que le refus de l’employé de signer l’engagement de non-concurrence présenté par son employeur, dont la validité était à première vue douteuse, représentait une cause juste et suffisante de congédiement. Que le demandeur ait été d’accord avec la teneur de l’engagement de non-concurrence, moyennant le paiement d’une indemnité, ne remédiait pas à l’illégalité de cet engagement.
Puisque le congédiement d’un employé est un geste comportant de graves conséquences, la Cour explique qu’il n’est possible pour un employeur de mettre fin unilatéralement et sans préavis à un contrat de travail que dans la mesure où il démontre qu’un motif sérieux ou une cause juste et suffisante le justifie de le faire. Or, congédier sans préavis un employé qui refuse de signer en cours d’emploi une clause de non-concurrence, qui lui est présentée pour la première fois trois ans après son entrée en fonction, n’est clairement pas une cause juste et suffisante de congédiement. Si l’entreprise attachait autant d’importance à cet engagement de non-concurrence au point où elle préférait mettre un terme au contrat de travail d’un employé qui refusait de signer cet engagement, elle pouvait le faire à la condition d’indemniser ce dernier.
Commentaires
Ce jugement réitère un principe général de droit des obligations selon lequel une personne ne peut s’engager à fournir une prestation sans en connaître la teneur ou sans que celle-ci ne soit « déterminée ou déterminable ». Ainsi, lorsqu’un contrat de travail contient un engagement de la part d’un employé à fournir une prestation quelconque, cette prestation doit être raisonnablement définie. De plus, cette prestation ne doit pas être contraire à la loi.
Ce litige illustre par ailleurs l’opportunité pour un employeur de prévoir la conclusion d’engagements de non-concurrence et de non-sollicitation dès la signature du contrat d’embauche, soit au début d’une relation contractuelle.
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Source : VigieRT, mai 2012.
1 | 2012 QCCA 232 (C.A.). |
2 | 2009 QCCRT 0076 (CRT) et 2009 QCCRT 0368 (CRT en révision). |
3 | 2011 QCCS 1059 (C.S.). |
4 | L.R.Q., c. N-1.1. |
5 | Article 1373 du C.c.Q. |