Vous lisez : Le point sur les arrêts de production planifiés

Depuis 1968, les relations de travail de l’industrie de la construction sont régies par une loi d’exception. Il s’agit de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction (ci-après « R-20 »).

À l’époque, cette Loi avait été adoptée pour tempérer une industrie aux prises avec une prolifération de requêtes en accréditation et de décrets régionaux. Son entrée en vigueur avait assaini le milieu et permis une concurrence plus saine entre les entrepreneurs. En effet, ceux-ci étant tous assujettis aux mêmes conditions de travail, elle devait dorénavant se faire sur une autre base que sur celle des conditions de travail des travailleurs.

Un des éléments clés de cette Loi était son champ d’application. En effet, comment circonscrire les travaux dits de construction des travaux analogues exécutés en périphérie de cette industrie? Ainsi, au fil du temps, la Loi a été modifiée pour permettre des ajustements à ce chapitre. L’entreprise industrielle ou commerciale embauchant des travailleurs dits de « maintenance » n’a pas la même préoccupation que l’entrepreneur en construction qui participe à des appels d’offres de contrats de maintenance. Il en va de même des conditions de travail des travailleurs qui bénéficient, chez l’entrepreneur industriel, d’une stabilité d’emploi qu’on ne retrouve pas dans l’industrie de la construction.

La Loi a donc prévu des exceptions pour permettre à ces entreprises industrielles et commerciales d’embaucher directement des travailleurs pour exécuter des travaux dits de maintenance[1].

Mais qu’en est-il des travaux d’entretien planifiés exécutés régulièrement dans des entreprises et qui nécessitent le recours à une main-d’œuvre externe pour être réalisés?

L’arrêt de production planifié
Ces arrêts, familièrement connus sous le nom anglais de shut down, ont pour objet l’entretien, la réparation, la rénovation, la modification ou l’installation de machinerie de production qui nécessitent un arrêt de production total pendant un court laps de temps.

Compte tenu de cet arrêt de production et des pertes engendrées par celui-ci, les travaux doivent être exécutés rapidement, et ce, par une main-d’œuvre qualifiée. Ces activités exécutées par des entrepreneurs externes à l’entreprise sont-elles assujetties à la Loi R-20?

La Loi R-20 : La petite histoire
Quelques mois après son entrée en vigueur, au début des années 70, le législateur a adopté un règlement d’application visant la machinerie de production : il s’agit du Règlement numéro 1. Au fil du temps, ce règlement, dont la rédaction a toujours été déficiente, a subi plusieurs modifications et engendré la mise sur pied de plusieurs comités d’étude[2].

La première mouture du Règlement prévoyait que les travaux de montage, de réparation et d’entretien de machinerie de production n’étaient assujettis à la Loi R-20 que si les travaux étaient exécutés par des employeurs de la construction à l’aide de leurs salariés. Ce qui a créé deux catégories d’entreprises : les employeurs professionnels de la construction et les autres entrepreneurs[3]. Pour éviter une concurrence qu’ils jugeaient déloyale, les employeurs professionnels se créèrent des entités organisationnelles n’œuvrant qu’en maintenance, de façon à être exemptés de l’application de la Loi.

Quant à leur main-d’œuvre, composée de mécaniciens de chantier, de tuyauteurs, de calorifugeurs, de chaudronniers, d’électriciens, de soudeurs, etc., elle provenait en majorité de l’industrie de la construction, et les syndicats représentant ces travailleurs exigeaient le maintien des conditions de travail les concernant lors des activités d’arrêts planifiés, et ce, peu importe le statut de l’employeur.

Cette situation s’est maintenue pendant plusieurs années, et il y a eu certaines tentatives des gouvernements pour régulariser la situation.

Parallèlement à ces demandes des syndicats de la construction, des entreprises spécialisées dans la maintenance industrielle ne se qualifiant pas comme « employeur professionnel » se sont développées, elles embauchaient leur propre main-d’œuvre et la formaient.

Le 27 mars 2003, à la suite du rapport d’enquête du Groupe de travail sur la machinerie de production (rapport Mireault), le Règlement fut modifié pour, selon les notes explicatives apparaissant dans le projet de Règlement, « circonscrire les pratiques établies en regard d’une machinerie de production dont l’installation nécessite principalement le recours à une expertise professionnelle qui se trouve dans l’industrie de la construction. »

Il semble donc que le gouvernement voulait adopter une modification législative qui, venant limiter les pratiques établies, ne devait avoir aucun effet dans l’industrie. Ce qui fut dit fut fait! Dès son entrée en vigueur, les intervenants de l’industrie n’ont pu que constater sa rédaction législative déficiente. Elle était alors truffée de conditions visant l’assujettissement à la Loi, lesquelles étaient suivies d’une foule d’exceptions à cet assujettissement hypothétique, ce qui a fait dire à plusieurs intervenants que finalement rien n’avait changé. Deux décisions maîtresses ont même confirmé cette interprétation[4].

La situation actuelle
L’assujettissement volontaire demeure toujours possible pour l’entreprise qui désire utiliser des entrepreneurs professionnels de l’industrie de la construction et des travailleurs de la construction détenteurs de certificat de qualification.

Pour les autres, et ce, de façon générale, on constate que les travaux d’arrêts planifiés de production, qu’ils consistent en des travaux d’entretien, d’installation ou de réparation des équipements de production, ne sont que rarement assujettis à la Loi R-20.

En effet, quel que soit le nom donné aux travaux à être exécutés (entretien, réparation, installation, etc.), le Règlement prévoit que pour être assujettis à la loi ceux-ci doivent nécessiter le recours à une expertise professionnelle qui se trouve principalement dans l’industrie de la construction.

Or, les Tribunaux ont conclu que[5] :

« Pour les métiers principalement impliqués dans les travaux en litige soit le tuyauteur, le mécanicien de chantier, l’électricien, il est évident que l’expertise professionnelle se retrouve tant en construction que hors construction. »

Le Tribunal concluait de la même façon pour les travaux de soudure[6]. En conséquence, les travaux d’entretien et de réparation exécutés pendant les périodes d’arrêts planifiés ne sont pas assujettis à la Loi puisque les travailleurs qui réalisent les travaux ne peuvent prétendre faire partie de métiers nécessitant une expertise professionnelle à laquelle l’industrie de la construction a principalement recours.

À la suite de ces décisions, l’ensemble des travaux d’arrêts planifiés n’a plus été assujetti à la Loi à moins qu’ils soient exécutés par des travailleurs dont l’expertise professionnelle se trouve principalement dans l’industrie de la construction. Une telle notion n’a pas, à ce jour, été précisée pour d’autres métiers tels que charpentier-menuisier, ferblantier, chaudronnier, etc. Or, même si ces métiers étaient considérés comme faisant partie de l’industrie de la construction, il resterait à vérifier si l’une des exceptions prévues au Règlement peut trouver application avant de pouvoir prétendre que les travaux de maintenance sont assujettis à la Loi. Il y a loin de la coupe aux lèvres.

Conclusion
Compte tenu de cette jurisprudence, le ministère du Travail a mis sur pied un nouveau comité ayant pour mandat de consulter les intervenants afin de trouver avec ceux-ci un terrain d’entente menant, si nécessaire, à une modification du Règlement.

Un nouveau projet serait actuellement à l’étude, mais celui-ci aura pour effet de réintégrer dans le giron de l’industrie de la construction un secteur d’activité qui, depuis près de quarante ans, n’a pu faire l’objet d’un consensus entre les intervenants soit les donneurs d’ouvrage et les partenaires de l’industrie de la construction?

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Source : VigieRT, mars 2011.


1 Articles 19.2 et 19.8 de R-20.
2 À titre d’exemple, le Comité d’étude et de révision de la Loi sur les relations du travail de l’industrie de la construction, mieux connu sous l’acronyme de CERLIC, la modification à la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction et modifiant d’autres dispositions législatives, Projet de Loi 142, devenu le Chapitre 61 des lois de 1993 (discuté, adopté, mais jamais mis en vigueur) et le rapport du Groupe de travail sur la machinerie de production, 19 août 2002.
3 Article 1 k) Employeur professionnel : Un employeur dont l’activité principale est d’effectuer des travaux de construction et qui emploie habituellement des salariés pour un genre de travail qui fait l’objet d’une convention collective.
4 Domtar, Décision 2855C, 1er février 2008 et arrêt Xtrata, 31 janvier 2008.
5 Paragraphe 450, Décision 2855C.
6 Paragraphe 455, Décision 2855C.
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