L’obligation de l’employeur, lorsqu’il met fin à une relation d’emploi, de donner un délai de congé raisonnable est bien connue, mais l’inverse l’est-il autant?
L’article 2091 du Code civil du Québec sur l’obligation de donner un délai de congé prévoit que :
« Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
« Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail. »
L’obligation de l’employeur
La jurisprudence est très abondante sur la façon d’évaluer le délai de congé raisonnable lorsqu’un employeur termine sa relation d’emploi avec un employé. Il s’agit d’une question de fait qui doit être évaluée selon les particularités de chaque cas. Le délai de congé doit ainsi être évalué au moment de la rupture du contrat, et ce, en fonction de la nature de l'emploi, de l’ancienneté de l’employé, de son âge et de la possibilité qu’il obtienne un poste semblable compte tenu de son expérience, de sa formation et de ses co
mpétences. D’autres facteurs peuvent également être pris en compte, notamment, les circonstances entourant l’embauche et l’intention des parties lors de la signature du contrat d’emploi, le fait que l'employé ait quitté un emploi stable pour se joindre à l’employeur et la difficulté pour l’employé de se dénicher un nouvel emploi. Lorsque l’employeur met fin à la relation d’emploi, le délai de congé offre à l'employé un temps raisonnable pour trouver un emploi du même type. Les termes délai de congé, préavis et indemnité de fin d’emploi sont tous synonymes de l’obligation prévue à cet article 2091 du Code civil du Québec.
L’obligation d’un employeur en vertu de cet article du Code civil du Québec va beaucoup loin que celle de donner un préavis en vertu de l’article 82 de la Loi sur les normes du travail. Généralement, même un nouvel employé a droit à un délai de congé d’une durée d’un mois; dans certains cas extrêmes, des employés ont même eu droit à un délai de congé de deux ans!
Par ailleurs, cette obligation a été jugée incompatible avec le régime collectif de travail par la Cour Suprême du Canada en 2006 dans l’arrêt Isidore Garon ltée c. Tremblay; Filions et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc.[1]. La Cour s’est essentiellement fondée sur le caractère individuel de l’obligation prévue à l’article 2091 du Code civil du Québec, notamment sur l’aspect consensuel du délai de congé, sur l’évaluation individuelle ainsi que sur le fait que cette évaluation doit avoir lieu après la fin d’emploi, soit des éléments bien différents de ceux qui ont cours dans un régime collectif de relations de travail. Par conséquent, l’obligation prévue à l’article 2091 du Code ne s’applique pas aux salariés syndiqués.
L’obligation de l’employé
Mais qu’en est-il de l’obligation de l’employé lorsqu’il met fin à sa relation d’emploi? Les décisions sont moins nombreuses sur la question. Or, deux décisions récentes de la Cour du Québec, Aero Polissage c. Daunais[2] et Chaussures Aubin & Roy Inc. c. Verreault[3] viennent nous éclairer sur ce sujet en réitérant que l’employé démissionnaire doit donner un préavis raisonnable à son employeur, conformément à l’article 2091 du Code civil du Québec. Notons que les salariés syndiqués n’ont pas à donner un tel préavis, mais ils peuvent toutefois avoir droit à un délai de congé en vertu d’une disposition de leur convention collective.
Dans la première affaire, Aero Polissage c. Daunais, un employeur réclamait de son ex-employé une somme de 13 420 $ à titre d’indemnité de délai de congé, de remboursement du coût de la formation ainsi que de perte de revenus. Le contrat d’emploi de l’employé prévoyait que ce dernier devait donner un préavis de 60 jours en cas de démission et, à ce titre, l’employeur réclamait donc l’équivalent du salaire que l’employé aurait gagné durant cette même période. Le juge a rejeté en partie cette réclamation au motif qu’un tel raisonnement s’applique plutôt lorsque l’employeur met fin au contrat de travail et qu’il s’agit alors de dédommager l’employé pour la perte financière subie pendant la période au cours de laquelle il cherche un nouvel emploi. Le juge a ajouté qu’en l’espèce, il revenait à l’employeur de faire la démonstration du préjudice subi vu l’absence de préavis donné par l’employé. Faute de preuve concluante sur le préjudice réellement subi par l’employeur, le juge a accordé, en utilisant sa discrétion, une somme de 2000 $ pour les inconvénients subis en raison du départ prématuré de l’employé. La somme de 1000 $ réclamée pour le coût de la formation, comme le prévoyait le contrat de travail, a également été accordée.
Cette décision infère donc que, bien que l’obligation soit articulée par le législateur à l’article 2091 du Code civil du Québec de la même façon tant pour l’employeur que pour l’employé, l’évaluation faite par la jurisprudence de ce que constitue un délai de congé raisonnable est différente. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’un préavis prédéterminé par les parties au contrat d’emploi, l’employé peut réclamer une somme qui correspond à la valeur de la durée de ce préavis, mais l’employeur, lui, ne peut le faire que s’il arrive à faire la preuve qu’il s’agit de la valeur du préjudice réellement subi.
Dans la deuxième affaire, Chaussures Aubin & Roy Inc. c. Verreault, la division des petites créances de la Cour du Québec a été saisie d’une demande d’un employeur qui réclamait d’une employée à temps partiel une somme équivalant à deux fois son salaire hebdomadaire, soit de 400 $, au motif qu’elle avait démissionné sans préavis. Le juge a conclu que le fait pour une employée de mettre fin à son emploi sur-le-champ constituait une faute qui engage sa responsabilité. Quant à l’évaluation du préjudice subi par l’employeur, le juge a admis qu’il s’agit d’un exercice difficile, mais il a conclu qu’en l’espèce, un délai de cinq jours de préavis aurait été raisonnable, ce qui réduisait à 200 $ les dommages réclamés à ce titre.
Ces deux décisions rappellent que l’obligation de donner un délai de congé raisonnable pour mettre fin au contrat de travail, en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec, est réciproque et incombe à l’employé et à l’employeur. En effet, l’employé qui démissionne doit demeurer disponible pour son employeur pendant une période de temps raisonnable, qui s’évalue selon les circonstances particulières de chaque cas, et ce, afin de permettre à l’employeur de réduire au minimum le préjudice qu’il subit en raison du départ de son employé.
En somme, gare à l’employé qui démissionne et quitte son emploi précipitamment, sans préavis suffisant, car il engage alors sa responsabilité et risque d’être tenu responsable des dommages subis par son employeur. Il faut comprendre, cependant, que les tribunaux sont beaucoup moins sévères à l’endroit d’employés qui démissionnent d’une façon intempestive qu’ils ne le sont à l’endroit d’employeurs qui congédient un employé sans donner un préavis suffisant. De plus, un employeur ne saurait exercer un recours abusif en raison de son mécontentement à l’égard d’un employé démissionnaire, il s’exposera alors à devoir rembourser cet employé des honoraires extrajudiciaires, comme cela a d’ailleurs été décidé dans l’affaire Les Services d’inspections BG inc. c. Duclos[4].
Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.
Source : VigieRT, novembre 2010.
1 | [2006] 1 R.C.S. 27, 2006 CSC 2. |
2 | Aéro Polissage Inc. c. Simon Daunais, 2010 ACCQ 6949, 8 avril 2010, juge Diane Girard. |
3 | Chaussures Aubin & Roy Inc. c. Audrey Verreault, 2010 QCCQ 6558 (Division petites créances), 12 juillet 2010, juge Jean-Pierre Gervais. |
4 | 2008, QCCQ 11665. |