À la suite de la grève générale illimitée décrétée le 24 octobre 2016 par les membres de l’association accréditée Les avocats et notaires de l’État québécois (LANEQ), le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») a établi les services essentiels devant être assurés par les membres de cette association pendant la durée de la grève.
Dans le cadre du conflit de travail, le Conseil du trésor a émis une directive à l’attention des divers organismes et ministères employant des avocats et des notaires membres de LANEQ.
Cette directive sommait les ministères de payer les employés rappelés au travail en service essentiel uniquement pour le temps réellement travaillé en faisant fi de l’indemnité de présence d’au moins trois heures prévue à la Loi sur les normes du travail. Seuls les avocats employés par la CNESST ont été épargnés par l’application de cette directive.
Considérant que cette directive portait atteinte aux droits de ses membres, LANEQ a intenté un recours devant le Tribunal. Par ce recours, elle a demandé au Tribunal d’ajouter un dispositif à la décision déjà rendue qui statuait sur les services essentiels à maintenir pendant la durée de la grève. Elle voulait ainsi faire reconnaître le droit de ses membres d’être payés pour un minimum de trois heures lorsqu’ils sont appelés à rendre une prestation de travail.
De l’avis de LANEQ, la directive adoptée était contraire à l’article 58 de la Loi sur les normes du travail. De plus, l’association argumentait que par le non-paiement de l’indemnité qui y est prévue, l’employeur exerçait une pression économique abusive sur ses membres dans le contexte du conflit de travail ayant cours.
Le recours a initialement été intenté devant le Tribunal en raison de sa compétence générale en matière de rapports collectifs de travail et parce qu’il est le seul compétent pour déterminer les services essentiels. La Procureure générale a soulevé une objection préliminaire à la compétence du Tribunal au motif que le recours relevait plutôt de l’arbitre de grief puisqu’il s’agissait du maintien des conditions de travail pendant la grève et non pas du maintien des services essentiels.
Se basant sur les enseignements de la Cour d’appel dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville de) et Dulude et ceux de la Cour suprême dans l’arrêt T.U.A.C., section locale 103 et Wallmart, le Tribunal a rejeté le recours, étant d’avis qu’un tel litige relevait de la compétence d’un arbitre de grief[1].
Dans les jours qui ont suivi, LANEQ a présenté une demande d’injonction interlocutoire provisoire devant la Cour supérieure afin qu’il soit ordonné à l’employeur de verser aux employés rappelés au travail en service essentiel une rémunération minimale correspondant à trois heures.
Malgré les représentations de la partie défenderesse à l’effet que le litige était plutôt de la compétence de l’arbitre de grief, la Cour supérieure a conclu que non seulement elle pouvait, mais qu’elle devait se saisir du litige. Elle a souligné le caractère particulièrement choquant de l’affaire, soit l’existence d’une directive gouvernementale s’écartant à première vue d’une loi d’ordre public.
La Cour supérieure a rappelé les critères devant être établis en matière d’injonction interlocutoire soit : l’apparence de droit, l’existence d’un préjudice sérieux et irréparable, une balance favorable des inconvénients ainsi que l’urgence d’intervenir.
L’honorable juge de la Cour supérieure a jugé que la directive du Conseil du trésor allait manifestement à l’encontre de la Loi sur les normes du travail, permettant ainsi au premier critère d’être établi.
Elle a également tranché et statué que LANEQ subissait un préjudice sérieux et irréparable puisqu’il s’agissait d’une violation claire d’une loi d’ordre public. Une telle violation est habituellement reconnue par les tribunaux comme conduisant directement à l’octroi d’une injonction interlocutoire sans même avoir à évaluer la présence d’un quelconque préjudice financier[2].
Suivant la jurisprudence de la Cour d’appel[3] en pareille circonstance, la Cour supérieure n’a pas eu à se prononcer sur la balance des inconvénients. En effet, de manière générale, il est reconnu qu’une violation claire d’une disposition d’ordre public fait automatiquement pencher la balance des inconvénients en faveur de celui dont les droits sont brimés, ce qui dispense les tribunaux de devoir décider de ce critère.
Finalement, la Cour a décidé qu’il était urgent d’agir puisque la directive du Conseil du trésor s’écartait d’une disposition d’ordre public. Elle a estimé que ce dernier avait fait montre d’un rapport de force inutile allant à l’encontre de ses devoirs et de ses obligations, ce qui justifiait d’autant plus l’urgence d’une intervention de la Cour.
Source : VigieRT, mars 2017.
1 | Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville de) et Dulude, C.A.M. 500-09-003441-961, 19 juin 2000. T.U.A.C., section locale 103 et Wallmart, [2014] 2 R.C.S. 323. |
2 | Orthofab c. RAMQ, 2012 QCCS 1876. |
3 | Id. |