Vous lisez : Le congédiement administratif pour incompétence revisité

Tout milieu de travail est, indirectement ou directement, affecté par l’incompétence de certains membres du personnel.

L’incompétence, quoi qu’intangible par moment, a inévitablement des répercussions majeures, non seulement sur la production, mais également sur les ressources humaines et le milieu de travail en général. Une gestion adéquate de l’incompétence permet à cet égard d’en atténuer les principaux impacts négatifs.

Malheureusement, en certains cas, l’incompétence d’un membre du personnel pourra mener à un congédiement administratif. Ce remède, que l’on peut qualifier d’extrême, doit cependant s’effectuer selon des critères et des modalités stricts, soit selon le test bien connu de l’arrêt Costco[1].

Dans cette affaire, la Cour d’appel du Québec avait établi de façon claire les critères applicables en matière de congédiement administratif pour incompétence, lesquels se résument comme suit :

  • La personne salariée doit connaître les politiques de l’entreprise et les attentes fixées par l’employeur à son égard;
  • Ses lacunes lui ont été signalées;
  • Elle a obtenu le soutien nécessaire pour se corriger et atteindre ses objectifs;
  • Elle a bénéficié d’un délai raisonnable pour s’ajuster;
  • Elle a été prévenue du risque de congédiement à défaut d’une amélioration de sa part.

Ces critères ont subséquemment été repris de façon constante et unanime par les tribunaux, créant par le fait même une certaine stabilité en droit du travail québécois.

Or, contre toute attente, la Cour supérieure est venue, tout récemment, revisité ces critères dans l’affaire Commission scolaire Kativik[2].

Les faits

Le salarié occupait, depuis 10 ans, un poste de technicien en administration. Il était d’ailleurs à l’emploi de la Commission scolaire depuis plus de 14 ans.

La preuve administrée a établi que le salarié n’avait jamais accompli l’ensemble des tâches relevant de son poste. Des tâches alléguées lui étaient confiées puisque sa connaissance de la langue inuktitute était grandement utilisée par l’employeur afin de communiquer avec la clientèle inuite.

En 2012, une mise à jour des tâches du salarié a été signée par ce dernier afin de rehausser lesdites tâches et de les rendre plus compatibles avec le poste détenu par le salarié. Ce rehaussement des tâches est cependant resté sans suivi.

En 2013, à la suite de l’arrivée d’une nouvelle directrice, de nouvelles tâches ont été confiées au salarié, sans succès.

Il est devenu manifeste que le travail du salarié comportait d’importantes lacunes, et ce, malgré le soutien fourni.

C’est dans ce contexte qu’un plan de performance a alors été remis au salarié, lequel s’étalait sur une période de trois mois.

Malgré tout le soutien fourni, aucune amélioration n’a été constatée. C’est alors que la direction a offert au salarié de le muter au poste d’agent de bureau, poste qu’il avait déjà occupé par le passé, mais il a par la suite refusé le poste.

Le salarié a été congédié quelque temps plus tard pour incompétence.

L’arbitre de griefs saisi du dossier a estimé que l’employeur était fondé à conclure que le plaignant était incapable d’accomplir ses tâches malgré l’appui et l’encadrement fournis.

Toutefois, il a accueilli le grief, jugeant que le congédiement administratif était abusif puisque l’employeur avait failli à son obligation de trouver une autre solution au congédiement, notamment celle de déployer des efforts afin de réaffecter le salarié dans un autre poste compatible.

L’employeur a alors demandé le contrôle judiciaire de cette décision au motif que l’arbitre de griefs avait imposé une obligation inexistante en droit québécois à l’employeur, soit celle de réaffecter le salarié.

La décision

D’entrée de jeu, le juge a rappelé les règles du congédiement administratif pour incompétence et a noté une différence marquée entre les critères applicables au Québec (tel qu’énumérés ci-dessus) et ceux applicables au sein des autres provinces canadiennes, ces derniers ayant été énoncés par un tribunal d’arbitrage de la Colombie-Britannique en 2004 (« test Cavell »).

Comme le juge l’a mentionné, le test classique applicable au Québec omet l’obligation de l’employeur de « déployer des efforts raisonnables pour réaffecter l’employé dans un autre poste compatible avec ses compétences ».

Cependant, selon la Cour, lorsque l’on retrace l’origine du test applicable au Québec, il appert que la Cour d’appel dans l’arrêt Costco a approuvé le test Cavell, sans toutefois discuter du dernier critère, puisque nul n’a soulevé la possibilité de réaffecter le salarié dans un poste.

À cet égard, la Cour a noté qu’il ne sera évidemment pas toujours possible pour un employeur de réaffecter une personne incompétente au sein de son entreprise.

Néanmoins, aux yeux du juge, il est tout à fait illogique que, pour une même situation, le test soit différent au Québec qu’ailleurs au Canada.

En d’autres termes, alors que l’obligation de déployer des efforts raisonnables pour réaffecter la personne dans un autre poste compatible avec ses compétences ne peut trouver application dans tous les cas, il est erroné de soutenir que ce critère ne trouve pas application au Québec.

Il n’était ainsi donc pas déraisonnable de la part de l’arbitre d’exiger une telle considération. Conséquemment, le pourvoi en contrôle judiciaire a été rejeté.

À retenir pour les employeurs

Il sera assurément intéressant et important de suivre de près les prochaines décisions portant sur le congédiement administratif pour incompétence et d’observer si les tribunaux administratifs et supérieurs intégreront ce nouveau critère au test classique applicable au Québec.

À tout évènement, il s’agit certainement d’une décision qui est susceptible de modifier de façon substantielle l’état du droit québécois et d’ajouter une nouvelle étape au fardeau déjà imposant qui incombe à tout employeur souhaitant procéder à un congédiement administratif pour incompétence.

D’un point de vue pratique, tout employeur devra garder à l’esprit l’ajout de ce nouveau critère.

Il est d’ailleurs important de rappeler qu’il s’agit là d’une obligation de moyens, puisque la réaffectation ne peut trouver application dans tous les cas. Par exemple, la taille de l’entreprise, sa structure organisationnelle ainsi que les tâches spécifiques d’un poste pourront, à notre avis, constituer des obstacles à la réaffectation d’une personne incompétente.

Toutefois, à l’instar de l’obligation d’accommodement, advenant l’intégration claire de ce critère au test applicable au Québec, tout employeur devra à tout le moins tenter de réaffecter la personne employée incompétente, le tout en faisant preuve de bonne foi.

À cet égard, une approche contextualisée restera toujours la meilleure pratique à adopter.

Source : VigieRT, décembre 2017.

1 Costco Wholesale Canada ltée c Laplante, 2005 QCCA 788.
2 Commission scolaire Kativik c. Ménard, 2017 QCCS 4686.
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