Vous lisez : La validité de la transaction signée lors d'un congédiement

Il arrive régulièrement qu’un document intitulé Transaction-Quittance soit présenté au salarié au moment de l’annonce de son congédiement. Par sa signature, il se déclare alors satisfait des conditions de fin d’emploi offertes par l’employeur et renonce à le poursuivre ou à exercer quelque recours que ce soit à son encontre relativement à son emploi ou à la fin de celui-ci. Il donne alors « quittance » à l’employeur en déclarant que ce dernier ne lui doit plus rien. Dans cet article, nous traiterons de l’opportunité et de la légalité de cette pratique.

Pourquoi cette pratique?

La décision de congédier est prise. L’employeur peut souhaiter trouver un moyen afin d’éviter que le futur ex-employé conteste la décision. Le convaincre de s’engager à ne pas le faire, est-ce une bonne option?

Il faut d’abord mentionner que la signature d’un tel engagement ne met pas l’employeur à l’abri d’être poursuivi ou de faire l’objet d’une plainte ou d’un grief. Après tout, les tribunaux reçoivent quotidiennement leur lot de poursuites manifestement mal fondées. En outre, si l’entente satisfait les critères pour être confirmée à titre de transaction et qu’aucun motif n’est retenu pour la faire déclarer nulle, elle aura force de loi entre les parties : « La transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée. » (art. 2633 du Code civil du Québec, C.C.Q.) La transaction-quittance valide aura donc pour effet d’empêcher le salarié de présenter à un tribunal sa réclamation, et celle-ci pourrait donc être rejetée au stade préliminaire des procédures.

Qu’est-ce qu’une transaction?

La définition se trouve à l’article 2631 C.C.Q. :

« 2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques.
Elle est indivisible quant à son objet. »
[nos soulignements]

 

L’entente signée postérieurement à l’annonce du congédiement n’aura aucun mal à satisfaire le premier critère puisque l’intérêt de l’employeur à prévenir la naissance de la contestation du congédiement sera normalement assez évident. De plus, l’annonce du congédiement fera naître certains droits du salarié, notamment le droit au délai-congé raisonnable (art. 2091 C.C.Q.) et le droit à l’avis de cessation d’emploi (art. 82 de la Loi sur les normes du travail, L.N.T.). Les parties pourront donc validement transiger quant à leurs droits et obligations respectifs.

Pour être qualifié de « transaction », le résultat de l’exercice doit également comporter des concessions ou des réserves réciproques. Si le document prévoit que le salarié renonce à tous ses droits et à tous ses recours en contrepartie du versement par l’employeur du minimum requis par la loi, l’entente est susceptible de ne pas être qualifiée de « transaction » par le tribunal appelé à trancher la question. En effet, l’employeur qui s’engage, par exemple, à verser au salarié le solde de ses vacances, son salaire dû et le préavis requis par la L.N.T. ne fait aucune concession réciproque. Il s’agit de normes minimales et, au surplus, l’article 47 L.N.T. pourrait être invoqué pour faire déclarer inopposable au salarié tout document signé en vue de recevoir le salaire qui lui est dû.

Illustrations de causes de nullité de la transaction

Le Code civil comporte des dispositions qui déterminent les causes qui peuvent être invoquées par l’une ou l’autre des parties pour demander la nullité d’une transaction. Il est notamment prévu ceci :

 

« 1399. Le consentement doit être libre et éclairé.
Il peut être vicié par l’erreur, la crainte ou la lésion. »

« 1407. Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d’erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts […]. »

 

Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence récente :

Dans un premier exemple[1], l’employeur avait convoqué le salarié pour lui annoncer son licenciement, après quatre ans et demi de service continu. Il lui offre huit semaines de salaire à titre d’indemnité de départ et lui demande de signer la quittance, autrement il n’aurait droit à rien. Le document a été signé en fin de journée et comportait une modification faite à la demande du salarié. Estimant que l’employeur s’est conduit de manière abusive au moment de la résiliation du contrat de travail, la Cour supérieure annule la quittance et octroie au salarié un délai-congé de huit mois et demi de salaire, moins les sommes déjà reçues : « [l]a stratégie était de profiter de la situation alors que [le salarié] était à son plus faible et vulnérable vis-à-vis la défenderesse afin qu’il signe le document aux conditions prescrites par cette dernière »[2].

En 2007[3], la Commission des relations du travail (maintenant devenue le Tribunal administratif du travail) devait se prononcer sur la validité d’une transaction signée par une salariée quelques minutes après l’annonce de son congédiement. L’employeur l’avait convoquée à une rencontre alors que celle-ci était en arrêt de travail pour cause de maladie. La rencontre dure quinze minutes; la salariée est en état de choc. Elle signe alors le document soumis par l’employeur sans le lire. À sa sortie de la rencontre, elle consulte une amie, puis une avocate. Elle avise l’employeur la journée même, par téléphone et par écrit, qu’elle revient sur sa signature. Après avoir entendu tous les témoins de cette rencontre ainsi que le médecin traitant de la salariée, la Commission annule la transaction au motif que la salariée a sérieusement mis en doute sa capacité de contracter et que l’employeur, de son côté, n’a pas démontré que la salariée avait effectivement la capacité requise pour s’engager à ce moment-là.

En 2015[4], la Cour supérieure devait trancher une requête en délai-congé raisonnable présentée par un salarié licencié après 33 ans de service continu. Au moment de l’annonce de sa fin d’emploi, en mars 2010, on lui dit qu’il recevra bientôt les sommes qui lui sont dues, y compris son indemnité de préavis de huit semaines. Considérant les coûteux médicaments qu’il doit se procurer, l’employeur et le salarié conviennent verbalement qu’il sera maintenu artificiellement sur la liste des employés actifs pour qu’il puisse conserver le bénéfice de ses assurances jusqu’à l’âge de 60 ans, au mois de mai 2011. Une semaine plus tard, l’employeur demande au salarié de venir signer un document. Ce dernier le signe sans le lire. En janvier 2012, soit près de deux ans après la signature du document de transaction, il consulte une avocate après avoir appris qu’il avait peut-être droit à beaucoup plus que huit semaines de salaire. Malgré le temps écoulé, la Cour accueille la requête et déclare la transaction nulle et inopposable au salarié au motif que le délai-congé raisonnable prévu à l’article 2092 C.C.Q. est une disposition d’ordre public de protection[5]. Il ne pouvait valablement y renoncer dans les circonstances puisqu’il a été induit en erreur par son employeur quant à l’ampleur de sa renonciation et à la valeur de la contrepartie offerte. Le juge qualifie par ailleurs les représentations de l’employeur de « dol » puisqu’il a induit le salarié en erreur.

Conclusion

La jurisprudence québécoise regroupe de nombreuses décisions reconnaissant la validité d’une transaction-quittance conclue à l’occasion d’un congédiement, l’inverse étant plutôt l’exception. Les regrets de l’une des parties, à eux seuls, ne sont jamais un motif suffisant pour conclure à la nullité. Cependant, lorsque l’offre est présentée au salarié dans un grand moment de vulnérabilité, au surplus en lui mettant de la pression pour qu’il signe sur-le-champ, sans pouvoir y réfléchir à tête reposée et sans avoir l’occasion d’obtenir des conseils légaux, la table est mise pour que soit plaidée l’absence de consentement libre et éclairé ou l’erreur causée par le dol.

Source : VigieRT, mars 2018.

1 O’Connor c. Omega Engineering inc., 1999 CanLII 11464 (QC CS).
2 Id., par. 15.
3 Bonadkar c. Groupe Marcelle inc., 2007 QCCRT 0442.
4 Couture c. Québec Linge Co., 2015 QCCS 1140.
5 Id., par. 58.
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