Vous lisez : La santé et la sécurité l’emportent-elles sur la liberté de religion?

Depuis de nombreuses années, il est reconnu que les employeurs ont le devoir légal d’accommoder leurs employés sujets à la discrimination en raison d’une norme leur étant imposée lorsqu’ils les embauchent. En effet, cette obligation ressort des enseignements de la Cour Suprême dans l’arrêt Meiorin[1].

Par contre, il existe des conditions qui placent l’employeur dans une situation dans laquelle il lui est impossible d’accommoder le droit de religion de ses employés. Cela peut notamment être le cas lorsqu’il est question d’imposer une norme qui vise à protéger leur santé et leur sécurité.

Il est vrai qu’une norme de sécurité peut être considérée comme quasi discriminatoire. Cependant, cette mesure devient justifiée lorsqu’il est possible de démontrer qu’elle est nécessaire en raison d’un risque réel d’accident.

C’est du moins ce qu’a tranché la Cour supérieure dans l’affaire Singh c. Montréal Gateway Terminals Partnership[2].

LA DÉCISION

Les faits
En juillet 2005, la Société Terminaux Montréal Gateway (« MGT ») instaure une nouvelle politique selon laquelle toute personne entrant sur son terminal du Port de Montréal doit porter un casque protecteur lorsqu’elle se déplace à l’extérieur de son véhicule.

Considérant que trois camionneurs de religion sikhe effectuant du transport de conteneurs ont fait valoir qu’ils refusaient de porter un casque protecteur par-dessus leur turban, MGT a élaboré une autre procédure de chargement des conteneurs sur leurs remorques afin de s’assurer qu’ils demeurent en tout temps à l’intérieur de la cabine de leur camion.

Après avoir été en vigueur pendant près de trois ans, la mesure mise en place, dont le but était d’accommoder ces camionneurs, s’est avérée inefficace et contraignante compte tenu du délai d’attente qu’elle entraînait pour ces derniers ainsi que des complications, tant du point de vue organisationnel qu’économique, qu’elle générait pour l’entreprise. MGT y a donc mis fin.

Les camionneurs se sont alors adressés à la Cour supérieure afin d’être exemptés de la politique les obligeant à porter un casque de sécurité.

La position des parties
Les camionneurs invoquent que l’adoption de la politique de MGT crée, à leur égard, une mesure économiquement abusive et humiliante. Ils font remarquer que leur droit à un accès égal au travail nonobstant leurs croyances religieuses est brimé, alors qu’il s’agit d’un droit garanti dans la Charte des droits et libertés de la personne (« Charte québécoise »).

Pour sa part, MGT soutient qu’il y a absence de discrimination. Au surplus, elle ajoute que la politique est imposée pour réaliser un objectif légitime et important. En effet, cette politique se veut la réponse de l’entreprise à ses obligations légales prévues au Code criminel et au Code canadien du travail ainsi qu’au Règlement sur la santé et la sécurité au travail en milieu maritime et au Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

Rappelons que les opérateurs de terminaux doivent, comme toutes autres entreprises, assurer la sécurité de leurs employés et des tiers devant circuler sur leurs sites.

La décision
D’emblée, la Cour a conclu que MGT est assujettie à la réglementation fédérale considérant que la manutention de conteneurs dans le Port de Montréal fait partie intégrante du transport interprovincial et international de marchandises par navires.

Par ailleurs, le juge de la Cour supérieure du Québec a souligné que les dispositions prévues dans la Charte canadienne des droits et libertés de la personne ne peuvent s’appliquer étant donné que la relation entre les camionneurs et MGT est de nature purement privée.

À première vue, le Tribunal a signalé que la politique rendant obligatoire le port d’un casque de sécurité était discriminatoire à l’égard des camionneurs. Toutefois, il a indiqué que cette mesure était justifiée considérant le fait que MGT l’a mise en place dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail.

En outre, la politique est d’autant plus justifiée qu’elle a comme véritable objectif d’assurer la sécurité des camionneurs. À ce titre, MGT a fait valoir que de nombreux accidents étaient survenus sur les lieux de sa propriété et que cette mesure a un impact direct sur le risque de blessure à la tête. Elle a ajouté que le port du casque accroît la visibilité des camionneurs lorsqu’ils procèdent au chargement d’un conteneur en présence d’une grue-portique.

Par ailleurs, la politique adoptée par MGT est légitime puisqu’elle est raisonnablement nécessaire afin de réaliser l’objectif d’assurer la sécurité des travailleurs et des tiers, considérant que lesdits camionneurs n’ont pas proposé d’autres solutions. En effet, le Tribunal a souligné qu’il lui manque des preuves d’une autre mesure d’accommodement efficace.

D’autre part, le juge est arrivé à la conclusion que, bien que les demandeurs aient démontré que la politique portait atteinte à leur liberté de religion, cette atteinte est justifiée en vertu de la Charte québécoise au sens où les effets bénéfiques de la politique de MGT ont préséance sur ses effets préjudiciables à l’égard de la liberté de religion des camionneurs.

Il importe de rappeler qu’aucune autre mesure ne peut permettre aux camionneurs de religion sikhe d’exécuter leurs tâches dans un environnement de travail sécuritaire.

En conclusion, le Tribunal a annoncé que « bien que les demandeurs aient démontré une atteinte plus que négligeable ou insignifiante à leur droit à la liberté de religion, cette entrave est justifiée en regard de l’article 9 de la Charte québécoise »[3].

Que devons-nous retenir de cette décision?
Cette décision rendue par la Cour supérieure du Québec est d’une grande importance pour les employeurs.

D’une part, elle réaffirme que toute entreprise doit s’assurer de protéger la santé et la sécurité de ses travailleurs, mais également de toute personne qui circule dans son établissement ou sur son site.

Par ailleurs, lorsqu’une mesure visant à assurer la sécurité est mise en place, l’entreprise sera confrontée à deux responsabilités. En effet, en plus de devoir s’assurer de la santé et de la sécurité de ses employés, elle devra accommoder raisonnablement une personne qui exigera l’exercice ou le respect d’un droit fondamental protégé en vertu de la Charte québécoise.

Par contre, il est essentiel de retenir que si cette mesure a un effet discriminatoire, elle peut être justifiée lorsqu’elle est :

  1. Rationnellement liée à l’exécution du travail;
  2. Adoptée en croyant sincèrement qu’elle est nécessaire pour réaliser un but légitime;
  3. Raisonnablement nécessaire pour réaliser le but légitime.

D’autre part, nous devons retenir que cette décision est pertinente au sens où la Cour a appliqué les dispositions de la Charte québécoise dans le cadre des relations de travail impliquant une entreprise de compétence fédérale.

Ainsi, tout laisse croire que, dorénavant, les entreprises de compétence fédérale devront respecter, en plus des lois fédérales portant sur les droits de la personne, les chartes provinciales protégeant les droits de la personne.

En fin de compte, il serait pertinent pour les employeurs et les entreprises qui sont confrontés à ce type de situation de suivre l’évolution de ce dossier considérant que les demandeurs ont porté cette décision en appel.

Source : VigieRT, avril 2017.

1 Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission)c.BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 3.
2 2016 QCCS 4521.
3 2016 QCCS 4521 paragraphe 326.

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