Vous lisez : La présence de caméras en milieu de travail

La présence de caméras en milieu de travail ainsi que d’autres mesures de surveillance mises en place par les employeurs font couler beaucoup d’encre depuis quelques années au Québec. En effet, les tribunaux administratifs, d’arbitrage et de droit commun sont de plus en plus appelés à se prononcer sur la légalité de ces mesures de surveillance dorénavant accessibles aux employeurs, de même qu’à en évaluer la force probante dans un contexte d’administration de la preuve.

Les contestations à cet égard, menées de front par les employés soumis à de telles mesures et les syndicats, le cas échéant, sont principalement fondées sur le droit des employés au respect de leur vie privée et leur droit à des conditions de travail justes et raisonnables, lesquels sont respectivement protégés par les articles 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne[1].

D’importantes décisions de principe ont été rendues concernant la présence de mesures de surveillance par un employeur, notamment le récent arrêt de la Cour suprême Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée[2] à l’égard de la possibilité pour un employeur de mettre en place un système de dépistage de drogues aléatoire auprès de ses employés. On pense aussi à l’arrêt de la Cour d’appel Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau[3] relatif à la surveillance des employés à l’extérieur des lieux de travail.

Il demeure néanmoins qu’aucune décision dite « de principe » n’a jusqu’ici été rendue au sujet de la présence de caméras en milieu de travail et qu’il n’existe pour l’instant pas d’unanimité à cet égard dans la jurisprudence et la doctrine pertinente. Malgré cette absence de consensus, certains principes directeurs peuvent être dégagés et appliqués aux circonstances précises de chaque affaire.

D’abord, la validité de la présence de caméras en milieu de travail ne s’évalue généralement pas sous l’angle du droit à la vie privée des employés. En effet, dans la majorité des situations, sous réserve de certaines exceptions, il sera reconnu que les employés détiennent une expectative de vie privée considérablement réduite dans leur milieu de travail. Il ne pourra donc y avoir d’atteinte au droit à la vie privée si, d’emblée, les salariés ne peuvent justifier d’une expectative de vie privée, auquel cas la Charte ne saurait s’appliquer.

La validité de la présence des caméras en milieu de travail est donc majoritairement abordée par les tribunaux sous l’angle du droit des employés à des conditions de travail justes et raisonnables. À cet égard, il est reconnu que l’installation de caméras sur les lieux du travail ne contrevient pas à l’article 46 de la Charte lorsque leur utilisation est faite de manière raisonnable. Ce caractère raisonnable est évalué sous l’angle de plusieurs critères rapportés et majoritairement acceptés par les tribunaux s’étant prononcés à cet égard.

D’abord, les motifs ayant mené l’employeur à installer des caméras sur les lieux du travail et le but poursuivi par ce dernier doivent être raisonnables. Ensuite, l’utilisation faite par l’employeur des images captées par les caméras sera analysée. Le fait que les images captées puissent ou non servir à des fins disciplinaires ou que les caméras servent à épier un individu en particulier sera pris en considération par les tribunaux afin de déterminer le caractère raisonnable de la présence des caméras sur les lieux du travail.

 L’accès aux bandes vidéo captées par les caméras sera également considéré par les tribunaux : plus l’accès aux visionnements est restreint ou limité à certaines personnes seulement, plus l’utilisation de caméras sera considérée comme raisonnable. Le fait que l’employeur ait agi ouvertement et qu’il ait informé, par exemple, les employés et le syndicat de la présence de caméras sera également considéré favorablement par opposition à une situation où un employeur aurait agi à l’insu de ces derniers ou dans le but de les piéger.

Enfin, d’autres critères, tels que l’orientation des caméras ainsi que l’enregistrement continu ou non des images captées, seront considérés dans l’analyse globale du caractère raisonnable de la présence des caméras par les tribunaux.

Quant à l’admissibilité en preuve des images captées par les caméras en question dans le cadre de litiges ayant un objet autre que la légalité de la présence des caméras, celle-ci est soumise aux critères généraux en matière d’administration de la preuve, plus précisément à l’article 2858 du Code civil du Québec, qui prévoit ceci :

« 2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel. »

La preuve obtenue par l’employeur par le biais de caméras dans le milieu de travail peut donc ne pas être admise dans l’éventualité où il est considéré d’une part que ses conditions d’obtention portent atteinte à un droit fondamental et, d’autre part, que son utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

Ceci signifie donc que même des images obtenues dans des circonstances portant atteinte à l’article 46 de la Charte peuvent être admises en preuve lorsque le tribunal considère que leur utilisation n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Les tribunaux bénéficient donc d’un certain pouvoir d’appréciation de la preuve et de pondération des droits en cause afin de déterminer si une telle preuve sera admissible dans le cadre d’une audience.

Source : VigieRT, décembre 2016.


1 RLRQ, c. C-12 (ci-après « la Charte »).
2 [2013] 2 RCS 458.
3 1999 CanLII 13295 (C.A.).
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