Si l’employeur peut souhaiter être le plus clair possible dans la détermination des faits et des motifs au soutien de sa décision, doit-il pour autant nécessairement fournir une liste exhaustive de tous les faits qu’il comptera mettre en preuve si le dossier devait se judiciariser? C’est la question à laquelle a eu à répondre un arbitre dans l’affaire CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec et Syndicat des professionnelles en soins de la Mauricie et du Centre-du-Québec (FIQ) (Simon St-Pierre)[1] (l’« affaire »).
Les faits et les prétentions des parties
Dans cette affaire, le plaignant, un auxiliaire infirmier, avait été préalablement suspendu avec solde aux fins d’enquête, puis congédié. L’employeur prétendait qu’il avait manqué à ses obligations en ne fournissant pas correctement les soins à une clientèle vulnérable, qu’il avait tenu des propos grossiers, blessants et vulgaires et qu’il avait intimidé autant des patients que des collègues de travail. On lui reprochait également d’avoir, à une occasion précise, inscrit de faux renseignements sur une fiche d’incident.
Contestant tant la suspension avec traitement que le congédiement, le syndicat a déposé deux griefs et a fait valoir comme moyen préliminaire que la lettre de fin d’emploi ne pouvait permettre à l’employeur de mettre en preuve des faits autres que ceux qui y étaient spécifiquement mentionnés. Selon le syndicat, la preuve de l’employeur devait alors se limiter à la situation précise où l’on a reproché au plaignant d’avoir inscrit de faux renseignements sur la fiche d’incident d’un patient puisque les autres situations alléguées au cours desquelles le plaignant aurait fait défaut de fournir une prestation de travail adéquate, aurait tenu des propos déplacés ou aurait intimidé des patients ou des collègues étaient trop vagues.
Le syndicat fondait sa demande préliminaire sur la convention collective, celle-ci prévoyant que l’employeur devait fournir « des raisons et des faits » qui ont provoqué le congédiement. La lettre ne faisant pas état de faits précis, mais n’énonçant, au contraire, que des faits vaguement décrits, le syndicat soutenait que celle-ci ne respectait pas les exigences de la convention collective.
Le procureur patronal, pour sa part, soutenait que la convention collective prévoyait des obligations de forme, mais non de fond, rendant impossible toute preuve de faits formulés de manière générale. Il prétendait également que la convention collective n’obligeait pas l’employeur à fournir tous les faits précis et exhaustifs au soutien de sa décision dans la lettre de fin d’emploi et qu’en y faisant état des événements particuliers ou généraux, l’employeur respectait les obligations prévues dans la convention collective. Finalement, dans la mesure où la lettre de fin d’emploi était effectivement imprécise, il revenait au syndicat de présenter une demande pour précisions.
La décision
L’arbitre a premièrement noté que l’obligation de fournir « des raisons et des faits » nécessite que soit fournie l’information relativement aux « motifs » et à « ce qui est arrivé, ce qui a eu lieu ». Ce faisant, l’arbitre a rejeté la demande du syndicat, notant que le fait que la lettre de congédiement fasse état des faits de manière générale satisfait aux obligations énoncées à la convention collective.
L’arbitre a retenu l’argument patronal voulant qu’en cas d’imprécision, une demande de précisions puisse être soumise par le syndicat afin de permettre au plaignant de bénéficier d’une défense pleine et entière. Finalement, l’arbitre a justifié sa décision de ne pas suivre deux arrêts de la Cour d’appel soumis par le syndicat et rendus dans des situations similaires à la présente.
Une telle analyse se fie à la prémisse de base voulant que les décideurs appelés à statuer sur la validité et la suffisance des motifs de l’employeur prennent appui sur les décisions rendues antérieurement. Telle prémisse prend le nom de la « règle du précédent » et veut qu’un décideur suive les décisions antérieures rendues par son instance. Cela ne veut pas dire qu’un décideur ne puisse s’écarter d’un courant jurisprudentiel majoritaire, mais simplement qu’il doit justifier un tel écart dans sa décision.
Toutefois, cette règle ne s’applique pas devant un arbitre de griefs[2]. Cela s’explique notamment par le fait qu’un arbitre de griefs est un tribunal constitué pour entendre une affaire spécifique. Une fois la décision rendue, ce tribunal est « dissous ». Un autre arbitre de griefs ne se considère donc pas nécessairement comme lié par une décision rendue par un tribunal qui n’existe plus. En l’espèce, bien que l’arbitre a conclu que l’employeur pouvait insérer dans la lettre de fin d’emploi moins de précisions, il n’en demeure pas moins qu’il ne confirme pas pour autant une pratique unanime et uniforme au sein des arbitres de griefs appelés à trancher une telle question.
Commentaire
Au moment de mettre fin à l’emploi d’un membre de leur personnel, les employeurs vont notamment déterminer (i) s’ils possèdent effectivement un motif de fin d’emploi et (ii) l’étendue de la précision devant être fournie dans la lettre de fin d’emploi. Dans un contexte syndical, les employeurs devront indubitablement se référer à la convention collective pour y cerner les articles qui pourraient baliser l’exercice.
Si certains arbitres, comme dans l’affaire CIUSS, permettent aux employeurs de faire la preuve de faits brièvement décrits dans une lettre de fin d’emploi, les employeurs devraient garder à l’esprit que tous les décideurs ne trancheront pas nécessairement une telle affaire de la même manière. Ainsi, les employeurs devront réfléchir au contenu de la lettre disciplinaire ou de fin d’emploi à la lumière des circonstances propres à chaque affaire.
Comment alors départager quels renseignements inscrire et lesquels omettre dans la rédaction de la lettre de fin d’emploi?
La lettre de fin d’emploi doit contenir suffisamment de faits pour permettre au membre du personnel de comprendre ce qui lui est reproché. Il ne s’agit pas de lui donner la preuve de l’employeur, si le dossier devait se judiciariser, mais de lui permettre de saisir l’étendue de ses fautes. Ce faisant, l’employeur inclura généralement à la lettre de fin d’emploi suffisamment de précisions afin de lui permettre de justifier, à sa lecture même, la mesure disciplinaire. À certains moments, l’employeur devra être plus pointu sur certains faits et donner davantage de détails.
S’agissant de l’une des pièces maîtresses dans le cadre d’audiences se tenant autant devant les tribunaux administratifs que judiciaires, cette pièce jouera un rôle primordial dans l’évaluation préliminaire, par le décideur, du bien-fondé de l’action entreprise par la personne concernée ou son syndicat.
Malgré le fait qu’un courant jurisprudentiel majoritaire semble de plus en plus se dessiner suivant les enseignements repris par l’arbitre, les employeurs devront tout de même continuer d’agir avec prudence et fournir les précisions et l’information qu’ils jugent pertinentes, ou à tout le moins suffisantes, pour éviter qu’une demande comme celle formulée dans l’affaire CIUSSS ne soit accueillie.
Source : VigieRT, janvier 2018.
1 | 2017 QCTA 753. |
2 | Syndicat du personnel clinique et Syndicat du personnel non clinique de l’Hôpital La Providence de Magog et du Foyer Sacré-Cœur de Magog (C.S.N.) et Centre de santé Memphrémagog (grief syndical), D.T.E. 2004T-426 (T.A.). Voir également Société des casinos du Québec inc. et Syndicat des employées et employés de la Société des casinos du Québec (C.S.N.), section unité générale, D.T.E. 2004T-486 (T.A.) et Fernand Morin et Rodrigue Blouin, Droit de l’arbitrage de griefs, 6e éd. Yvon Blais, 2012, au paragr. II.81. |