Le projet de loi fédérale concernant la légalisation du cannabis déposé le 13 avril dernier propose plusieurs modifications aux différentes lois applicables, et ce, afin de permettre la possession simple de la substance en deçà d’un seuil de 30 grammes. Or, ce nouveau projet de loi ne veut pas dire pour autant que la possession de marijuana et sa consommation, avant ou pendant les heures de travail, seront permises.
I. Les droits et les obligations de l’employeur
Tout employeur a l’obligation de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychologique de ses employés. Ces obligations sont non seulement prévues dans les diverses lois, telle la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1], et dans le Code civil du Québec[2], mais également dans la Charte des droits et libertés de la personne[3]. L’employeur doit donc prendre les mesures qui s’imposent afin de protéger ses employés, notamment contre les gestes d’autres employés.
À cet effet, plusieurs employeurs ont instauré des politiques dites de « tolérance zéro » relativement à la consommation d’alcool ou d’autres substances intoxicantes. La présence de ces politiques peut justifier l’imposition d’une sanction plus importante, et même le congédiement, vu la connaissance claire du personnel de l’interdiction faite par son employeur[4].
Ces obligations de protection justifient l’employeur d’interdire la possession et la consommation de drogues, au même titre que celles d’alcool. Ainsi, le fait que la possession et la consommation d’alcool soient légales dans la société québécoise et canadienne n’empêche pas pour autant un employeur d’interdire ces actions sur les lieux du travail.
II. Les droits et les obligations des employés
Le contrat de travail, qu’il soit individuel ou collectif, comprend l’obligation pour tout membre du personnel de fournir sa prestation de travail de manière convenable. Ainsi, lorsqu’il se présente sur les lieux de travail sous l’effet de l’alcool, de la drogue, de médicaments ou de toute autre substance nuisant à sa prestation de travail, il se rend passible de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
En outre, cette personne a aussi plusieurs obligations en matière de santé et de sécurité au travail, dont celles prévues à l’article 49 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[5].
Tout comme en matière criminelle ou pénale, certains comportements des employés sont jugés plus sévèrement que d’autres. Ainsi, le trafic de stupéfiants sur les lieux du travail pourra justifier une sanction plus sévère que la simple possession de substances[6]. De même, la possession de substances illégales a souvent été jugée moins sévèrement que le fait de se présenter avec les facultés affaiblies sur les lieux de son travail, notamment en raison des risques reliés à la santé et à la sécurité des autres employés que la personne pourrait côtoyer dans cet état.
La sanction imposée en cas de consommation est donc variable, notamment en fonction des tâches que la personne doit effectuer et du lieu de son travail. Par exemple, une personne opérant de la machinerie lourde peut se voir imposer une sanction plus sévère qu’une autre travaillant dans un bureau, pour un manquement similaire, vu l’absence ou le moindre risque que comporte la consommation de substances interdites dans ce dernier cas.
III. Les modifications apportées par la légalisation du cannabis
La légalisation du cannabis aura pour effet de rendre interchangeable la réglementation de sa possession et de sa consommation en matière de relations de travail avec celle de la possession et de la consommation d’alcool. Ainsi, un employeur sera non seulement en droit d’interdire la consommation de cannabis ou d’être sous l’effet de ce type de substance sur les lieux du travail, mais il aura également l’obligation d’interdire de tels gestes lorsque cela pourra avoir un effet sur la santé et la sécurité des autres personnes présentes sur les lieux du travail.
À la suite de la légalisation du cannabis, un employeur devra se montrer beaucoup plus vigilant afin d’assurer la protection de la santé et de la sécurité de ses employés. À cette fin, il pourra procéder au dépistage de drogues. Toutefois, s’il est aujourd’hui relativement aisé de déterminer qu’une personne est sous l’influence de l’alcool, en raison de ses agissements, il est loin d’être aussi facile de conclure qu’une personne est sous l’influence de la marijuana, notamment en raison des diverses manières dont cette drogue peut être consommée, y compris au moyen de produits alimentaires ne laissant aucune odeur caractéristique.
Qu’en est-il du dépistage de cette substance sur les lieux du travail? La jurisprudence reconnaît que pour être valides, les tests de dépistage doivent être justifiés par des motifs raisonnables de soupçonner qu’un membre du personnel est sous l’influence du cannabis[7]. Ainsi, l’employeur ne pourra pas systématiquement procéder au dépistage de ses employés avant de leur permettre de se rendre à leur poste de travail ou à des tests de dépistage aléatoire, à moins de respecter les exigences prévues par la jurisprudence. Ce faisant, l’employeur doit avoir des motifs sérieux, raisonnables et probables, et ce, suivant, notamment, les décisions Goodyear[8] et Shell[9].
Toutefois, lorsque le test de dépistage est fait conformément aux règles ci-dessus établies, le refus d’une personne de subir ce type de test justifie l’imposition de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement[10].
Cannabis médicinal
Les employeurs peuvent se trouver devant une situation où la personne est dépendante de la substance ou utilise le cannabis à des fins médicales. Dans ces circonstances, l’employeur devra tenter d’accommoder cette personne qui est limitée dans l’exécution de ses fonctions en raison d’un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne[11], sous réserve de la contrainte excessive. La contrainte est évaluée au cas par cas et tient compte notamment du poste occupé.
Pareil accommodement pourrait prendre la forme, par exemple, de modifications aux tâches liées au poste, à l’adaptation du poste ou aux outils de travail. Évidemment, chaque cas est un cas d’espèce qui mérite son analyse propre, et l’entreprise n’a pas à adopter de mesures qui seraient excessivement contraignantes.
Une question qui se sera manifestement étudiée suivant la mise en vigueur de la loi sur le cannabis consistera à évaluer si les médecins traitants vont être plus portés à prescrire cette substance maintenant légale. Dans ce contexte, il est fort probable que certains employeurs pourraient remettre en question la prescription du cannabis si celle-ci est la première solution proposée par le médecin traitant.
IV. Conclusion
Même si la légalisation de la marijuana opérera des changements majeurs en matière de réglementation pénale et criminelle, une telle modification législative n’aura que peu d’impacts sur le quotidien des employeurs et des employés. Elle ne donne pas aux employés le droit de se présenter à leur travail sous l’influence de cette substance ni d’en faire le trafic, tout comme c’est le cas en matière de consommation d’alcool.
Toutefois, il est fortement recommandé aux employeurs de mettre à jour leur politique ou d’en instaurer une. Celle-ci sera considérée comme un facteur aggravant par les tribunaux dans le cadre de l’imposition d’une mesure disciplinaire.
Il est à prévoir que des employés demanderont de se faire prescrire du cannabis pour des fins médicales et que, considérant la légalité du produit, les médecins traitants prescriront ce médicament. Dans ce contexte, l’employeur aura l’obligation d’accommoder les salariés jusqu’à une contrainte excessive ou, en cas de doute, de remettre en question la prescription et de les soumettre à un examen médical pour valider si le cannabis est le seul traitement possible.
En somme, les employeurs devront adapter leurs politiques et leurs pratiques à cette nouvelle réalité et accroître leur vigilance quant à une éventuelle augmentation de la consommation du cannabis au travail sous quelque forme que ce soit.
Source : VigieRT, mai 2017.
1 | RLRQ c. S-2.1, art. 51. |
2 | art. 2087 C.c.Q. |
3 | c. C-12, art. 46. |
4 | Infasco, division d’IfastgroupeetSyndicat des métallos, section locale 6839, D.T.E. 2013T-389 (T.A.). |
5 | RLRQ c. S-2.1, art. 51. |
6 | Multi-marques Distribution inc.etSyndicat international des travailleuses et travailleurs de la boulangerie, de la confiserie et du tabac, section locale 55 (F.A.T.-C.O.I.-C.T.C.-F.T.Q.), D.T.E. 2011T-1146 (T.A.). |
7 | Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30c.Pâtes & Papier Irving, Ltée, [2013] 2 R.C.S. 458. |
8 | Section locale 143 du Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papierc.Goodyear Canada inc., 2007 QCCA 1686 (C.A.). |
9 | Shell Canada ltéeetTravailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP. D.T.E. 2010T-68 (T.A). |
10 | Hydro-QuébecetSyndicat des employé-e-s de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500, Syndicat canadien de la fonction publique (F.T.Q.), D.T.E. 2015T-473 (T.A.);Syndicat des métallos, section locale 7625 et Groupe Permacon, une compagnie Oldcastle, Anjou (Québec), D.T.E. 2012T-685 (T.A). |
11 | L.R.Q. c. C-12. |