De nos jours, l’accès à l’information est facile grâce aux médias sociaux notamment, et la société est constamment à son affût. Cette accessibilité engendre aussi la possibilité de communiquer ouvertement, librement et souvent sans nécessairement réfléchir aux conséquences des paroles qui sont dites ou écrites. L’exemple de Facebook en est un bon. Qu’en est-il lorsqu’un salarié s’exprime publiquement afin de critiquer son employeur en ce qui concerne sa gestion de l’entreprise? Le présent texte porte sur les conséquences possibles d’un tel geste et vise à déterminer si les employeurs sont en droit de congédier un employé pour un tel comportement et si oui, selon quels critères.
La relation d’emploi entre un salarié et son employeur est prévue à l’article 2085 du Code civil du Québec, selon lequel, le « contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur ».
Selon la jurisprudence, la relation d’emploi se définit comme suit : « l’acceptation d’un rapport de subordination dans le cadre duquel le salarié accepte la direction et le contrôle de l’employeur dans l’exécution des fonctions prévues »[1]. Cette relation de subordination amène, entre autres, une autre obligation fondamentale dans la relation d’emploi, soit celle de loyauté prévue à l’article 2088 du Code civil du Québec :
« 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui. »
Cette obligation de loyauté exige que le salarié soit fidèle à son employeur et que ses actions soient effectuées en toute bonne foi. Lorsqu’un salarié s’exprime publiquement contre son employeur, la jurisprudence canadienne nous enseigne que cela constitue un manquement à son obligation de loyauté envers ce dernier et que cela peut, dans certains cas, mener au congédiement du salarié en question. Voyons ce que la jurisprudence québécoise récente nous démontre à ce sujet.
Dans l’affaire Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôt et autres ouvriers Teamsters Québec, section locale 106, FTQ et Autobus Citadelles inc. (Gatineau), D.T.E. 2011T-678 (T.A.), le plaignant, un chauffeur d’autobus au service d’une entreprise de transport adapté, était mécontent du fait que les chauffeurs soient tenus de nettoyer l’intérieur de leur véhicule. Il a donné une entrevue à la télévision indiquant que, les clients ayant des handicaps, il remettait en question l’entretien et la salubrité des véhicules. L’employeur l’a congédié parce qu’il avait manqué à son obligation de loyauté et qu’il avait mis en péril l’entreprise, entraînant ainsi la rupture du lien de confiance. Devant l’arbitre de grief, le congédiement a été maintenu, car l’employé en question, par ses propos lors de l’entrevue, avait causé un préjudice à son employeur. L’employé n’avait ensuite exprimé aucun regret quant à ses gestes, et l’arbitre en est venu à la conclusion que le lien de confiance était irrémédiablement rompu.
Dans l’affaire Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) et 9103-9198 Québec inc., 2011 EXPT-2241 (T.A.), la plaignante, une chauffeuse d’autobus au service de deux résidences pour personnes âgées, a été congédiée pour avoir accepté des pourboires des résidents, malgré l’interdiction claire énoncée dans la politique de l’employeur et les avis de ce dernier à ce sujet, ainsi que pour avoir organisé une rencontre avec les clients afin de les aviser qu’elle s’était vu imposer une mesure disciplinaire à ce sujet. L’arbitre a confirmé le congédiement, car selon elle, l’employée n’était nullement justifiée d’organiser une rencontre avec les résidents pour mentionner qu’elle avait reçu une mesure disciplinaire de la part de son employeur. Selon l’arbitre :
« [148] Agir de la sorte constitue un manquement grave à son obligation de loyauté. Une telle réunion était susceptible de porter atteinte à la réputation de l’employeur face à ses résidents et de lui causer un préjudice. Qui plus est, cela était susceptible de perturber inutilement ces personnes qui n’ont aucun intérêt à connaitre les relations de travail qui existent dans l’établissement. De fait, après avoir entendu la preuve, la soussignée constate que les résidentes ayant témoigné à la demande du syndicat étaient fâchées contre l’employeur et ont perçu que ce dernier tentait de les empêcher de disposer de leur argent comme elles le voulaient.
[149] Il n’y avait aucune justification, aucun motif sérieux objectivement défendable pour rendre l’avis disciplinaire public. La plaignante n’avait qu’à se conformer aux attentes de son employeur ce qui signifie notamment de refuser poliment, mais fermement les pourboires. En somme, l’employeur a fait la preuve que cette faute avait bel et bien été commise. »
Voici maintenant une décision où l’arbitre a annulé le congédiement afin de lui substituer une sanction moins sévère. Dans l’affaire Syndicat des employés et employés de métiers d’Hydro-Québec, section locale 1500 et Hydro-Québec, D.T.E. 2012T-433 (T.A.), le plaignant, un employé temporaire en période d’essai à un poste permanent de gardien de sécurité industrielle à la centrale d’alarme d’Hydro-Québec à Trois-Rivières, faisait la patrouille des installations. Il a envoyé une lettre anonyme au président-directeur général de l’employeur et à d’autres hauts dirigeants d’Hydro-Québec décrivant des incidents relatifs à une tentative de vol commise par un tiers, et dans laquelle il remettait en question la procédure suivie par la patrouille. L’employeur a entrepris une enquête. Quelques mois plus tard, le plaignant a avoué être l’auteur de la lettre. Il a été suspendu de façon indéfinie. Dans l’avis de congédiement, l’employeur lui reproche d’avoir envoyé une lettre alarmiste qui discrédite le service de sécurité industrielle et son supérieur immédiat dans laquelle il divulgue sans autorisation et à des fins autres que le travail des renseignements privilégiés et confidentiels, ce qui constitue un manquement à l’obligation de loyauté et de protection de l’information confidentielle. Le congédiement a été annulé, et l’arbitre l’a réintégré sans compensation. À son avis, le fait que l’employé a avoué sa faute et fait preuve de bonne foi n’a pas rompu le lien de confiance irrémédiablement ni justifié le congédiement.
La revue de ces quelques décisions permet de conclure que le congédiement n’est pas une sanction de rigueur lorsque le salarié manque à son obligation de loyauté envers son employeur. Certes, certaines remarques peuvent causer un préjudice sérieux à l’entreprise. Par contre, l’attitude du salarié après le manquement peut justifier une sanction moins sévère que le congédiement.
Ces décisions ne traitent pas de la liberté d’expression des salariés lorsque ceux-ci dénoncent publiquement des méthodes ou des actes illégaux de leur employeur. Selon la jurisprudence, dans une telle situation, le salarié a le droit de dénoncer les faits s’il agit de bonne foi et avec l’objectif de protéger l’intérêt du public. Communément appelée « whistleblowing », cette forme de dénonciation est permise sans que le salarié se retrouve nécessairement en situation de manquement à son obligation de loyauté, car cette obligation, rappelons-le, n’est pas absolue.
En conclusion, il est important de distinguer le « whistleblowing » de la critique publique non justifiée. Ces deux formes de dénonciation n’entraînent pas les mêmes conséquences. La première est permise, alors que la deuxième est catégoriquement interdite et donne souvent lieu à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu’au congédiement. Évidemment, chaque cas en est un d’espèce, et les employeurs doivent faire preuve de prudence avant de congédier un salarié pour ce type de manquement. Il faut toujours analyser tous les faits pertinents avant de conclure que le lien de confiance est irrémédiablement rompu.
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Source : VigieRT, mai 2013.
1 | Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la vie, [2004] 3 RCS 195 (CSC), au par. 55. |