Vous lisez : La divulgation inévitable de l’information
La Cour supérieure, dans une décision prise le 29 septembre dernier, a rejeté une demande en injonction permanente au motif notamment que la théorie de droit américain de l’inevitable disclosure (divulgation inévitable) ne pouvait être appliquée en droit québécois en l’absence d’une clause de non-concurrence[1].

La Cour supérieure refuse d’appliquer la théorie américaine de la divulgation inévitable de l’information

En l’espèce, une maison d’édition demandait à la Cour supérieure l’émission d’une injonction permanente visant à empêcher une ancienne employée (directrice à l’édition en anglais langue seconde) de participer à l’élaboration d’un nouveau matériel pédagogique d’anglais langue seconde pour le compte d’un concurrent. L’ancien employeur invoquait que le fait de travailler à ce projet entraînerait inévitablement l’utilisation ou la divulgation de renseignements confidentiels obtenus par l’ex-employée dans le cadre de son emploi, en violation de son engagement de confidentialité et de son obligation de loyauté.

Pour l’application de la théorie de la divulgation inévitable de l’information, la jurisprudence américaine exige la réunion de plusieurs conditions : mauvaise foi ou conduite répréhensible de l’employé, position similaire chez le nouvel employeur, existence d’un secret de commerce et efforts déployés par l’ancien employeur pour protéger cette information (notamment par l’existence d’une clause de non-concurrence dans le contrat de travail). En l’espèce, la Cour supérieure a constaté que ces conditions n’existaient pas.

De plus, selon la Cour, il faut être très prudent avant d’importer en droit québécois des doctrines provenant d’un système juridique étranger. Ainsi, accepter en droit québécois la théorie de la divulgation inévitable, en l’absence de mauvaise foi de l’employée et en l’absence d’une clause de non-concurrence, violerait les principes fondamentaux du droit civil québécois et notamment les principes de la liberté du travail et de la liberté de concurrence, la présomption de bonne foi ainsi que la non-existence d’une clause de non-concurrence implicite dans un contrat d’emploi.

La Cour supérieure a aussi rappelé qu’il n’existait aucune obligation implicite empêchant un employé de travailler chez un concurrent direct de son ancien employeur en l’absence de clause de non-concurrence et que l’obligation de loyauté ne pouvait venir entraver la liberté de travail et de concurrence. Ainsi, en l’absence de clause de non-concurrence et de toute autre clause limitant la liberté de travail, c’est l’article 2088 du Code civil du Québec[2] relatif à l’obligation de loyauté et à l’obligation de confidentialité du salarié qui s’applique.

Michel Towner, CRIA, avocat et Sandrine Thomas[3], avocate du cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l.

Source : VigieRT, numéro 32, novembre 2008.


1 Éditions CEC inc. c. Hough, 2008 QCCS 4526 (C.S.).
2 L.Q., 1991, c. 64.
3 Détentrice d'un permis restrictif du Barreau du Québec en droit du travail et de l'emploi et en droit de la santé et de la sécurité du travail.
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