Vous lisez : L’article 56 de la LMTP n’est pas discriminatoire!

La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après la Loi ou la LATMP)[1] prévoit le droit à une indemnité de remplacement du revenu lorsqu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle est incapable d’occuper son emploi en raison de cette lésion.

Pour les travailleurs âgés, l’article 56 de la Loi prévoit qu’à compter de 65 ans, l’indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % par année pour s’éteindre complètement à 68 ans. Toutefois, lorsqu’un travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il est âgé de 64 ans ou plus, l’indemnité de remplacement sera réduite de 25 % par année, à compter de la deuxième année de la lésion pour s’éteindre complètement à la fin de la quatrième année[2].

Le 16 mars 2010, la Commission des lésions professionnelles (ci-après CLP) rendait une décision fort importante en déclarant que cet article 56 de la Loi était discriminatoire à l’encontre des travailleurs âgés. Une décision qui a ensuite été contestée au moyen d’une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure du Québec.

Le 4 février dernier, un juge de la Cour supérieure a rendu son jugement dans ce dossier. La Cour supérieure devait se prononcer sur la validité de l’article 56 de la LATMP[3] au regard de l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la
personne
[4] (ci-après Charte québécoise) et de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[5] (ci-après Charte canadienne). Voici un résumé de cette affaire.

La Commission de la santé et de la sécurité au travail et le Procureur général du Québec c. Commission des lésions professionnelles et Bernard Côté et La Traverse Rivière-du-Loup/Saint-Siméon[6]

Les faits
Le travailleur, un matelot à l’emploi de la Traverse Rivière-du-Loup/Saint-Siméon, a glissé sur une plaque d’huile lors de la manœuvre d’accostage d’un navire, subissant ainsi une lésion au genou droit le 1er août 2007. Le 29 novembre 2007, alors qu’il est âgé de 64 ans, il subit une rechute le rendant ainsi incapable de reprendre son emploi. Son indemnité calculée selon la Loi était alors de 73,81 $ par jour, ce qui représentait 90 % de son salaire net.

Ainsi, la CSST a réduit de 25 % l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur, à compter du 29 novembre 2008, soit au début de la deuxième année suivant son incapacité en application de l’article 56 de la Loi.

Le travailleur a contesté cette réduction de son indemnité. Il prétend que l’article 56 de la Loi est discriminatoire, car il contrevient à l’article 10 de la Charte québécoise qui prohibe la discrimination fondée sur l’âge[7] et qu’il va à l’encontre de l’article 15 de la Charte canadienne[8] qui prône le droit à l’égalité.

Le procureur général, qui était partie au litige, avait argumenté au moment de l’audience devant la CLP que cet article 56, en vigueur depuis 1985, avait été prévu dans la Loi puisqu’il s’inscrivait dans un ensemble législatif cohérent. En effet, puisque la vaste majorité des travailleurs accède à la retraite à l’âge de 65 ans, l’âge moyen de la retraite étant de 59,1 ans, il est donc normal que l’indemnité cesse au moment où le travailleur ne reçoit plus de salaire et que le régime de la Régie des rentes du Québec prévoit alors un revenu de retraite.

La décision de la Commission des lésions professionnelles
La CLP a considéré que la réduction de l’indemnité de remplacement du revenu constituait « une distinction fondée sur l’âge non permise par l’article 10 de la Charte québécoise puisque cette disposition a pour effet d’empêcher un travailleur qui subit une lésion professionnelle, quand il est âgé d’au moins 64 ans ou lorsqu’il atteint 65 ans s’il a subi une lésion professionnelle avant l’âge de 64 ans, de bénéficier de toutes réparations prévues à la LATMP et prévues à son objet énoncé à l’article 1 »[9]. La CLP est également venue à la conclusion que l’article 56 LATMP établit une distinction formelle pour les travailleurs âgés de 65 ans et plus et que cette distinction est fondée sur l’âge, soit l’un des motifs énumérés à l’article 15 (1) de la Charte canadienne.

Toutefois, le tribunal s’est exprimé ainsi[10] :

« [188] De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, le travailleur qui décide de travailler au-delà de l’âge « normal » de la retraite n’a pas à être pénalisé du fait de sa décision. S’il subit une lésion professionnelle qui le rend incapable de travailler, il a droit à la même protection que tout autre travailleur placé dans la même situation que lui, c’est-à-dire qui a subi une lésion professionnelle le rendant incapable de travailler, dont la compensation pour sa perte de capacité de gagner un revenu. »

C’est donc après avoir analysé la portée de l’article 56 LATMP à la lumière des principes jurisprudentiels établis par la Cour suprême[11] en matière de droit à l’égalité, que la CLP a conclu que le travailleur avait démontré, de façon prépondérante, que l’article 56 LATMP portait atteinte a un droit garanti par la Charte québécoise et par la Charte canadienne. La CLP a donc déclaré que l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur ne pouvait être réduite. Le juge administratif a conclu que l’objectif poursuivi par l’article 56 LATMP ne pouvait se justifier au sens de l’article 1 de la Charte canadienne. Il n’a toutefois pas invalidé l’article 56 LATMP.

Motifs au soutien de la requête en révision judiciaire
La CSST et le Procureur général du Québec alléguaient, comme principaux motifs à l’appui de leur requête en révision judiciaire, que :

  • Le juge administratif a ignoré le texte de l’article 10 de la Charte québécoise qui permet une distinction fondée sur l’âge « dans la mesure prévue par la Loi »;
  • Le juge administratif a erré en concluant que l’article 56 LATMP perpétuait un préjugé ou l’application de stéréotypes à l’égard des personnes âgées de 65 ans et plus;
  • Le juge administratif s’est mépris quant aux critères d’analyse applicables en l’espèce;
  • Le commissaire s’est livré à une analyse bâclée de la justification de l’article 56 LATMP au sens de l’article 1 de la Charte canadienne.

Quant au travailleur, celui-ci a présenté une requête incidente demandant de déclarer invalide l’article 56 de la LATMP.

La décision de la Cour supérieure
La Cour supérieure devait donc déterminer si la décision de la CLP concernant la conformité de l’article 56 LATMP aux chartes québécoise et canadienne était une « décision correcte » au sens de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[12].

Le juge n’avait donc pas à se demander si la décision de la CLP était raisonnable ou non. Il devait en fait répondre à la question suivante : l’article 56 LATMP contrevient-il aux dispositions de l’une et l’autre des chartes?

La Cour supérieure a tout d’abord analysé le régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail en mettant en parallèle les dispositions relatives aux règles de financement du fonds et les dispositions reliées à l’indemnisation des travailleurs. La Cour a également fait un survol des principes jurisprudentiels établis par la Cour suprême[13] en matière d’allégation de discrimination fondée sur l’âge.

Le juge a finalement conclu que le travailleur n’avait pas démontré de façon prépondérante que les personnes âgées de 65 ans et plus faisaient l’objet d’un désavantage au sens de l’article 15 de la Charte canadienne. Il mentionne ce qui suit :

« [47] Enfin, le préjudice allégué en est un d'ordre économique. S'il est acquis que par l'application de l'article 56 de la LATMP le travailleur subit une diminution de l’indemnité de remplacement du revenu, il ne démontre pas qu’il subit véritablement un préjudice puisqu’il n’est privé d'aucun des régimes sociaux qui deviennent en même temps applicables à sa situation.

[48] En somme, le mis en cause, […], ne démontre pas que la distinction fondée sur l'âge, que l'on retrouve à l'article 56 de la LATMP, perpétue un préjugé, applique des stéréotypes et crée ainsi un désavantage. Au contraire, selon même des éléments de preuve retenus par la CLP, la mesure a pour objectif de coordonner différents programmes de prestations en se basant sur la prémisse que la très grande majorité des travailleurs est à la retraite à l'âge de 65 ans.

[49] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que le mis en cause n'a pas démontré que la distinction fondée sur l'âge est discriminatoire. Vu cette détermination, il n'y a pas de violation à l'article 15 (1) de la Charte des droits et libertés. Par conséquent, il n'y a pas lieu de s'interroger sur la justification prévue au premier article de la même Charte. »

Le juge est également venu à la conclusion que la distinction fondée sur l’âge respectait l’article 10 de la Charte québécoise puisque cet article prévoit une exception à l'égard du motif de l'âge « sauf dans la mesure prévue par la Loi ».

La Cour supérieure a donc déclaré que l’article 56 LATMP est conforme aux chartes et que, par conséquent, la CSST était en droit de réduire l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur.

Conclusion
Avec le vieillissement de la population, cette décision de la Cour supérieure revêt une importance certaine considérant. Dans le contexte où une portion de la population vieillissante recherche des aménagements pour demeurer active sur le marché du travail au-delà de l’âge « normal » de la retraite, une décision qui aurait déclaré invalide l’article 56 de la LATMP aurait eu un impact majeur sur le coût du régime d’indemnisation des victimes d’accidents du travail en l’assimilant à un régime de retraite pour les travailleurs qui subissent un accident alors qu’ils sont âgés de plus 64 ans.

Il faudra suivre cette question avec intérêt puisque le travailleur a déposé une requête[14] pour permission d’en appeler devant la Cour d’appel.

 

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Source : VigieRT, avril 2011.


1 Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001.
2 Article 56, L.R.Q., c. A-3.001.
3 L.R.Q., c. A-3.001.
4 L.R.Q., c. C-12.
5 Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R-U), L.R.C. 1985, APP2, numéro 44.
6 200-17-12845-103, 4 février 2011, l’honorable Benoît Moulin (C.S.).
7 L.R.Q., c. C-12.
8 Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.U., c.11).
9 2010 QCCLP 2074, paragraphe 115.
10 Bernard Côté et Traverse Rivière-du-Loup-Saint-Siméon, Le Procureur Général du Québec et Commission de la santé et sécurité du travail, C.L.P. 376358-31-0904, 16 mars 2010, R. Hudon.
11 Andrews c. Law Society of British Columbia [1989] 1 R.C.S. 143; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), 1991] 2 R.C.S. 22; Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] 2 R.C.S. 525; Law c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1999]1 R.C.S. 497; Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161.
12 [2008] 1 R.C.S. 190.
13 Voir note 6.
14 200-09-007313-114, 25 février 2011.
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