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La Cour d’appel se prononce : l’arbitre de griefs n’est pas compétent pour statuer sur un recours fondé sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail.

Les conventions collectives excluent généralement les employés à statut précaire (employés occasionnels, salariés à l’essai, employés temporaires, employés sur la liste de priorité, etc.), du recours à la procédure de grief, en cas de congédiement. Ces employés disposent cependant, s’ils ont deux ans de service continu, du recours pour congédiement sans cause juste et suffisante prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail] [1](L.N.T.).

Dans plusieurs décisions rendues le 2 juin 2008[2], la Cour d’appel a décidé que l’article 124 L.N.T. n’est pas intégré implicitement dans les conventions collectives et que la Commission des relations du travail (C.R.T.) a donc une compétence exclusive pour statuer sur une plainte soumise par des employés syndiqués en application de cet article.

Dans toutes ces affaires, des employés à statut précaire ayant deux ans de service continu ont fait l’objet d’une terminaison d’emploi. Des griefs ont été déposés, au nom de ces employés, par leur syndicat.

Les employeurs ont alors soulevé des objections préliminaires basées sur l’incompétence de l’arbitre de griefs pour se prononcer sur l’application de l’article 124 L.N.T. Les syndicats ont invoqué quant à eux, pour soutenir la compétence de l’arbitre, l’incorporation implicite de cet article dans les conventions collectives.

À l’image du débat qui dure depuis plusieurs années, les arbitres ont adopté des positions divergentes. Ainsi, dans certaines sentences arbitrales, les arbitres se sont déclarés compétents pour statuer sur l’article 124 L.N.T.[3] alors que d’autres ont décidé le contraire[4].

Sauf dans une décision[5], la Cour supérieure a jugé que l’article 124 L.N.T. n’est pas incorporé implicitement à la convention collective et, donc, que seule la C.R.T. a compétence pour appliquer cette disposition[6].

Il appartenait à la Cour d’appel de trancher la controverse suivante : les plaignants devaient-ils exercer leur recours basé sur l’article 124 L.N.T. devant l’arbitre de griefs ou devant la C.R.T.?

Afin de répondre à cette question, la Cour d’appel devait déterminer si cette disposition est incorporée implicitement ou non aux conventions collectives.

L’alinéa 1 de cet article énonce :

« Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention. »

La Cour d’appel a décidé que l’article 114 du Code du travail[7] confère une compétence exclusive à la C.R.T. pour statuer sur une plainte déposée en application de l’article 124 L.N.T. De plus, selon cette dernière, il existe une volonté claire du législateur de ne pas intégrer cette dernière disposition aux conventions collectives.

Ainsi donc, un arbitre de griefs doit se déclarer incompétent ou déclarer le grief irrecevable lorsqu’il est saisi d’une plainte fondée sur l’article 124 L.N.T., à moins que celui-ci n’ait été explicitement incorporé, par les parties, à leur convention collective.

À l'exception de la décision Syndicat du personnel de soutien de la Commission scolaire des Sommets (CSN) c. Commission scolaire des Sommets, les jugements de la Cour d'appel ont fait l'objet de demandes d'autorisation d'appel devant la Cour suprême. Il reviendra donc à cette dernière de trancher la controverse actuelle.

Michel Towner, CRIA, avocat et Sandrine Thomas, avocate du cabinet Fraser Milner Casgrain s.e.n.c.r.l. Me Sandrine Thomas est détentrice d'un permis restrictif du Barreau du Québec en droit du travail et de l'emploi et en droit de la santé et de la sécurité du travail.

Source : VigieRT, numéro 30, septembre 2008.


1 L.R.Q., c. N-1.1.
2 Québec (Procureur général) c. Syndicat de la fonction publique du Québec, D.T.E. 2008T 513 (C.A.); Québec (Procureur général) c. Syndicat de la fonction publique du Québec, 2008 QCCA 1046 (C.A.); Syndicat du personnel de soutien de la Commission scolaire des Sommets (CSN) c. Commission scolaire des Sommets, 2008 QCCA 1055 (C.A.); Syndicat des professeures et professeurs de l’Université du Québec à Trois-Rivières c. Université du Québec à Trois-Rivières, 2008 QCCA 1056 (C.A.); Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 1057 (C.A.).
3 Syndicat de la fonction publique du Québec et Québec (Gouvernement du), D.T.E. 2006T-228 (T.A.); Commission scolaire des Sommets et Syndicat du personnel de soutien de la Commission scolaire des Sommets (CSN), D.T.E. 2005T-617 (T.A.).
4 Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy et Collège de Ste-Foy, D.T.E. 2005T-923 (T.A); Syndicat des professeures et des professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières et Université du Québec à Trois-Rivières, Soquij AZ-50354092 (T.A.); Syndicat de la fonction publique du Québec et Québec (Ministère du Revenu), D.T.E. 2006T-473 (T.A.).
5 Québec (Procureur général) c. Flynn, D.T.E. 2006T-1000 (C.S.).
6 Commission scolaire des Sommets c. Rondeau, D.T.E. 2006T-345 (C.S.); Syndicat des professeures et professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières c. Tremblay, D.T.E. 2007T-269 (C.S.) ; Syndicat des professeurs du Cégep de Ste-Foy c. Beaulieu, D.T.E. 2007T-429 (C.S.).
7 L.R.Q., c. C-27.
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