Vous lisez : Indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable

Dans l’arrêt Transforce inc. c. Marc Baillargeon rendu le 23 août dernier[1], la Cour d’appel maintient une décision de la Cour supérieure accordant une indemnité équivalente à 11 mois de salaire (485 187,47 $) à un cadre congédié sans motif sérieux après 38 jours d’emploi.

Fait particulier, le cadre en question venait de toucher une somme de 450 000 $ dans le cadre de sa cessation d’emploi chez son ancien employeur. Transforce inc. argumentait, entre autres, que cette somme devait être déduite de toute indemnité pouvant lui être due en raison de son congédiement sans motif sérieux, et ce, afin d’éviter une double indemnisation.

Procédant à une analyse des critères permettant d’établir le délai de congé raisonnable, la Cour d’appel rappelle que cette indemnité de cessation d’emploi a une vocation strictement compensatrice. Elle vise essentiellement à indemniser le salarié pour la perte économique subie en raison du délai nécessaire pour se trouver un nouvel emploi. Sur la question de la double indemnisation, la Cour d’appel rejette l’argument de Transforce inc. et refuse de déduire de l’indemnité due la somme de 450 000 $ versée au cadre lors de sa cessation d’emploi chez son employeur précédent.

L’affaire soumise à l’attention de la Cour d’appel survient dans un contexte bien précis. Cependant, cette décision devrait être invoquée dans d’autres affaires mettant en cause l’indemnité tenant lieu de préavis. Il est donc intéressant de s’y attarder.

Faits
À la suite des démarches d’un chasseur de têtes afin de trouver le candidat idéal à un poste de vice-président exécutif, Transforce inc. en rencontre un en entrevue. Celui-ci occupe alors des fonctions de président au sein de Ratiopharm Canada, mais il envisage de quitter son emploi à l’approche d’une importante restructuration qui pourrait l’affecter.

Alors que Transforce inc. s’intéresse à sa candidature, il apprend qu’il fait l’objet d’une enquête chez Ratiopharm Canada à la suite d’une dénonciation anonyme comportant des allégations de fraude à son endroit. Celui-ci ne croit pas opportun de mentionner ce fait aux représentants de Transforce inc. pendant le processus de recrutement.

Dans les faits, Ratiopharm Canada complète son enquête et ne retient aucun reproche à son endroit. Ce dernier décide d’accepter l’offre d’emploi de Transforce inc. et signe une entente de fin d’emploi avec Ratiopharm Canada. Celle-ci s’engage alors à lui verser l’indemnité de cessation d’emploi prévue à son contrat de travail, soit la somme de 450 000 $ (18 mois de salaire).

Peu de temps après son embauche, Transforce inc. apprend qu’il a fait l’objet d’une enquête pour fraude chez son ancien employeur. Le fait qu’il ait été blanchi importe peu, Transforce inc. estime que son nouveau vice-président exécutif a manqué d’honnêteté et de transparence lors du processus d’embauche en ne révélant pas cette situation. Pour ce motif, elle décide de le congédier sans aucune compensation après 38 jours d’emploi. Celui-ci intente alors une action en dommages et intérêts pour congédiement sans motif sérieux.

Cour supérieure
La Cour supérieure fait droit à l’action du plaignant et lui accorde une indemnité tenant lieu de préavis équivalent à 11 mois de salaire.

Selon la Cour, lors du processus d’embauche, le cadre n’avait pas à divulguer à Transforce inc. le fait qu’il avait été l’objet d’une enquête chez son employeur précédent en raison de fausses accusations par une personne anonyme.

Aussi, l’octroi d’une indemnité de 11 mois de salaire est justifié puisqu’il ne s’est pas trouvé un emploi dans ce délai. La Cour supérieure ajoute qu’il n’y a pas lieu de prendre en considération la somme de 450 000 $ qui lui a été accordée par son employeur précédent en compensation de son poste de président, laquelle somme était prévue à son contrat de travail.

Cour d'appel

1) Absence d’obligation de divulgation
La Cour d’appel maintient cette condamnation en refusant de conclure que l’omission reprochée au cadre lors du processus d’embauche pouvait constituer un motif sérieux de congédiement. Ainsi, un candidat à un poste, si important soit-il pour l’organisation, ne peut être tenu de révéler à son futur employeur qu’il a déjà fait l’objet de propos calomnieux ou d’allégations qui se sont finalement révélées fausses.

Tout candidat à un poste conserve son droit à son intégrité, à sa dignité, à son honneur et à sa réputation protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Au surplus, « une fausse information véhiculée de façon anonyme sur une personne et l’enquête confidentielle qui en confirme la fausseté ne sont pas, de toute manière, des informations objectivement pertinentes pour l’appréciation de la candidature de cette personne »[2].

Transforce inc. n’avait donc aucun motif sérieux de résilier le contrat de travail après 38 jours d’emploi, et le cadre a droit à une indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable.

2) Délai de congé raisonnable
La Cour d’appel rappelle d’abord que le délai de congé raisonnable a une vocation indemnitaire. Il doit permettre au salarié de bénéficier d’un délai raisonnable afin de se trouver un nouvel emploi sans subir de perte économique.

La Cour énonce ensuite les principaux critères développés par la jurisprudence afin de déterminer la durée du délai de congé :

« [53] L'article 2091C.c.Q. parle plutôt d'un délai raisonnable, chaque cas étant un cas d'espèce devant être évalué en fonction des différents critères énumérés à cet article et développés par la jurisprudence. Les plus souvent invoqués sont les suivants :
  • la nature et l'importance du poste occupé par l'employé, l'idée étant que plus le poste sera important, plus le délai-congé sera long;
  • le nombre d'années de service de l'employé. Plus ce dernier sera ancien dans l'entreprise, plus le délai-congé sera long;
  • l'âge de l'employé. Plus l'employé sera âgé, plus on présume qu'il lui faudra du temps pour se replacer sur le marché du travail et plus son délai-congé sera long;
  • les circonstances ayant mené à son engagement. Un employé, par exemple, qui est sollicité et qui laisse un emploi rémunérateur et certain aura droit à un délai-congé plus long que celui qui est sans emploi ou dont l'emploi est incertain;
  • la difficulté de se trouver un emploi comparable. Plus cette difficulté sera grande, plus le délai-congé sera long.
[54] Chose fondamentale à ne pas oublier, aucun de ces critères ne doit être examiné isolément. C'est dans une perspective globale qu'ils doivent être pris en compte, ce qui constitue un délai-congé raisonnable étant ‘essentiellement une question de fait qui varie avec les circonstances propres à chaque espèce »[3].

Analysant ces divers critères, la Cour d’appel retient plus particulièrement l’importance du poste que le cadre devait occuper ainsi que les difficultés rencontrées afin de se trouver un emploi pour conclure que le délai de congé équivalent à 11 mois de salaire accordé par la Cour supérieure devait être maintenu.

Dans les faits, la Cour d’appel souligne que ce n’est qu’au mois de février 2008, plus d’un an après son congédiement, que le plaignant est parvenu à se trouver un nouvel emploi, après avoir participé à sept entrevues pour des employeurs différents.

3) Double indemnisation?
Au soutien de son appel, Transforceinc. prétendait que la somme de 450 000 $ accordée au plaignant par son employeur précédent, à titre d’indemnité de cessation d’emploi, devait être déduite de l’indemnité de 11 mois de salaire fixée par la Cour supérieure (485 187,47 $).

En effet, selon Transforceinc., il bénéficiait d’une situation inadmissible de double indemnisation en obtenant, au cours d’une même année, une indemnité de son ancien employeur et une indemnité de son nouvel employeur pour deux fins d’emploi survenant à quelques semaines d’intervalle, soit une somme totale de 935 157,47 $!

En vertu de la vocation indemnitaire du délai de congé raisonnable, ne fallait-il pas conclure effectivement que le cadre était indemnisé deux fois plutôt qu’une, par ses deux employeurs successifs, pour la même période où il était sans emploi?

Dans le contexte de l’affaire, la Cour d’appel répond par la négative à cette question de savoir si les sommes accordées à titre d’indemnité de cessation d’emploi par un employeur précédent doivent être déduites de l’indemnité devant être accordée par un autre employeur quelques semaines plus tard.

En effet, la Cour d’appel refuse de conclure à une situation de double indemnisation. Selon la Cour, le droit à l’indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable ne varie pas en fonction de la situation patrimoniale du salarié :

« [75] Je ne suis pas d'accord. L'intimé, en vertu du contrat qu'il avait avec Ratiopharm, était en droit de recevoir une telle indemnitéde cessation d'emploi. Aussi, en vertu de quel principe de droit un tiers par rapport à ce contrat pourrait en prendre avantage et ainsi éluder ses propres obligations? Le contrat de l'intimé avec Ratiopharm et celui entre l'intimé et l'appelante ne sont pas des vases communicants. Certes, l'appelante avait le droit de résilier sans motif le contrat de l'intimé. Elle devait cependant lui verser une indemnité tenant lieu de délai-congé raisonnable, et ce, peu importe sa situation patrimoniale. Car, à y regarder de près, c'est là où mène la position de l'appelante. N'aurait droit à un délai-congé que l'employé congédié dont la situation financière est précaire. Ce ne peut être là l'état du droit »[4].

Commentaires
La détermination du délai de congé raisonnable dans le cas d’un congédiement sans motif sérieux constitue un exercice difficile. Malgré un ensemble de critères objectifs élaborés par la jurisprudence, la Cour d’appel soulignait dans une affaire plus ancienne qu’il ne s’agit pas d’un « calcul strictement mathématique ou d’une pure et simple évaluation comptable »[5]. Une analyse globale des circonstances propres à chaque affaire est nécessaire afin de tenter de déterminer, le plus exactement possible, la durée du délai de congé raisonnable.

L’arrêt Transforce inc. c. Marc Baillargeon fournit un tour d’horizon fort intéressant des critères entourant la détermination du délai de congé raisonnable. Bien que l’analyse de la Cour d’appel porte sur une situation plutôt inusitée, celle d’un congédiement sans motif sérieux quelques semaines après une embauche, l’affaire constitue une nouvelle occasion de rappeler la vocation indemnitaire du délai de congé.

Dans leur ouvrage Le droit de l’emploi au Québec, les auteurs Morin, Brière, Roux et Villagi résument bien cette vocation indemnitaire du délai de congé :

« Les pouvoirs de réparation du tribunal de droit commun visent essentiellement à compenser complètement, mais sans plus, la victime pour le préjudice subi. Le Code civil du Québec consacre le principe de la restitutio in integrum (art. 1611 C.c.Q.). Le salarié congédié sans que l’employeur dispose d’un motif sérieux ne doit pas s’enrichir par le truchement des dommages-intérêts. Il s’agirait de le replacer dans la même situation économique qui aurait dû être la sienne n’eût été la mesure abusive et précipitée de l’employeur (art. 2092 C.c.Q.) »[6].

(nos soulignés)

D’ailleurs, conformément à ce principe, les tribunaux accepteront généralement de déduire de l’indemnité tenant lieu de délai de congé, en partie ou en totalité, les sommes gagnées ailleurs par le salarié pendant la durée du délai de congé.Aussi, l’indemnité pourra être réduite lorsque le salarié n’a pas entrepris d’efforts afin de minimiser son préjudice conformément à son obligation de minimiser ses dommages (art. 1479 C.c.Q.), soit en menant des démarches actives afin de se trouver un nouvel emploi dans le même domaine ou un domaine connexe et en ne refusant pas d’offres d’emploi raisonnables[7].

En l’espèce, cette décision de la Cour d’appel de ne pas déduire de l’indemnité de 11 mois de salaire la somme de 450 000 $ que le cadre venait de recevoir de son ancien employeur quelques semaines plus tôt à titre d’indemnité de cessation d’emploi peut surprendre à priori.

En effet, n’y a-t-il pas là double indemnisation? Une telle conclusion est-elle conforme avec la vocation indemnitaire du délai de congé selon laquelle le salarié a droit à une compensation pour la perte économique liée au délai pour se trouver un nouvel emploi, sans plus?

La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Transforce inc. c. Marc Baillargeon concernant l’absence de double indemnisation semble tout à fait conforme à la vocation indemnitaire de l’indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable.

À cet égard, il faut rappeler que si le cadre n’avait pas été congédié sans motif sérieux et était donc demeuré à l’emploi de son nouvel employeur pendant la durée du délai de congé de 11 mois, celui-ci aurait bénéficié de son salaire pendant cette période (485 187,47 $), tout en conservant également l’indemnité qui lui avait été versée par son ancien employeur (450 000,00 $).

En d’autres mots, en obtenant une compensation de 485 187,47 $ équivalent à 11 mois de salaire sans tenir compte de la somme de 450 000,00 $ déjà acquise, il nous semble que la Cour ne faisait que remettre l’employé dans l’état où il se serait trouvé, n’eût été de son congédiement sans motif sérieux. Celui-ci ne s’enrichissait pas, mais retrouvait plutôt la situation économique qui aurait été la sienne s’il avait travaillé pendant la durée du délai de congé raisonnable.

En terminant, soulignons qu’en matière de détermination de l’indemnité tenant lieu de délai de congé raisonnable dans le cas d’un congédiement sans motif sérieux, employeur et salarié parviendront dans la grande majorité des cas à négocier une entente de fin d’emploi raisonnable en fonction des critères applicables, évitant ainsi un litige.

Conformément au principe selon lequel le délai de congé raisonnable vise d’abord et avant tout à permettre au salarié de bénéficier d’un délai raisonnable sans subir de perte économique, de plus en plus d’employeurs ont pour pratique de tenter de négocier, à titre d’indemnité de cessation d’emploi, le maintien du salaire jusqu’à ce que le salarié se trouve un nouvel emploi et, au plus tard, jusqu’à une période déterminée, qui est celle du délai de congé raisonnable.

Une approche mitoyenne pour les deux parties consisterait à maintenir le salaire jusqu’à ce que le salarié se trouve un nouvel emploi et à verser 50 % du salaire résiduel pour la balance du délai de congé convenu. Rappelons bien sûr qu’aucun délai de congé ne sera dû dans le cas d’un congédiement pour motif sérieux. À cet effet, et compte tenu des enjeux, l’employeur gagnera toujours à obtenir les conseils appropriés avant de procéder à un congédiement sans préavis.

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1 Transforce inc. c. Marc Baillargeon, 2012 QCCA 1495.
2 Ibid, par. 44.
3 Ibid, par. 53-54.
4 Ibid, par. 75.
5 Standard Radio inc. c. Ginette Doudeau [1994] R.J.Q. 1782, 1786 (C.A.).
6 MORIN, Fernand, BRIÈRE, Jean-Yves, ROUX, Dominic, VILLAGI, Jean-Pierre, Le droit de l’emploi au Québec, Wilson & Lafleur, 4e édition, 2010, p. 1488.
7 Cette règle connaît cependant certaines exceptions. À titre d’exemple, l’indemnité prévue dans un contrat de travail ou une politique de l’employeur sera due en totalité, et ce, sans égard aux sommes gagnées ailleurs après la fin d’emploi et sans que le salarié ne soit tenu à une obligation de minimiser ses dommages. Voir : Aksich c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931, SOQUIJ AZ-50382956, D.T.E. 2006T-679. Également, selon une certaine jurisprudence, les sommes gagnées ailleurs par le salarié pendant la durée du délai de congé ne devraient pas être déduites automatiquement de l’indemnité puisqu’en principe, celle-ci est payable à la cessation d’emploi. Voir à cet égard : GAGNON, Robert P., Le droit de l’emploi du travail du Québec, Éditions Yvon Blais, 6e édition, 2008, p. 138-139.
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