Vous lisez : L’utilisation d’Internet en milieu de travail

L’utilisation d’Internet et du courrier électronique comme outils de travail, de recherche et de communication est devenue une réalité quotidienne pour bon nombre de salariés québécois. Toutefois, si l’accès à Internet ou l’usage du courrier électronique accordés pour le travail sont séduisants pour l’employeur, ils présentent aussi des inconvénients importants. En fait, si cette technologie permet entre autres d’améliorer la productivité des employés, les communications internes et externes, la rapidité de certains services, et ce, tout en réduisant certains coûts, elle peut également entraîner une perte de temps considérable et avoir des conséquences graves sur la réputation et l’image de l’entreprise.

Survient alors la dualité entre les droits de l’employeur et ceux des salariés. D’une part, l’employeur, en vertu de son droit de gérance, s’attend à ce que le matériel qu’il met à la disposition de ses employés soit utilisé à des fins professionnelles. Cette attente de l’employeur découle aussi de l’obligation des salariés de fournir une prestation de travail adéquate en contrepartie de la rémunération qu’ils reçoivent[1]. D’autre part, il y a les droits fondamentaux de l’employé, soit ceux à la vie privée et à la libre expression.

Comment un employeur peut-il régir et diminuer le clavardage interminable, les longs moments de navigation sur les sites Internet, la visite de sites inappropriés ou l’utilisation abusive ou inadéquate du courrier électronique, tout en respectant les droits des salariés?

Le présent article se veut un aide-mémoire des principales notions que tout employeur devrait connaître pour encadrer l’utilisation d’Internet sur les lieux de travail et pour sanctionner les employés qui commettent des écarts de conduite importants.

Une politique sur l’utilisation d’Internet
Bien que l’employeur n’ait aucune obligation légale d’adopter une politique sur l’utilisation d’Internet et du courrier électronique, il est impératif qu’il en ait une pour l'encadrer.

Cette politique est importante afin d’informer les salariés de la position de l’employeur sur ce qu’il estime tolérable ou non à ce sujet. Ainsi, dans un premier temps, cette politique devra indiquer que l’usage du courrier électronique et l’accès à Internet sont à la disposition des salariés pour les besoins de leur travail, pendant leurs heures de travail par exemple. Elle devra aussi proscrire l’utilisation abusive ou excessive d’Internet ou du courrier électronique à des fins personnelles, la navigation dans certains sites (pages à connotation sexuelle ou présentant du matériel pouvant être associé à des actes de violence), le téléchargement, la lecture en flux ou la transmission de tout matériel qui n’est pas en lien avec le travail. Cette politique rappellera aussi aux salariés que l’utilisation de ces technologies doit se faire dans le respect de la dignité d’autrui[2].

De plus, la politique devra indiquer qu’à défaut de la respecter, des mesures disciplinaires pourront être entreprises. Enfin, elle servira également à aviser les employés que l’employeur se réserve le droit de surveiller leurs courriers électroniques et leurs activités dans Internet.

Il va de soi que toute politique n’est efficace qu’à partir du moment où elle est communiquée aux salariés. La transmission de celle-ci de main à main, idéalement en exigeant la signature de l’employé pour confirmer qu’il l’a lue, ou par courriel, en demandant un accusé de réception et de lecture, permettra à l’employeur de prouver que l’employé en a pris connaissance. Si l’entreprise possède un manuel de l’employé ou un code de conduite, cette politique devrait également y figurer. Somme toute, la politique doit être claire, connue de tous et appliquée.

La cybersurveillance

Les balises du droit de l’employeur
L’application du droit de gérance et la mise en œuvre de la politique doivent être encadrées. Ainsi, si son droit de gérance lui permet de surveiller l’utilisation d’Internet au travail, l’employeur doit néanmoins respecter certaines balises. Il doit s’assurer que la surveillance exercée respecte les droits de ses employés à la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables.

Cette question du droit à la vie privée d’un employé fut encadrée par la Cour d’appel dans l’arrêt Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau[3]. La Cour d’appel a statué que si l’employeur avait des doutes ou des motifs sensés de surveiller la prestation de travail d’un employé, cela ne constituait pas un empiétement sur le droit à la vie privée. De plus, la Cour indique qu’en milieu de travail, l’expectative raisonnable de l’employé en la matière est moindre que s’il était chez lui. Dans l’affaire Blais c. La Société des loteries vidéo du Québec inc.[4], la Commission des relations du travail, analysant la question du droit à la vie privée, souligne d’abord que l’employeur fournit l’ordinateur, les logiciels et l’accès Internet afin que le salarié s’en serve dans le cadre de ses fonctions. Elle conclut que le salarié ne pouvait ignorer que le contenu des outils que l’employeur mettait à sa disposition relevait davantage de sa vie professionnelle que de sa vie privée.

Somme toute, l’employeur pourra effectuer une cybersurveillance s’il entretient des motifs raisonnables de croire que l’employé utilise Internet à des fins personnelles.

La procédure d’enquête : Les éléments facilitant l’enquête
Souvent, les employeurs devront requérir les services d’un expert en informatique ou de leur gestionnaire du réseau informatique afin d’exercer la cybersurveillance ou la vérification de l’utilisation d’un poste de travail.

Rien ne les empêche de demander l’installation de logiciels qui permettent de demeurer au fait des anomalies. Dans l’affaire Blais précitée, le système électronique de l’organisation ayant bloqué un courriel de taille trop volumineuse, l’employeur a enquêté pour finalement constater que l’employé utilisait Internet pour obtenir du matériel pornographique.

La procédure d’enquête : L’identité du salarié ayant commis l’écart de conduite
Une fois que l’employeur réussit à démontrer que la visite de sites interdits ou un usage abusif ont été faits d’un poste de travail, il lui faut également démontrer qui est l’employé s’étant adonné à ces écarts de conduite. Parfois, son identité ne fait aucun doute, parce qu’il est seul à travailler à cet endroit, mais cela n’est pas toujours aussi évident. En effet, dans la décision Bélisle et Municipalité de Rawdon[5] où l’employeur avait découvert 1600 fichiers à caractère pornographique sur le disque dur de l’ordinateur d’un salarié, l’arbitre a rejeté cet élément, indiquant que plusieurs employés avaient accès à ce poste.

La sanction imposée devra être proportionnelle au vol de temps constaté ou à l’usage inacceptable
Lorsque les soupçons de l’employeur sont confirmés à la suite d’une enquête ou d’une surveillance, il se trouve en bonne position pour sévir.

En ce qui a trait aux sanctions possibles, l’analyse de la jurisprudence nous démontre que la mesure disciplinaire imposée par l’employeur peut aller jusqu’au congédiement.

En fait, la jurisprudence fait état d’une série de critères dont on doit tenir compte pour déterminer la mesure disciplinaire qui s’impose : l’importance du vol de temps, la période de temps pendant laquelle s’échelonne l’utilisation abusive, la répétition de l’écart de conduite de même nature, la gradation des sanctions, le degré d’autonomie de l’employé, la fonction exercée au sein de l’entreprise[6], le mensonge de l’employé (par ex. : la falsification de ses feuilles de temps), la diminution de productivité de l’employé et l’impact sur l’entreprise.

Voici trois décisions où le congédiement pour avoir utilisé Internet fut maintenu en regard de ces critères :

  • Syndicat des employés municipaux de Beloeil (SCFP) et Beloeil (Ville de)[7] dans laquelle l’employé naviguait dans Internet en moyenne trois heures par jour, ce qui représentait 40 % de son temps de travail. Dans cette affaire, l’arbitre souligne le retard dans le travail, la répétition quotidienne, le fait que le salarié avait rempli des feuilles de présence alors qu’il naviguait et la note de service de rappel sur l’utilisation d’Internet remise à tous les salariés tandis que l’enquête s’amorçait.

  • Syndicat des employés de bureau de Thetford Mines et Ville de Thetford Mines (Renaud Bergeron)[8] dans laquelle, pendant une période de 70 jours de travail, l’employé avait navigué 140 heures sur Internet.

  • Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 522 et C.A.E. Électronique ltée[9] dans laquelle l’employé avait consacré 329 heures à consulter des sites pornographiques sur une période de 5 mois. Dans cette affaire, l’arbitre souligne que le vol de temps avait été amplifié par les heures supplémentaires qui avaient été payées au salarié.

Enfin, soulignons que les chiffres de l’Inter@ctive Reid Report révèlent qu’en 2009, les Canadiens ont passé trois heures par semaine de plus à naviguer sur Internet qu’en 2008. Alors, soyez vigilant!

Pour toute question concernant le présent article, n’hésitez pas à communiquer avec Catherine Galardo, CRHA, avocate au sein du cabinet Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L., par téléphone [514 282-7810] ou par courrier électronique [catherine.galardo@lkd.ca].

Pour une revue jurisprudentielle exhaustive, l’auteure vous réfère à l’article de l’auteur Sylvain Lefebvre[10].

Cet article a pour but de fournir des commentaires généraux. Il n’a pas pour but de fournir des conseils ou des opinions juridiques. Le lecteur ne doit pas prendre des mesures sur la foi des renseignements sans prendre conseil auprès d’un avocat à l’égard de questions qui le concernent.

Catherine Galardo, CRHA, avocate, BCL, LLB, en collaboration avec Martine Bergeron, avocate, Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L., (lkd.ca)

Source : VigieRT, numéro 47, avril 2010.


1 Code civil du Québec, art. 2085 et 2088.
2 R. Perreault, « L’adoption d’une politique d’utilisation du courrier électronique et d’internet : où est le bogue? », Développements récents en droit du travail, Barreau, Cowansville, Québec, Yvon Blais, 2000, p. 71.
3 [1999] R.J.Q. 2229 (C.A.).
4 2003 QCCRT 0014 [ci-après « Blais »].
5 2005 QCCRT 0453.
6 Bourassa c. Ville de la Tuque, 2009 QCCRT 0322.
7 D.T.E 2007T-874 (T.A.).
8 D.T.E. 2005T-254 (T.A.).
9 D.T.E. 2000T-157 (T.A.).
10 S. Lefebvre, « Naviguer sur Internet au travail : et si on nageait en eaux troubles? », Développements récents en droit du travail, vol. 293, Service de la formation continue, Yvon Blais, 2008, p. 51.
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