Vous lisez : L’outrage au tribunal et les conséquences de l’affaire Nadeau Dubois

Au moment de la négociation de contrats individuels de travail, employeurs et employés conviennent à l’occasion de clauses qui poursuivront leurs effets une fois la relation contractuelle terminée. Il s’agira généralement de clauses de confidentialité, de non-concurrence ou encore de non-sollicitation du personnel ou de la clientèle.

Ainsi, dans la mesure où ces clauses sont raisonnables[1], l’employeur qui apprend que l’un de ses employés a manqué aux obligations qui s’y retrouvent pourrait entreprendre tout recours approprié devant les instances civiles pertinentes.

En cas de défaut de respecter des clauses de non-concurrence ou encore de non-sollicitation, ce sera notamment au moyen d’injonctions provisoires et interlocutoires que l’employeur cherchera à faire respecter l’obligation de l’employé. À la suite de l’obtention d’une telle ordonnance, une obligation additionnelle incombe à l’employé, soit celle de respecter le contenu de l’ordonnance émise par la Cour.

Ces ordonnances peuvent également viser toute association, en milieu de travail syndiqué. Ainsi, en cas de grève illégale, des ordonnances pourront être émises afin de rétablir la paix industrielle au sein de l’entreprise[2]. De plus, et bien que la liberté d’expression d’un syndicat ait, à maintes occasions, été rappelée par la jurisprudence, cette liberté connaît des limites, notamment en cas de diffamation. Dans une telle situation, l’employeur bénéficiera d’un recours visant à la faire cesser, à l’égard de l’un de ses employés, de ses cadres, de sa présidence, ou même de l’entreprise[3].

Chaque année, de nombreux employeurs consacrent énormément d’efforts à l’obtention d’une ordonnance de la Cour, empêchant les syndicats ou le personnel de causer des préjudices à leur organisation.

Or, dans certains cas, il s’avérera nécessaire d’entreprendre de nouvelles procédures afin de faire respecter l’ordonnance initiale. Le présent texte analysera donc l’étendue du fardeau de la preuve qui incombe à l’employeur voulant obtenir, au moyen d’une demande d’émission d’une ordonnance d’outrage au tribunal, le respect des ordonnances émises contre diverses entités ou divers individus.

L’obligation de respecter les ordonnances émises par les tribunaux
Le nouveau Code de procédure civile du Québec[4] (ci-après le « Code ») prévoit, à l’article 58, qu’une personne qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou qui agit de manière à entraver le cours de l’administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal se rend coupable d’outrage au tribunal. Cet article prévoit aussi que lorsque l’ordonnance émise est une injonction, une personne qui n’y est pas désignée ne se rend coupable d’outrage au tribunal que si elle y contrevient sciemment.

L’outrage au tribunal est sanctionné par le paiement d’une amende n’excédant pas 10 000 $ ou des travaux d’utilité sociale, auxquels un emprisonnement d’une durée ne dépassant pas un an peut être joint, conformément à l’article 62 du Code. Ainsi, la sanction d’un tel outrage n’est pas civile, mais plutôt pénale. Cela s’explique en raison du fait que les objectifs de l’ordonnance d’outrage au tribunal sont d’assurer le respect des décisions rendues par les tribunaux et d’éviter qu’une partie à un litige puisse contrevenir à une ordonnance impunément. Par exemple, lorsqu’une ordonnance enjoignant à un ex-employé de ne pas faire concurrence à son ancien employeur est émise, celui-ci ne peut y contrevenir en n’étant passible que d’une sanction pécuniaire, soit les dommages subis par son ancien employeur et ceux qu’il continuerait de subir. Mais qu’en est-il lorsque l’ordonnance ne vise pas qu’une personne, mais un groupe, tel un syndicat ou encore un groupe de salariés causant un préjudice à leur employeur?

C’est la question à laquelle a répondu la Cour suprême du Canada le 27 octobre 2016 dans l’affaire Morasse c. Nadeau-Dubois, 2016 CSC 44. Les faits de cette affaire remontent aux manifestations étudiantes liées à la hausse des droits de scolarité prévue par le gouvernement provincial à cette époque. Certains se souviendront de ces événements sous le nom de « printemps érable ».

L’intimé, Gabriel Nadeau-Dubois (ci-après « M. Nadeau-Dubois »), était un représentant d’une association étudiante (la CLASSE) tandis que l’appelant, Jean-François Morasse (ci-après « M. Morasse »), était un étudiant ayant obtenu une injonction empêchant les associations étudiantes de bloquer l’accès aux cours et aux bâtiments de certaines universités.

À l’occasion d’une entrevue télévisée, M. Nadeau-Dubois a indiqué qu’il croyait être « tout à fait légitime pour les étudiants et étudiantes de prendre les moyens pour faire respecter le choix démocratique qui a été fait d’aller en grève. C’est tout à fait regrettable là qu’il y ait vraiment une minorité d’étudiants et d’étudiantes qui utilisent les tribunaux pour contourner la décision collective qui a été prise ». Considérant que M. Nadeau-Dubois encourageait ainsi les manifestants à agir de manière contraire aux décisions rendues par les tribunaux, M. Morasse a entrepris un recours en outrage au tribunal contre M. Nadeau-Dubois.

Le juge de première instance a conclu à l’outrage au tribunal puisqu’une association à laquelle l’ordonnance d’injonction avait été signifiée était membre de la CLASSE. La connaissance de l’injonction par M. Nadeau-Dubois pouvait donc être inférée. Infirmant la décision initiale, la Cour d’appel a conclu qu’il n’était pas possible d’établir que M. Nadeau-Dubois connaissait l’existence et la teneur de l’ordonnance précise émise par le juge de première instance.

Dans une décision partagée, la Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi et confirmé la décision de la Cour d’appel du Québec. La Cour suprême du Canada a donc conclu que lorsqu’une ordonnance ou une injonction en particulier est en cause, le demandeur doit démontrer la connaissance réelle ou inférée de la teneur précise de l’ordonnance par l’individu accusé d’outrage, et que celle-ci ne peut être inférée du comportement d’autrui, ou de la signification de l’ordonnance à d’autres personnes.

Le fardeau de la preuve en étant un « hors de tout doute raisonnable », le demandeur devra ainsi démontrer que le défendeur a :

  • intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance;
  • entravé le cours normal de l’administration de la justice ou;
  • porté atteinte à la dignité du tribunal en incitant d’autres personnes à violer l’ordonnance émise préalablement.

Considérant qu’aucune copie de l’injonction n’avait été signifiée personnellement au défendeur, la Cour suprême du Canada a conclu que celui-ci n’avait pas connaissance, directe ou par inférence, de cette décision. Ce faisant, il ne pouvait pas avoir l’intention de violer ladite ordonnance.

Pour leur part, les juges dissidents sont d’avis qu’une preuve de la connaissance spécifique de l’ordonnance d’injonction n’est pas requise. Un tel recours s’avère justifié lorsqu’il sert à appuyer l’intégrité du système de justice et à assurer sa crédibilité auprès des justiciables. Selon ces derniers, l’application des critères de l’outrage au tribunal ne peut et ne doit pas être à ce point ardue que le recours serait purement théorique. Considérant la trame factuelle du dossier, les juges dissidents ont conclu que M. Nadeau-Dubois savait que l’ordonnance existait, ou à tout le moins qu’il existait des ordonnances semblables, et qu’il a encouragé d’autres personnes à ne pas les respecter. Ce faisant, son comportement a porté atteinte à l’autorité du tribunal puisqu’il (i) connaissait l’existence d’une ou de plusieurs ordonnances et (ii) qu’il était en mesure de savoir que ses actes ou paroles contrevenaient à ces ordonnances.

L’impact de cette décision en droit du travail
Si cette décision, rendue dans un contexte scolaire, peut sembler éloignée du droit du travail, elle s’avère analogue à la situation d’une ordonnance ou d’une injonction obtenue à l’égard d’un syndicat ou encore d’un groupe d’employés.

Dans la mesure où un syndicat est visé par une ordonnance de la Cour, on ne pourra inférer de sa signification au syndicat que chacun des membres de celui-ci en a eu connaissance. Si tant est que les ordonnances soient souvent placardées sur les murs de l’entreprise afin d’assurer que le personnel en a connaissance, en cas de non-respect de celles-ci par un employé, l’employeur devra démontrer qu’il possédait une connaissance spécifique de cette ordonnance, ce qui s’avérera souvent un fardeau de preuve difficile, voire impossible à surmonter.

Cela dit, comme dans l’affaire Morency précitée, lorsque le groupe visé par l’ordonnance est relativement restreint ou facilement identifiable, il sera utile à l’employeur de signifier copie de l’ordonnance à chacun d’entre eux afin de pouvoir s’assurer de remplir le critère de la connaissance lorsque viendra le temps d’entreprendre un recours en outrage au tribunal.

À la lecture de la décision récente de la Cour suprême, il sera justifié de la part de l’employeur de signifier toute ordonnance non seulement aux dirigeants syndicaux, mais également à toute personne que l’employeur croit tenir ou pouvoir tenir des propos contraires à l’ordonnance ayant été rendue. Bien qu’une telle approche puisse être envisageable dans le cadre d’une petite entreprise, il en est autrement dans une moyenne ou grande entreprise où la connaissance de l’ordonnance par certains n’empêchera pas d’autres d’y contrevenir.

Source : VigieRT, janvier 2017.


1 Conformément aux critères énumérés à l’article 2089 al. 2 du Code civil du Québec (ci-après le « C.c.Q. »).
2 Gestion Iamgold-Québec inc. c. Corporation du conseil provincial des métiers de la construction (international), 2010 QCCS 7079.
3 Morency c. Syndicat des débardeurs, 2014 QCCS 5199.
4 RLRQ c. C-25.01.
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