Vous lisez : L’outrage au tribunal dans le cadre des relations de travail

Le 6 décembre 2013, la Cour d’appel a rendu une décision rejetant l’appel d’un jugement rendu par la Cour supérieure dans l’affaire Syndicat des professionnels en soins de St-Jérôme (FIQ) c. CSSS de Saint-Jérôme selon lequel le syndicat était coupable d’outrage au tribunal puisqu’il avait contrevenu à une décision du Conseil des services essentiels.

Les faits


Le 20 septembre 2010, à compter de 16 h, soit l’heure du début du quart travail de soirée, un groupe d’infirmières et d’infirmières auxiliaires, membres du syndicat, ont exercé un débrayage à l’urgence. Le retour au travail des salariées a lieu en soirée, vers 20 h 30, après l’intervention d’une médiatrice du Conseil des services essentiels. Le lendemain, soit le 21 septembre 2010, avec l’aide de celle-ci, les parties ont conclu une entente comportant plusieurs engagements. L’un des engagements concernant le syndicat est le suivant :
« Le syndicat, ses officiers, représentants et mandataires prennent toutes les mesures nécessaires afin de s’assurer que les membres qu’ils représentent au service de l’urgence sur le quart de soir :
  • s’abstiennent de refuser de travailler de façon concertée;
  • s’engagent à fournir leur prestation de travail de manière habituelle. »

Le 23 septembre 2010, le Conseil des services essentiel sa pris acte de cette entente conformément à l’article 111.19 du Code du travail. Cet article prévoit précisément que le non-respect d’un tel engagement est réputé constituer une violation d’une ordonnance de la Commission du travail :

« 111.19. La Commission peut, plutôt que de rendre une ordonnance, prendre acte de l’engagement d’une personne d’assurer au public le ou les services auxquels il a droit, de respecter la loi, la convention collective, une entente ou une liste sur les services essentiels.

Le non-respect de cet engagement est réputé constituer une violation d’une ordonnance de la Commission. »

L’entente ainsi entérinée par le Conseil des services essentiel sa été déposée au greffe de la Cour supérieure conformément à l’article 111.20 du Code du travail, lui conférant ainsi le même effet qu’un jugement émanant de la Cour supérieure :

« 111.20. La Commission peut déposer ou, à la demande d’une partie intéressée, autoriser le dépôt d’une copie conforme d’une ordonnance rendue suivant les articles 111.0.19, 111.17 et 111.18 ou, le cas échéant, d’un engagement pris en vertu de l’article 111.19 au bureau du greffier de la Cour supérieure du district de Montréal, lorsque le service public ou l’organisme en cause est situé dans les districts de Beauharnois, Bedford, Drummond, Hull, Iberville, Joliette, Labelle, Laval, Longueuil, Mégantic, Montréal, Pontiac, Richelieu, Saint-François, Saint-Hyacinthe ou Terrebonne et, lorsqu’il est situé dans un autre district, au bureau du greffier de la Cour supérieure du district de Québec.

Le dépôt de l’ordonnance ou de l’engagement lui confère alors la même force et le même effet que s’il s’agissait d’un jugement émanant de la Cour supérieure.

Toute personne qui transgresse ou refuse d’obéir à une ordonnance ou à un engagement dans lequel elle est nommée ou désignée de même que toute personne non désignée qui y contrevient sciemment se rend coupable d’outrage au tribunal et peut être condamnée par le tribunal compétent, selon la procédure prévue aux articles 53 à 54 du Code de procédure civile (chapitre C25), à une amende n’excédant pas 50 000 $ avec ou sans emprisonnement pour une durée d’au plus un an. Ces pénalités peuvent être imposées de nouveau jusqu’à ce que le contrevenant se soit conformé à l’ordonnance ou à l’engagement. »

Le 12 décembre 2010, une infirmière et une infirmière auxiliaire devaient être absentes pour la totalité du quart de soir à l’urgence alors qu’une autre infirmière devait s’absenter à compter de 20 h. Constatant cela en matinée, une coordonnatrice a d’abord demandé au commis à la liste de rappel d’effectuer des démarches pour trouver du personnel disponible. Ces démarches se sont avérées infructueuses, même auprès d’agences de personnel privées. Par conséquent, le représentant de l’employeur a demandé aux employés du quart de jour à l’urgence si elles souhaitaient faire des heures supplémentaires. Celles-ci ont toutes refusé.

Le représentant de l’employeur a alors eu recourt à une technique pour forcer des infirmières de jour ayant moins d’ancienneté à faire des heures supplémentaires, mais en vain, puisque toutes ont refusé catégoriquement de travailler un quart de plus. Informées des absences prévues à leur arrivée au travail, les infirmières de l’urgence affectées au quart de soir ont décidé de concert de ne pas entrer au travail à 16 h comme prévu à leur horaire. Elles sont plutôt demeurées à la salle de repos et ont entrepris une manifestation assise.

Une proposition de règlement a été discutée. Toutefois, elle a par la suite été refusée catégoriquement en présence de représentants syndicaux. Finalement, peu avant 20 h, les infirmières du quart de soir sont entrées au travail puisque deux infirmières du quart de jour ont accepté de reprendre le travail en soirée. C’est ainsi que s’est terminé ce débrayage illégal du 12 décembre 2010.

L’employeur a produit une requête pour l’émission d’une ordonnance spéciale de comparaître à une accusation d’outrage au tribunal puisque le syndicat a contrevenu à l’ordonnance entérinée par le Conseil des services essentiels et déposée à la Cour supérieure.

Le 20 janvier 2010, l’honorable juge de la Cour supérieure a déclaré le syndicat coupable d’outrage au tribunal pour avoir contrevenu à l’ordonnance. Le syndicat a contesté cette décision devant la Cour d’appel du Québec.

Rappelons que l’outrage au tribunal qui est régi par le Code de procédure civile est un régime d’exception. Ainsi, dans l’affaire Vidéotron c. Microlec [1992] 2 R.C.S. 1065, pp. 14-15, un des juges écrit :

« Que l’outrage au tribunal soit une exception au tout premier article du Code montre à quel point il s’agit d’une institution exorbitante du droit judiciaire privé. »

La jurisprudence reconnaît qu’en raison de son caractère exceptionnel, l’outrage au tribunal est de nature quasi pénale. En effet, l’outrage au tribunal ne constitue pas la voie normale pour exécuter un jugement. Il s’agit d’une procédure exceptionnelle. Toujours selon les propos du juge dans l’affaire Vidéotron c. Microlec précitée :

« Il faut que la conduite du débiteur démontre une certaine volonté de se soustraire à ses obligations (Parent c. Perreault, [1979], C.A. 237, et Droits de la Famille – 728, [1989] R.D.F. 671 (C.A.)). Comme la Cour d’appel l’a déjà souligné, l’outrage au tribunal ne peut être réduit à un simple moyen d’exécution des jugements (Daigle c. St-Gabriel de Brandon (Corp municipale de la paroisse de), C.A. Montréal, 500-09-000520-874, le 22 janvier 1991, J.E. 91-195). »

La jurisprudence a reconnu qu’en matière d’outrage au tribunal, le requérant doit prouver hors de tout doute raisonnable :

  • Que l’ordonnance dont il allègue la violation est claire de telle sorte que la personne à qui l’ordre est donné fait ce que le tribunal lui commande de faire, ou de ne pas faire, et la nature des gestes requis, ou défendus;
  • Que la partie intimée connaissait les termes de l’ordonnance;
  • Que la partie intimée a commis les gestes que l’ordonnance lui défendait de commettre ou n’a pas fait ce que l’ordonnance lui commandait de faire;
  • Que la partie intimée a intentionnellement contrevenu à l’ordonnance.

Au fil de la jurisprudence, une méthode analytique particulière a été élaborée, notamment par la Cour d’appel dans l’affaire Roques c. Sans, REJB 2004-55580 (C.A.) et reprise par la Cour d’appel dans Syndicat de la fonction publique du Québec inc. c. Québec (Procureur général), 2008 QCCA 839, paragraphe 10 :

« Notre Cour a bien résumé de la façon suivante les trois étapes de la preuve :

1re ÉTAPE : le requérant en outrage doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’intimé n’a pas satisfait à l’ordonnance contenue au jugement (actus reus);

2e ÉTAPE : une fois cette preuve faite, le fardeau de la preuve est renversé et il incombe alors à l’intimé d’expliquer pourquoi il ne s’est pas soumis au jugement. Ce fardeau se limite à la présentation des motifs;

3e ÉTAPE : cette démonstration faite, le fardeau revient sur les épaules du requérant d’établir hors de tout doute raisonnable la fausseté des motifs invoqués et de convaincre le tribunal que c’est de propos volontaire, délibéré et sans aucune excuse légitime que l’intimé n’a pas satisfait au jugement (mens rea). »

Puisqu’il doit être démontré hors de tout doute que le syndicat intimé n’a pas satisfait à l’ordonnance contenue dans le jugement, il est évident qu’en cas de doute, le bénéfice doit lui être accordé et que par conséquent, il ne pourrait être reconnu coupable d’outrage au tribunal.

Le syndicat alléguait devant la Cour d’appel que l’ordonnance le visant souffrait d’ambiguïté et d’imprécision. Le syndicat a allégué en défense devant la Cour supérieure, de même que comme moyen d’appel devant la Cour d’appel, que l’ordonnance était à sa face même ambiguë et qu’elle aurait dû faire l’objet d’une interprétation par la juge du procès. Le syndicat avait effectivement présenté une requête en non-lieu devant la Cour supérieure, laquelle avait été rejetée.

Selon l’employeur, l’ordonnance étant claire, elle n’avait pas à être interprétée. Le fait que l’ordonnance émanait d’une entente entre les parties militait en faveur de sa clarté. En effet, les parties l’ayant négociée, elles sont présumées comprendre les obligations qui en découlent. L’employeur n’a pas à faire la preuve de sa compréhension ou de son interprétation de l’ordonnance. Par essence, une ordonnance doit être respectée telle que rédigée et non à la lumière de la compréhension des parties. En d’autres termes, la clarté de l’ordonnance n’est pas une question prouvable : elle est ou n’est pas claire. Il revient à la Cour d’en décider.

L’employeur avançait également qu’il n’y avait pas de distinction à faire entre une ordonnance du Conseil des services essentiels et un engagement dont ce dernier prend acte.

La Cour d’appel a rejeté l’appel déposé par le syndicat, et ce, pour les motifs suivants : dans un premier temps, la Cour d’appel a retenu que le syndicat n’a démontré aucune erreur manifeste et déterminante dans les conclusions de la juge de la Cour supérieure. En effet, la décision du Conseil des services essentiels (qui était un entérinement d’un engagement auquel le syndicat avait lui-même souscrit dans le cadre d’une entente négociée avec l’employeur) est claire et par conséquent, n’a pas à être interprétée.

Dans un second temps, la Cour d’appel a conclu que la décision de première instance est fondée puisque l’employeur a fait la preuve hors de tout doute raisonnable que le syndicat a violé son engagement. En effet, la juge de la Cour supérieure estimait que les représentantes syndicales qui étaient sur place lors du débrayage illégal du 12 décembre 2010 n’ont rien fait pour s’assurer que les salariées reprennent le travail, n’ont rien suggéré d’utile et se sont au contraire distinguées par leur manque de coopération. La juge a entendu des témoignages contradictoires concernant l’attitude des parties au plus fort de la crise et elle a retenu la version des faits présentée par les témoins de la partie patronale quant au comportement réfractaire des représentantes du syndicat. La Cour d’appel retient que le syndicat n’a pas démontré d’erreur manifeste et déterminante dans cette conclusion. Celle-ci est fondée sur l’évaluation que la juge a faite de la preuve et mérite un haut degré de déférence en appel surtout lorsqu’il s’agit de l’appréciation de la preuve testimoniale.

En troisième lieu, la Cour d’appel s’est prononcée relativement au respect de la méthode d’analyse propre à l’outrage au tribunal. En effet, le syndicat plaidait que la juge de première instance avait erré dans son application de la méthode d’analyse de l’outrage au tribunal, plus particulièrement dans son analyse des excuses offertes par le syndicat pour avoir commis les actes retenus comme constitutifs de l’actus reus.

Après avoir rappelé la rigueur avec laquelle la procédure d’outrage doit être mise en œuvre, la Cour d’appel a reconnu que le syndicat ne pouvait forcer les salariées à entrer au travail et qu’il n’existe pas de lien de préposition entre le syndicat et ses membres. Toutefois, comme l’a souligné l’employeur, les représentantes du syndicat auraient pu inviter les salariées à respecter la décision ou les encourager, voire manifester clairement leur désaccord avec l’arrêt de travail. Selon la preuve, puisque rien de cela n’a été fait, le syndicat ne pouvait pas plaider l’impuissance.

Également, la Cour d’appel a rejeté l’argument présenté par le syndicat selon lequel il ne pouvait inciter ses membres à reprendre le travail puisque cela aurait mis la qualité des soins et la sécurité des patients à risque et qu’ainsi, ses membres auraient enfreint leur Code de déontologie.

Finalement, la Cour d’appel a rejeté l’argument syndical voulant que l’application de l’outrage au tribunal par la juge soit inopportune dans les circonstances en soutenant que son comportement ne constituait pas une véritable menace à l’autorité des tribunaux et que d’autres solutions que l’outrage s’offraient ici aux parties. Après avoir rappelé que le recours à l’outrage au tribunal doit être utilisé avec parcimonie, la Cour d’appel a rejeté cet argument au motif suivant :

« il ne faut pas perdre de vue que l’outrage est mis en œuvre ici pour traiter du non-respect d’une ordonnance du conseil des services essentiels qui se rapporte à un arrêt de travail illégal en milieu hospitalier. La juge a soupesé la preuve et elle juge le comportement de l’appelant sévèrement. Ce dernier ne nous fait pas voir que l’outrage au tribunal est inadapté aux circonstances du présent litige. »

Pour tous ces motifs, la Cour d’appel a rejeté l’appel présenté par la partie syndicale.

Il est intéressant de constater que l’outrage au tribunal, bien qu’exceptionnel, peut être utilisé en relations de travail. Cette procédure doit être utilisée en dernier recours. Toutefois, les peines imposées ne sont pas nécessairement importantes. En effet, dans cette affaire, le prononcé de la peine a été suspendu sous condition que le syndicat fasse un don de 100 $ à une œuvre de bienfaisance.

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Source : VigieRT, janvier 2014.

 

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