Il n’est pas rare d’apprendre dans les médias le congédiement d’un employé dès que survient une crise médiatique. De nombreux exemples se sont présentés au cours des dernières années. On peut penser notamment au cas de l’animateur de Radio-Canada, congédié par la société de la Couronne canadienne en raison des accusations criminelles à caractère sexuel dont il faisait l’objet, et ce, avant même qu’il soit condamné (ce qui ultimement n’est pas arrivé).
Il en est de même du suspect important dans l’affaire de l’enlèvement d’une fillette, congédié alors qu’aucune accusation criminelle à propos de l’affaire n’a encore été portée contre lui (il fait cependant face à des accusations relativement à de la pornographie juvénile); l’entreprise familiale pour laquelle il travaillait semble avoir tout fait pour rompre les liens afin de permettre sa survie. Que dire également du cas de la politicienne d’abord suspendue sans solde, puis congédiée par Cogeco au motif que cette dernière entachait l’image et la crédibilité de l’organisation à la suite de son arrestation par l’UPAC. D’autres exemples récemment médiatisés peuvent également nous venir en tête.
Lorsque le motif de congédiement est strictement lié au bruit médiatique qui affecte la réputation même de l’employé, sans que ce dernier ait commis une faute à l’égard de son employeur lui-même, un décideur pourrait conclure que le congédiement n’est pas, dans les circonstances, justifié. De plus, en présence d’accusations criminelles, il faut dire que le congédiement survient généralement bien avant que se tienne un procès, alors que l’accusé est pourtant présumé innocent jusqu’à preuve du contraire.
Ce fut notamment le cas dans l’affaire de l’employé[2] congédié du ministère des Finances au motif qu’il faisait l’objet d’accusations criminelles concernant le scandale Norbourg. L’employeur invoquait le bris du lien de confiance considérant le contexte médiatique de cette affaire qui avait pour effet d’entacher la crédibilité même du ministère des Finances. Or, l’arbitre saisi du grief contestant ce congédiement a déterminé qu’il ne résultait pas d’une faute de l’employé commise à l’égard de son employeur, mais bien plutôt de la publicité négative entourant cette affaire que craignait l’employeur. Le congédiement a donc été annulé, et l’employé réintégré.
Cela dit, un employeur, tout comme un employé, a droit à la sauvegarde de sa réputation, droit protégé par la Charte des droits et libertés de la personne. Ainsi, dans la mesure où l’employeur est capable de faire la démonstration que la situation entache la crédibilité, non seulement de l’employé, mais la sienne également, et qu’il en subit un préjudice ou que cela porte atteinte à son image de marque, le congédiement pourrait alors être justifié, toujours selon les circonstances propres à chaque cas.
Dans l’affaire de la politicienne mentionnée ci-dessus[3], la Cour supérieure, saisie d’une demande d’ordonnance de sauvegarde visant à maintenir la rémunération de celle-ci jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue quant à sa réclamation pour la résiliation de son contrat d’emploi, a affirmé ce qui suit :
[66] Un employeur est justifié de résilier le contrat de travail d’un employé afin de protéger ou de rétablir l’image ou la réputation de son entreprise, après que celle-ci ait été ternie par les accusations déposées contre cet employé, même si celui-ci est plus tard acquitté de ces accusations. Ce droit ne fait d’ailleurs pas de doute lorsque les parties en ont convenu ainsi dans le contrat de travail (clause 5.2 c)(iii)).
[67] Certes, Mme […] bénéficie de la présomption d’innocence, mais le contrat de travail prévoit nommément un motif de résiliation pour « ;(iii) un événement […] affectant la crédibilité et/ou l’image de l’Employé contractuel et/ou la crédibilité et/ou l’image de la Compagnie et/ou de la Station. »
Il sera très intéressant de voir le résultat sur le fond de cette affaire, dont la date d’audition n’est pas encore connue. Il faut cependant reconnaître que ce ne sont pas tous les contrats d’emploi qui prévoient une telle clause et que cela pourrait influer sur la portée du jugement qui sera rendu.
Par conséquent, quelles options l’employeur peut-il raisonnablement envisager lorsque son employé n’a commis aucune faute à son égard, mais qu’il devient urgent et nécessaire de se dissocier publiquement de celui-ci?
- Congédier l’employé lorsque l’employeur fait face à une situation où sa propre réputation est ternie ou encore lorsque le contrat d’emploi prévoit spécifiquement qu’un événement ou une déclaration affectant la crédibilité ou l’image de l’employeur constitue un motif sérieux de briser le lien d’emploi.
- Suspendre administrativement l’employé afin de lancer un message public de dissociation des gestes posés ou présumés posés selon le cas par l’employé afin de préserver sa propre réputation, tout en diminuant son risque lié à d’éventuelles poursuites pour congédiement sans motif sérieux intentées par l’employé.
Pour ne pas constituer un congédiement déguisé, toute suspension administrative devrait être avec solde à moins que l’employeur puisse démontrer qu’elle est liée à un manquement commis dans le cadre de l’emploi, qu’un contrat d’emploi ou une convention collective le prévoit spécifiquement, ou que l’employé accepte qu’elle soit sans solde.
Une suspension est par définition temporaire, et l’employeur devra éventuellement réintégrer l’employé à moins de pouvoir démontrer l’existence d’un motif sérieux de congédiement (par exemple, le fait d’être incarcéré pendant plusieurs années à la suite d’une condamnation peut constituer un tel motif dans la mesure où l’employé ne peut alors plus fournir sa prestation de travail dans un avenir rapproché[4]).
- Convenir d’une entente de départ à l’amiable en contrepartie d’une indemnité.
La suspension sera certes le meilleur outil de l’employeur afin de traverser une crise lorsqu’il ne souhaite d’aucune façon congédier son employé. Malheureusement, dans certaines situations, la suspension ne sera pas perçue comme une position suffisamment claire permettant à l’employeur de se dissocier publiquement de l’employé. Il appartiendra alors à l’employeur d’évaluer les risques et de choisir, le cas échéant, de procéder ou non au congédiement.
Comme la gestion de l’image est une question complexe, il est préférable de s’adjoindre des professionnels aptes à gérer une crise médiatique.
Source : VigieRT, janvier 2017.
1 | Le présent article ne peut en aucun cas constituer un avis légal. |
2 | Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québecc.Québec (Finances), 2011 CanLII 44788 (QC SAT). |
3 | Normandeauc.Cogeco Média inc., 2016 QCCS 2890. |
4 | Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse)c.Maksteel Québec inc., 2003 CSC 68. |