La dénonciation publique par un salarié d’informations ou d’agissements relatifs à son employeur est une problématique qui a été traitée à plusieurs reprises par les tribunaux judiciaires. Communément appelée whistleblowing, la dénonciation publique se définit comme étant le fait de divulguer de l’information sur des pratiques illégales, des inconduites organisationnelles ou des abus du système en les exposant au public afin de soulever des inquiétudes et de faire bouger les choses.[1]
La dénonciation publique trouve sa justification dans l’existence du droit à la liberté d’expression reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne.[2] C’est ce droit qui permet à un salarié, dans un contexte particulier, de dénoncer un comportement qu’il juge frauduleux ou illégal.
Le salarié n’est toutefois pas contraint de dénoncer son employeur. Au contraire, celui qui fait des déclarations irréfléchies devant les médias doit souvent en subir les conséquences jusqu’à se voir imposer une sanction disciplinaire très sévère.[3] C’est pourquoi les auteurs émettent que cette liberté fondamentale n’est pas sans limite, en ce que le salarié se doit d’agir en fonction de son obligation de loyauté et en respectant les droits que possède également l’employeur.
L’obligation de loyauté du salarié
Dans le domaine des relations du travail, l’employeur est en droit de s’attendre à ce que chaque salarié respecte l’obligation de loyauté imposée par le Code civil du Québec[4] :
Ce devoir d’agir loyalement envers son employeur découle du principe selon lequel la bonne foi doit régir toute relation contractuelle.[5] L’obligation de loyauté ainsi que le principe de la bonne foi contraignent ainsi le salarié à retenir ses propos afin d’éviter d’attaquer la réputation de son employeur ou de lui nuire.« 2088. Le salarié, outre qu’il est tenu d’exécuter son travail avec prudence et diligence, doit agir avec loyauté et ne pas faire usage de l’information à caractère confidentiel qu’il obtient dans l’exécution ou à l’occasion de son travail.
Ces obligations survivent pendant un délai raisonnable après cessation du contrat, et survivent en tout temps lorsque l’information réfère à la réputation et à la vie privée d’autrui. »
Par conséquent, l’exercice de la liberté d’expression du salarié protégée par la Charte est balisé par certains principes permettant à l’employeur de corriger des problématiques à l’interne avant que le tout soit exposé publiquement avec les conséquences irréversibles qui pourraient survenir.
Conditions d’exercice de la dénonciation publique et exemple d’application
L’exercice de la dénonciation publique par le salarié est subordonné aux principes suivants.
- La dénonciation publique ne doit être exercée que de manière exceptionnelle, à titre de dernier recours après que le salarié ait épuisé tous autres moyens correctifs qui sont à sa disposition à l’interne.[6]
La Cour suprême dans l’arrêt Merk[7], en reprenant les propos de l’arbitre Weiler émis dans une décision de la Colombie-Britannique[8], a décidé que le salarié peut violer son obligation de loyauté en dénonçant publiquement son employeur, après avoir utilisé les moyens de dénonciation qu’il avait à sa disposition à l’interne.
Il est important de noter que, même si le salarié entreprend des démarches à l’interne, il manquera à son obligation de loyauté s’il se livre à une critique publique avant que ses démarches se soient avérées fructueuses. Dans certains cas d’exception, l’urgence de la situation permettra de passer outre cette condition.[9]
- Le salarié doit agir de bonne foi et doit pouvoir justifier son comportement par des motifs sérieux qui ne découlent pas de la pure vengeance et/ou en vue de satisfaire des intérêts purement personnels.
C’est en ce sens que le Commissaire Gélinas a motivé son jugement dans la décision Lecompte et Collège de Champigny[10], en maintenant le congédiement d’une salariée ayant transmis une lettre relative à un avis de licenciement collectif émis par l’employeur durant une envolée oratoire au ministre de l’Éducation. Le Commissaire a décidé qu’il s’agissait d’un manquement à son obligation de loyauté et a qualifié la conduite de la salariée de « déplacée ».
- L’ampleur de l’intervention publique du salarié ne doit pas être disproportionnée avec l’objectif qu’il poursuit.[11]
Puisque la bonne foi doit animer les intentions du salarié lorsqu’il entame son processus de dénonciation, la jurisprudence ajoute que la méthode utilisée doit être proportionnée avec l’objectif poursuivi. Il serait disproportionné, par exemple, d’alerter tous les quotidiens et tous les médias de la ville afin de dénoncer une nouvelle politique de l’employeur autorisant les fouilles des boîtes à lunch des employés à la fin de leur quart de travail. Des méthodes beaucoup plus souples sont initialement offertes avant d’en arriver à dénoncer « publiquement » la politique émise, tels le dialogue à l’interne, le dépôt d’un grief ou d’une plainte à la Commission des droits de la personne, le cas échéant.
D’ailleurs, le préjudice subi par l’employeur est un critère utilisé par les décideurs afin d’évaluer la gravité de l’atteinte portée et de juger, par exemple, de l’ampleur de la mesure disciplinaire qui doit être imposée au salarié. Un préjudice sérieux justifiera une mesure disciplinaire importante, tandis qu’un préjudice de moindre gravité entraînera une mesure moins sévère. Il convient également d’ajouter qu’un Tribunal d’arbitrage a déjà maintenu un congédiement sur la base des conséquences ponctuelles que la dénonciation publique aurait pu avoir.[12]
- Le salarié doit avoir préalablement vérifié consciencieusement l’exactitude et la véracité des faits qu’il dénonce, au meilleur des moyens qui sont à sa disposition, à défaut de quoi ce manquement peut constituer une faute grave.[13]
Par exemple, dans la décision Côté et Hydro-Québec[14], le Commissaire du travail a maintenu le congédiement d’un salarié après que ce dernier ait informé à plusieurs reprises les médias de l’existence de liens entre le célèbre Ordre du temple solaire et certains employés d’Hydro-Québec. Suivant la démonstration par l’employeur que les propos tenus par le salarié étaient faux, le Commissaire a, notamment, émis qu’en cette situation, le salarié ne peut se réfugier derrière la liberté d’expression pour justifier ses actes. En effet, cette notion exige que, pour jouir de quelque immunité que ce soit, une personne doit énoncer des propos véridiques.
Cas d’exception
Bien que les conditions d’exercice de la dénonciation publique soient rigoureusement appliquées et analysées par les autorités décisionnelles, il existe certains cas d’exception.
- La santé et la sécurité au travail
En matière de santé et de sécurité, les règles concernant les dénonciations publiques ne doivent pas être appliquées d’une façon aussi rigoureuse que dans les situations précitées.
C’est de cette façon qu’il en a été décidé dans une décision mettant en cause le Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal.[15] Dans cette affaire, des enseignants ont porté plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail et se sont par la suite rendus devant les médias afin de dénoncer des problèmes récurrents d’infiltration d’eau et de moisissures dans leur école. Informé de ces faits, l’employeur a imposé une suspension disciplinaire de cinq jours aux deux enseignants dénonciateurs. Dans son jugement, l’arbitre a modifié la suspension de cinq jours en un simple avertissement. Il précise entre autres que dans le cas d’un enseignant, l’équilibre entre l’obligation de loyauté envers l’employeur et la liberté d’expression réside dans son devoir de loyauté envers ses élèves lorsqu’il considère que leur santé et leur sécurité sont en danger. Il ne faut pas que sa loyauté envers l’employeur le réduise au silence et, à l’inverse, sa liberté d’expression ne lui permet pas d’attaquer publiquement des décisions de la commission scolaire de manière constante.
La santé et la sécurité du travail ainsi que l’intérêt général de la population prennent de plus en plus d’importance. C’est pourquoi, le 17 juin 2004, le Projet de loi n° 198 a été présenté afin d’ajouter un article 122.3 à la Loi sur les normes du travail. Ainsi, on voulait interdire à un employeur de congédier, de suspendre ou de déplacer un salarié ou d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles pour le motif que ce dernier a dénoncé de mauvais soins en matière de santé et de services sociaux dispensés à un usager dans un établissement de santé. Bien que ce Projet de loi ne soit toujours pas promulgué, cela démontre un intérêt à dissocier l’obligation de loyauté du salarié lorsque l’intérêt de la dénonciation publique est démontré.
- L’intérêt général
Le salarié peut se dégager de sa responsabilité concernant le préjudice causé à l’employeur à la suite de la divulgation d’un secret commercial, s’il prouve que l’intérêt général l’emportait sur le maintien du secret et, notamment, que la divulgation de celui-ci était justifiée par des motifs liés à la santé ou à la sécurité du public.[16]
Dans St-Romuald (Ville de) et Syndicat des pompiers du Québec[17], section locale St Romuald, le tribunal d’arbitrage a accueilli le grief d’un pompier ayant été suspendu pendant neuf mois après qu’il eut émis publiquement, à l’occasion d’une assemblée publique du conseil municipal, ses inquiétudes quant à l’état de certains camions de l’employeur.
- La protection du Code criminel
Nous n’élaborerons pas sur cette dernière protection offerte au salarié. Toutefois, il convient de préciser que l’article 425.1 du Code criminel empêche l’imposition de sanctions disciplinaires ou la menace de celles-ci à l’égard d’un salarié dans le but de l’empêcher de divulguer des renseignements reliés à la violation, par l’employeur, d’une disposition du Code criminel ou de toute autre loi fédérale ou provinciale, ou de le punir pour avoir effectivement divulgué ces renseignements.[18]
Conclusion
La problématique que soulève la présente question découle de l’application et du respect simultanés de la liberté d’expression du salarié versus son obligation de loyauté envers l’employeur. Comme le présent article le démontre, les tribunaux ont encadré cette liberté fondamentale en définissant des conditions d’exercice à la liberté d’expression dans les cas de dénonciations publiques. Un employé devra suivre la démarche établie sous peine de se voir imposer des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu’au congédiement.
Gilles Rancourt, CRIA, avocat et Valérie Cloutier du cabinet Heenan Blaikie Aubut
Source : VigieRT, numéro 24, janvier 2008.
1 | CANTIN I et J.-M., La dénonciation d’actes répréhensibles en milieu de travail ou whistleblowing, Édition Yvon Blais, 2005, p. 10 à 12. |
2 | Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 3. |
3 | BONHOMME, R. et S.-P. PAQUETTE, Existe-t-il vraiment un conflit entre l’obligation de loyauté et l’obligation de divulgation interne et externe en milieu de travail?, Développements récents en droit du travail (2006), Service de la formation continue du Barreau du Québec, EYB2006DEV1167, p. 13. |
4 | Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64, art. 2088. |
5 | Id., art. 6, 7 et 1375. |
6 | Hôpital général de la région de l’amiante inc. et Syndicat national des services hospitaliers de la région de Thetford Mines (C.S.N.), A.A.S. 84A-402. |
7 | Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, [2005] 3 R.C.S. 425. |
8 | Re Ministry of Attorney General, Corrections Branch et British Columbia Government Employee’s Union, 3 L.A.C. (3d) 140. |
9 | BRUNELLE, C. et M. SAMSON, précité note 5, p. 895. |
10 | Lecompte c. Collège de Champigny, D.T.E. 2005T-771 (C.R.T.). |
11 | Société canadienne des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, [2005] AZ-50324230 (T.A.), p. 38. |
12 | Villa d’argenteuil 1996 inc. et Union des employés et employées de service, section locale 800, [2002] AZ- 02141123 (T.A.). |
13 | DUBÉ, L. et G. TRUDEAU, Les manquements du salarié à son obligation d’honnêteté et de loyauté en jurisprudence arbitrale, Études en droit du travail à la mémoire de Claude D’Aoust, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1995, p. 119. |
14 | Côté et Hydro-Québec, D.T.E. 2000T-542 (C.T.) |
15 | Syndicat de l’enseignement de l’Ouest de Montréal et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2007] AZ-50454011 (T.A.). |
16 | Code civil du Québec, précité note 3, article 1472. |
17 | D.T.E. 96T-568 (T.A.). |
18 | BONHOMME, R. et S.-P. PAQUETTE, précité note 2, p. 21. |