Nul doute que les formes du travail ne cessent d’évoluer à une vitesse vertigineuse, et ce, depuis plusieurs années. Bien entendu, les grandes tendances en négociation de convention collective sont de tenter de suivre ce tempo. Mais, ce n’est pas si simple. Force est de constater que les demandes des parties sont de plus en plus disparates, et pire encore parfois, se contredisent. La raison principale : les besoins individuels et les besoins collectifs, ces derniers caractérisant la nature même des relations de travail, s’entrechoquent. À cela s’ajoutent des défis locaux, nationaux et internationaux qui bousculent actuellement le marché du travail et de l’emploi. Quels sont les défis auxquels sont confrontées les parties? Quelles sont les actions et les orientations envisageables et réalistes?
Les faits
Les articles sur le bouleversement des méthodes de travail et des formes de travail foisonnent : l’évolution de l’organisation du travail, le déplacement du lieu de travail, l’entremêlement de la vie professionnelle et de la vie privée ou encore la conciliation travail-famille, vite élargie à la conciliation travail, études et vie personnelle. Le tout évolue au gré des outils de communication, des technologies de l’information, des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle. Des changements qui entraînent une forte individualisation des besoins. Fini le temps où l’individu ajustait ses activités personnelles à son travail. À présent, un grand nombre de personnes souhaite donner la priorité à leurs obligations familiales, à leurs engagements sociaux, à leurs activités sportives ou tout simplement à leur vie personnelle.
En parallèle, le fondement même du Code du travail est d’instaurer les droits des rapports collectifs de travail. L’individu s’efface en quelque sorte, faisant place à une unité de négociation. Les intérêts collectifs supplantent les besoins individuels. Par un processus démocratique et institutionnel, le syndicat représente l’intérêt général par une voix unique. Cette mécanique bien établie s’accompagne d’une certaine rigidité dans la façon de négocier le contrat de travail. Longtemps, l’accent de la négociation a été mis sur l’amélioration des conditions de travail à valeur monétaire et pécuniaire. Depuis quelques années, les cahiers syndicaux abondent de demandes relatives aux horaires ou variables et au télétravail, et ce, afin de répondre à la recherche d’une meilleure conciliation travail et vie personnelle des membres. Derrière un principe louable, la mise en œuvre de ces clauses demeure délicate et difficile, car il est complexe de conjuguer un contrat collectif et des besoins individuels.
Les défis
Les employeurs vivent de nombreux défis actuellement, notamment les enjeux entourant l’attractivité des candidats et la rétention du personnel. En ce qui concerne l’attractivité, dans un contexte de quasi-plein emploi, les employeurs jouent d’ingéniosité pour réussir à se démarquer : marque employeur, candidats internationaux, discours de vente, sections carrières revisitées, etc.
Du point de vue de la rétention, les employeurs innovent à coup de programmes de reconnaissance, de gestion de la carrière et des talents, d’éventails de formation et de développement, de télétravail, de flexibilité horaire, de garderie sur place, de menus santé, de centres sportifs, d’activités et de divertissements, de télémédecine, etc. Or, la mise en place de telles mesures représente un véritable casse-tête pour les employeurs, jonglant entre les exigences de gestion, de planification, de contrôle et de productivité et les aspects relatifs à l’équité, à la confiance, à la confidentialité et même à la santé et à la sécurité dans le cas du télétravail par exemple.
Les défis sont de taille également pour la partie syndicale. Basculement vers une disparité des demandes en raison de leur individualisation, bousculement entre les différentes générations, image jugée trop corporatiste, évolution des unités de négociation vers des unités de métiers ou morcellement en groupes distincts, etc. Apparaissent de plus en plus de lettres d’entente individuelles, que les parties ne veulent pas toujours rendre véritablement publiques. La priorisation des demandes est complexe : tiraillé entre des demandes relatives à la conciliation travail et vie personnelle des uns, face à des demandes de primes de disponibilité des autres, le syndicat doit parfois, et ce, en même temps, plaider pour le droit à la déconnexion et négocier le remboursement des frais de cellulaire ou l’octroi de tablette tactile pour les personnes salariées. Des tendances parfois contradictoires qu’il devient délicat de transmettre d’une voie de négociation unique, syndicale et, par définition, collective.
Des pistes de solution
Dans un contexte de relations de travail, il est important d’établir et de maintenir de saines relations entre les parties. Un des axes à privilégier est de travailler sur des intérêts communs. Ils existent. Il ne faut pas aborder les négociations en se focalisant sur les divergences, mais plutôt se rappeler que la rétention du personnel, donc des membres, profite aux deux parties. Il est faux de croire que seul l’employeur vise la pérennité des affaires ou encore que le syndicat est le seul à souhaiter la bonification des conditions de travail. La compétence et l’ancienneté ne sont pas des notions viscéralement rivales.
L’objectif est de rallier ce qui semble contraire. La conciliation travail et vie personnelle pour l’une des parties, la productivité pour l’autre : pourquoi ne pas parler de flexibilité. Le défi de rétention du personnel d’un côté, le membership de l’autre : tout cela revient à l’engagement et à la mobilisation. Un marché concurrentiel pour l’employeur, le maraudage pour le syndicat : les deux parties ont intérêt à travailler sur leur image et leur réputation. L’histoire des relations de travail a placé les deux parties à l’opposé. Cependant, face aux nombreux défis, enjeux ou encore obstacles susmentionnés, il est primordial de repenser véritablement le contrat de travail collectif. Les parties doivent être des acteurs proactifs et diligents pour assurer une réelle évolution dans une telle période de transition organisationnelle.
Les parties doivent aller au-delà de la théorie, au-delà des pratiques de négociation raisonnée qui ont parfois peine à se mettre en œuvre. Il faut repenser en profondeur la dynamique de négociation et revoir la structure même du contrat de travail en modulant son contenu et en reconsidérant sa constance. Les parties doivent s’adapter à une réalité très évolutive du milieu de travail et de l’unité de négociation. Une des solutions serait d’adopter le principe des vases communicants, c’est-à-dire, de réduire une condition de travail au bénéfice d’une autre afin de mieux répondre aux besoins collectifs existants au cours de la durée déterminée d’une convention. L’idée étant de moduler au temps « x » les conditions de travail.
Un autre scénario est de prévoir une multitude de conditions différentes selon les services ou les catégories d’emplois ou encore la nature des postes. La plupart des services proposés aux citoyens offrent plusieurs options, différents choix. Le contrat de travail collectif se doit également d’évoluer dans ce sens. Une autre possibilité est de former un comité spécial qui se tiendrait, au cours de la paix industrielle, en amont de la négociation afin que les parties soient plus ouvertes à la discussion et soient réellement en mesure de changer la dynamique de négociation. Ainsi, la préparation se ferait de façon à la fois plus paritaire et plus consultative.
Conclusion
Une nouvelle ère de négociation doit s’ouvrir, et les parties ont un rôle majeur à tenir pour garantir son succès et permettre de faire vivre l’individualisation dans le contrat de travail collectif. Le pragmatisme, la raisonnabilité et l’investissement sont des gages de réussite pour un tel changement. En sachant que cette évolution est nécessaire, positive et constructive, il va de soi que les parties doivent être la locomotive moderne d’un monde du travail en transformation.
Source : VigieRT, septembre 2018.