Vous lisez : L’épineuse question des références

Le présent article ne traite que des entreprises de juridiction provinciale et fait abstraction des lois fédérales sur la protection des renseignements personnels et sur le droit de l’emploi.

Depuis quelques années, nous assistons à une recrudescence des questions, voire des litiges reliés aux références après emploi. Autant ce sujet était peu controversé il y a quelques années – on demandait et on fournissait les références assez fréquemment, bonnes ou mauvaises –, autant la législation à ce sujet a évolué. Actuellement, les contraintes législatives additionnelles obligent les employeurs à adopter des procédures ou des politiques à cet égard. Au Québec, depuis 1994, l’avènement de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1] a modifié les façons de faire et a établi les droits et obligations respectifs en ce qui concerne la communication des renseignements personnels. Il ne fait aucun doute que les références sont des renseignements personnels au sens de la Loi et leur collecte, leur utilisation et leur communication doivent répondre à des critères très précis.

À l’expiration du contrat de travail, la seule obligation de l’employeur, consignée autant dans le Code civil du Québec[2] que dans la Loi sur les normes du travail,[3] est celle de fournir à l’employé un certificat de travail qui indique uniquement la nature et la durée de l’emploi ainsi que l’identité de l’employeur et son adresse. Il n’existe aucune disposition législative obligeant l’employeur à fournir des références au-delà d’un tel certificat de travail.

Communiquer des renseignements sur un ex-employé sans avoir son consentement constitue une infraction à la Loi et une faute civile pouvant constituer une atteinte au droit fondamental protégé à l’article 5 de la Charte des droits et liberté de la personne qui traite du respect de la vie privée. Le consentement de l’ex-employé, en vertu de l’article 14 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, doit être non seulement libre et éclairé, mais aussi manifeste et donné à une fin précise. Toutefois, ce consentement peut être directement donné par la personne à l’employeur potentiel, conformément à l’article 15 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé. En conséquence, avant de communiquer quelque information que ce soit au sujet de ses anciens employés à un employeur potentiel, la règle première est d’obtenir leur consentement, de préférence écrit, afin d’éviter toute ambiguïté à ce sujet. Dans le cas contraire, en l’absence du consentement, la faute peut donner ouverture à des dommages compensatoires, à des dommages moraux et même à des dommages punitifs si une telle atteinte au droit à la vie privée était illicite et intentionnelle de la part de l’ex-employeur.

En dépit de l’existence du consentement, la responsabilité de l’ex-employeur pourrait également être engagée s’il donnait de faux renseignements, qu’ils soient bons ou mauvais. Il s’agirait alors de l’application du régime général de responsabilité civile. Si les faux renseignements étaient mauvais, ce serait une cause d’action légitime pour l’ex employé; et si les références étaient « trop bonnes », l’employeur qui aurait embauché l’ex employé sur la foi de ces renseignements pourrait poursuivre l’ex-employeur. Dans tous les cas, il faudra démontrer non seulement la faute de l’ex-employeur, soit le fait d’avoir donné de mauvaises références, mais également le dommage et surtout le lien de causalité entre les deux. Ainsi, dans un dossier qui a résulté en un jugement de la Cour supérieureAdam Daoust c. Transport Papineau International Inc.,[4] l’ex-employé poursuivait son employeur pour avoir donné de mauvaises références. Bien que l’action ait été rejetée en l’absence de preuve, la Cour a conclu que l’action pourrait être accueillie si les références données par l’ex-employeur étaient d’une part nuisibles à l’obtention d’un emploi et d’autre part en relation directe avec le refus d’employeurs potentiels d’embaucher l’employé.

Au-delà de la responsabilité de l’ancien employeur et au-delà du fardeau de preuve, il est intéressant de constater que l’obtention même de la preuve à ce sujet peut être problématique. Ainsi, tout récemment, la Cour d’appel du Québec dans la décision Bellefeuille c. Morriset[5] a dû se prononcer sur l’admissibilité en preuve d’une conversation téléphonique avec l’ancien employeur qui donnait de mauvaises références au sujet de l’appelante. Cette dernière avait mandaté un ami pour appeler son ancien employeur afin d’enregistrer la conversation téléphonique à l’insu de ce dernier. Ses soupçons ont été confirmés et elle a poursuivi son ancien employeur en dommages. En première instance, devant la Cour du Québec, l’employeur s’était opposé avec succès au dépôt en preuve de l’enregistrement au motif que cette preuve avait été obtenue de mauvaise foi. Cependant, la Cour d’appel a récemment renversé cette décision, jugeant que le stratagème déployé par l’appelante ne contrevenait à aucune disposition législative et qu’il n’y avait eu aucune atteinte aux droits fondamentaux ni aucune intimidation à l’endroit de l’ancien employeur. Dans les faits, ne pas admettre en preuve cette conversation téléphonique devant le Tribunal aurait même placé l’appelante dans une position intenable où elle ne pourrait jamais démontrer la faute commise à son endroit par son ancien employeur. Nous attendons avec impatience l’issue de ce procès quant au fond de la question, soit la faute de l’employeur d’avoir divulgué de mauvais renseignements sans le consentement de l’appelante, le contenu exact de ces renseignements et, enfin, les dommages subis et/ou octroyés à l’appelante.

Enfin, il n’est pas exceptionnel que les tribunaux spécialisés en relations du travail ordonnent aux employeurs de fournir des lettres de recommandation dans des cas de congédiement sans cause juste et suffisante. Même si, en 1984, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Banque nationale du Canada[6], a décidé qu’il était contraire à la liberté d’expression de l’employeur de lui ordonner d’émettre des références au sujet de son ancien employé, la même cour, en 1989, dans l’arrêt Slaight Communication Inc.,[7] n’a pas jugé manifestement déraisonnable la décision d’un arbitre qui, dans le cas d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, avait ordonné à l’employeur de remettre une lettre de recommandation contenant certains renseignements, notamment que l’employé avait été congédié injustement selon le tribunal d’arbitrage. Depuis, tant les arbitres de griefs que les commissaires de la Commission des relations du travail s’autorisent d’ordonner, dans certains cas, la confection d’une lettre de recommandation. Évidemment, on peut remettre en question l’utilité d’une telle lettre si, par ailleurs, un vocabulaire inhabituel ou des informations hors de l’ordinaire, telle l’issue d’une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, y apparaissent.

Enfin, bien que l’employeur puisse refuser de donner des références, d’aucuns sont d’avis qu’en présence d’une politique à l’effet contraire, ne pas donner de références pourrait constituer également une faute engageant la responsabilité de l’employeur.

En conclusion, les employeurs désireux d’éviter toute possibilité de poursuite à ce sujet devraient se doter d’une politique établissant qu’aucun renseignement ne sera donné sur un ancien employé ou qu’il faudra obtenir le consentement manifeste de l’ex-employé et ne donner que des informations justes, vraies, exemptes de discrimination, non diffamatoires et limitées aux faits reliés au rendement professionnel. Nous surveillerons bien entendu les développements jurisprudentiels à ce sujet et vous tiendrons au courant de toute décision d’intérêt.


Lukasz Granosik, avocat, Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l./L.L.P.

Source : VigieRT, numéro 25, février 2008.


1 L.R.Q. c P-39.1
2 Article 2096 C.c.Q.
3 Article 84 L.N.T.
4 D.T.E. 94T-94
5 D.T.E. [2007] T-394 (C.A.)
6 Banque nationale du Canada c. Union internationale des employés de commerce, [1984] 1 R.C.S. 269
7 Slaight Communication Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038
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