Vous lisez : L’entente de dernière chance : quand, comment, pourquoi?

L’entente de dernière chance peut être utilisée dans d’innombrables situations, contrairement à ce que l’on peut s’imaginer. En effet, il s’agit d’un contrat négocié entre un employeur, un salarié et le syndicat[1], le cas échéant, qui prévoit certaines balises strictes que l’employeur et l’employé doivent respecter. L’employé qui ne respecterait pas une telle entente pourrait se voir imposer une peine sévère pouvant mener au congédiement.

Il ne s’agit pas uniquement d’un outil de gestion utile lorsqu’un employé est atteint d’un problème de dépendance à l’alcool ou aux drogues. Ce type d’entente peut également servir, selon les circonstances, dans le cas d’un employé atteint de dépendance au jeu ou d’un employé atteint d’une maladie mentale qui a un taux d’absentéisme excessif. On pourrait même utiliser ce type d’entente quand un employé est récalcitrant, malgré la gradation des sanctions.

Parfois, l’entente de dernière chance permet à un employé congédié d’être réintégré; elle est utile également lorsque l’on désire envoyer à un employé le message clair qu’il s’expose au congédiement, s’il y a récidive.

La jurisprudence est abondante à ce sujet, puisque bon nombre d’employeurs ont désormais recours à ce type d’entente. Cette façon de faire est avantageuse, car en signant un contrat, l’employé prend conscience du sérieux de la démarche et s’engage formellement envers l’employeur[2]. La réflexion et les échanges précédant la signature permettent également au syndicat d’encourager l’employé à respecter ses engagements. Ainsi, plusieurs arbitres accordent un poids considérable au fait que le salarié a déjà été informé « des effets néfastes d’une nouvelle défaillance » et qu’un « bris des conditions de l’entente constitue un facteur aggravant sérieux »[3].

Les ententes donnant lieu à une dernière chance peuvent également prévoir des conditions ou des règles qui divergent de la convention collective en vigueur dans l’entreprise et exigent de ce fait la mise à contribution de l’ensemble des parties. D’ailleurs, dans bien des cas, elles relèvent de l’obligation d’accommodement et intéressent le syndicat comme l’employeur[4]. Conséquemment, certains arbitres encouragent également le dépôt d’une telle entente au ministère du Travail, dans l’éventualité où elle aurait pour effet de déroger à la convention collective en vigueur[5].

L’entente de dernière chance ne permet cependant pas à l’employeur de décréter unilatéralement le congédiement à la suite du non-respect de l’entente. En d’autres mots, l’entente ne peut pas prévoir un congédiement automatique. L’employeur est donc tenu d’accommoder, de soutenir et d’encadrer l’employé tant et aussi longtemps que ces mesures ne constituent pas des contraintes excessives.

Par ailleurs, l’employeur qui désire congédier un employé ne peut échapper à la règle de la gradation des sanctions ainsi qu’à la règle de leur proportionnalité. Il faut toutefois souligner qu’une entente de dernière chance constitue, à tout le moins, un avertissement sérieux qui, selon les circonstances et les accommodements offerts, peut même être assimilée à l’avant-dernière sanction[6].

Malgré la présence d’une entente, la contrainte excessive ne peut se résumer uniquement à des arguments économiques. L’employeur devra soutenir ses prétentions au moyen d’autres représentations comme une proposition réelle d’apport ou d’offre de soutien ou d’une preuve « d’irrécupérabilité » de l’employé sanctionné[7].

En 1990, la Cour suprême a suggéré, dans l’arrêt Central Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission)[8], des facteurs destinés à faciliter l’analyse du pouvoir judiciaire appelés à juger du caractère excessif d’une contrainte. La plus haute cour du pays a cité les cinq facteurs suivants :

  • le coût financier;
  • le moral du personnel;
  • l’atteinte à la convention collective;
  • l’interchangeabilité des effectifs et des installations;
  • l’importance de l’exploitation de l’employeur.

Par ailleurs, l’employeur aura le fardeau de démontrer l’ensemble des mesures d’accommodements offertes, y compris l’entente de dernière chance, ainsi que les contraintes excessives subies. L’employeur devra dans tous les cas démontrer qu’il a épuisé toutes les alternatives raisonnables et que les autres options sont illégitimes, immodérées, oppressives ou irréalistes[9]. Par exemple, de nombreux cas ont été répertoriés où un taux d’absentéisme excessif a été considéré comme une contrainte démesurée[10].

L’entente de dernière chance est une pratique consensuelle ne nécessitant aucun formalisme[11]. Quoiqu’elle soit conventionnelle et qu’elle implique l’accord de l’ensemble des parties au contrat de travail, elle ne lie pas indubitablement les arbitres[12]. Ceux-ci jouissent d’une grande discrétion législative et ont la chance de favoriser la stabilité des ententes. D’ailleurs, certains facteurs militent en faveur de l’importance du respect, tant par les arbitres que par les parties au contrat, des ententes de dernière chance : sécurité de la norme, valeur et importance de la motivation de l’employé à les respecter, respect de la volonté commune des parties, etc.

S’il est vrai qu’elles ne lient pas à coup sûr les décideurs judiciaires et administratifs, il demeure primordial de leur accorder une attention particulière afin de rassurer les parties quant à un certain degré de fiabilité conventionnelle permettant, par le fait même, de favoriser d’harmonieuses relations du travail[13].

Outre les facteurs stabilisateurs de relations, il est capital de soutenir et de protéger cette pratique puisqu’elle offre un soutien additionnel à l’employé en difficulté, lui permettant conditionnellement de conserver son emploi. L’employé bénéficiaire d’une telle entente se voit offrir, de la part de son employeur, un outil précieux qui l’aide à améliorer sa situation.

L’entente de dernière chance, lorsqu’elle est appliquée telle que rédigée, représente un moyen disciplinaire ou administratif efficace[14]. En revanche, elle devra comprendre un bon nombre d’éléments dont voici une liste non exhaustive, issue de la décision de Minéraux Noranda inc.[15] :

  • « l’aptitude actuelle du salarié, en matière de santé physique et mentale, à reprendre son poste;
  • « la poursuite de traitement ou l’adhésion et la participation du salarié à un programme structuré de réhabilitation ainsi que sa situation par rapport au programme d’aide aux employés;
  • « la vérification, après sa réintégration, de l’état de santé physique et mentale du salarié ainsi que le dépistage d’usage de drogues non prescrites et la fréquence de telles vérifications;
  • « la procédure applicable en cas d’absence du salarié;
  • « la procédure et les moyens de vérification par l’employeur du respect des conditions qui précèdent;
  • « la durée d’application des conditions. »

Malgré l’importance accordée au respect de l’application des ententes de dernière chance, il demeure essentiel que les arbitres évaluent et interprètent ces ententes d’un œil critique[16]. Des conditions exagérées ou manifestement en marge d’une convention collective auraient pour résultat d’alourdir déraisonnablement, voire abusivement la tâche de l’employé sous « probation ». Les arbitres peuvent écarter ces ententes, en appuyant leur décision notamment sur l’absence d’accommodements raisonnables.

La Charte des droits et libertés de la personne[17] ne perd pas son statut quasi constitutionnel dans le domaine du droit du travail. C’est pourquoi les ententes de dernière chance ne peuvent déroger aux principes protégés par la Charte en ce qui a trait à la discrimination[18].

Avant d’appliquer une convention à la lettre, l’arbitre doit donc en premier lieu se pencher sur la légalité de celle-ci, à savoir si elle respecte les droits et libertés fondamentaux. Par exemple, une entente de dernière chance ne peut servir de fondement à une mesure disciplinaire ou administrative lorsque le sujet de celle-ci souffre d’une maladie ou d’un handicap au sens de la loi et qu’il n’a pas bénéficié d’un accommodement raisonnable. Une telle entente s’interpréterait comme ayant perdu son qualificatif de « dernière chance ». Il est à noter que l’alcoolisme et la toxicomanie ont été reconnus comme étant un handicap. C’est pourquoi l’employeur qui désire se prévaloir d’une entente pour congédier un employé doit d’abord prouver qu’il a tenté d’accommoder l’employé et que le fait d’ajouter un accommodement à son fardeau constituerait une contrainte excessive[19].

Toutefois, l’entente représente un accommodement raisonnable de la part de l’employeur[20], lui permettant de satisfaire à son fardeau de preuve plus facilement advenant le cas où il congédierait un employé récidiviste.

Martin Pelletier, CRIA, avocat,  en collaboration avec Mathieu Auger, stagiaire en droit, Langlois Kronström Desjardins (lkd.ca), S.E.N.C.R.L.

Source : VigieRT, numéro 44, janvier 2010.

Cet article a pour but de fournir des commentaires généraux. Il n’a pas pour but de fournir des conseils ou des opinions juridiques. Le lecteur ne doit pas prendre des mesures sur la foi des renseignements sans prendre conseil auprès d’un avocat à l’égard des questions spécifiques qui le concernent.


1 PH Tech inc c. Union des employés et employées de service, section locale 800, SA 04-04021.
2 Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 509 (TUAC) et Unibéton, une division de Ciment Québec inc. (Christian Michaud), D.T.E. 2009T-529 au paragraphe 130.
3 Claude D’Aoust et Louise Dubé, La réintégration conditionnelle du salarié, Montréal, Wilson Lafleur, 1991 à la page 84.
4 Central Okanagan School District No.23 c. Renaud [1992] 2 R.C.S. 970.
5 Aliment Culinar Inc. (Anco) c. Union internationale des travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 713, D.T.E. 89T-423 à la page 17.
6 Supra, note 2 au paragraphe 144.
7 Syndicat des employés de soutien du CSSSR (FSSSS-CSN) c. Centre de santé et de services sociaux Rimouski-Neigette (J.B.), D.T.E. 2009T-449.
8 Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489.
9 Conseil des Canadiens avec déficiences c. Via Rail Canada inc., [2007] CSC 15.
10 Syndicat des travailleuses et travailleurs du réseau du Suroît (CSN) c. CSSS du Suroît, [2008] D.T.E. 2008T-30.
11 Supra, note 2 au paragraphe 128.
12 Syndicat des employées et employés de Gaz Métro inc. c. Bastien (Société en commandite Gaz Métro et Syndicat des employées et employés de Gaz Métro inc. (CSN) E.S.)), D.T.E. 2009T-322.
13 Supra, note 2.
14 Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46 au paragraphe 166.
15 Minéraux Noranda inc., division Horne et Syndicat des travailleurs de la mine Noranda (CSN), D.T.E. 92T-431.
16 Supra, note 7; voir aussi : Claude D’Aoust et Louise Dubé, La réintégration conditionnelle du salarié, Montréal, Wilson Lafleur, 1991, aux pages 82 à 84.
17 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 [Charte québécoise]
18 Supra, note 12.
19 Supra, note 7 au paragraphe 261.
20 Supra, note 12 au paragraphe 19.
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