« Mais le juge dit : “Patricia, ou devrais-je dire, Délicia, l'issue de ce dossier saute aux yeux. Accusations rejetées! Cette fille portait ses vêtements de travail!” » (Extrait de Patricia the stripper, Chris de Burgh, trad. libre)
Au-delà de la fable du chansonnier, dans ce cas relatif à l'absence de tenue vestimentaire, quels sont les éléments à considérer en ce qui concerne les droits et obligations d'une personne au regard de ce qui lui est dicté par son employeur? Nous ferons ici un tour d'horizon des diverses décisions et des articles sur cette question qui n'est pas strictement prévue par la législation.
Bref historique
Les vêtements de travail, appelés à l'occasion « uniformes » (faisant ainsi référence aux vêtements portés par les policiers, pompiers, infirmières, etc.), ont subi de nombreuses modifications à travers le temps.
C'est en fait la révolution industrielle qui a donné son essor aux vêtements de travail ayant pour but, principalement, la sécurité des travailleurs dans le secteur manufacturier.
Que ce soit pour protéger les travailleurs, pour distinguer les postes occupés par ceux-ci ou tout simplement pour publiciser une entreprise, le vêtement fait partie de la réalité du travail… Un employeur ou un salarié peut être amené à se questionner sur son coût inhérent ou sur la justification de rendre son port obligatoire.
Voici quelques mises en situation pour illustrer notre propos.
Le gérant de François, qui travaille pour une compagnie de livraison, lui demande d'acheter une veste portant le logo de l’entreprise. François ne sait pas s'il doit en assumer le coût.
Jennifer travaille dans une boutique de vêtements du centre-ville. On lui a clairement expliqué à son embauche qu'elle doit porter uniquement les vêtements de cette boutique, à ses frais. Compte tenu du fait qu'elle reçoit plus que le salaire minimum, peut-elle contester cette demande de l'employeur?
Le patron de Natacha, serveuse au bar La Broue, l'informe qu'à partir de la semaine suivante, elle devra, comme toutes les autres employées, porter le chandail de promotion fourni par la boutique sportive du quartier. Il lui offre un prix d'ami pour le chandail (le prix coûtant, soit 6 $). Natacha se demande si elle doit payer ce chandail. Elle ne reçoit que le salaire minimum d'une travailleuse à pourboires. Pour sa part, une de ses collègues, Nancy, serveuse au même établissement, vient d'être avisée qu'elle devra porter sous peu un chandail très transparent, qu'elle considère comme trop osé. Elle ne sait pas si elle peut refuser de porter ce vêtement.
L'exigence du port d'un vêtement de travail : droit de gérance d'un employeur
Il est généralement reconnu en droit du travail que l'employeur a le droit de fixer des exigences quant à la tenue vestimentaire de ses employés : cela fait partie de son droit de gérance et la désobéissance à cette règle peut conduire à l'imposition de mesures disciplinaires, allant même jusqu'au congédiement.
Bien entendu, cette règle a des limites, relativement au coût des vêtements exigés par l'employeur ou aux droits et libertés des employés. Nous traiterons ici de l'application de la Loi sur les normes du travail dans les cas de François, Jennifer et Natacha. Nous aborderons aussi les limites imposées à l'employeur dans la situation de Nancy.
La Loi sur les normes du travail
La Loi sur les normes du travail permet implicitement à l'employeur d'exiger le port d'une tenue vestimentaire particulière :
- « Lorsqu'un employeur rend obligatoire le port d'un vêtement particulier, il doit le fournir gratuitement au salarié payé au salaire minimum. (…)
« L'employeur ne peut exiger une somme d'argent d'un salarié pour l'achat, l'usage ou l'entretien d'un vêtement particulier qui aurait pour effet que le salarié reçoive moins que le salaire minimum. (...)
« L'employeur ne peut exiger d'un salarié qu'il paie pour un vêtement particulier qui l'identifie comme étant un salarié de son établissement. En outre, l'employeur ne peut exiger d'un salarié l'achat de vêtements ou d'accessoires dont il fait le commerce (en vigueur depuis le 1er mai 2003). » (Notre soulignement)
Précisons que cet article a été modifié en 2003. Ainsi, la disposition ne désigne plus un « uniforme », mais fait référence à « un vêtement particulier », ce qui élargit l'application possible de cet article.
Auparavant, l'article se lisait en effet ainsi :
« Lorsqu'un employeur rend obligatoire le port d'un uniforme, il doit le fournir gratuitement au salarié payé au salaire minimum. L'employeur ne peut exiger une somme d'argent du salarié pour l'achat, l'usage ou l'entretien d'un uniforme qui aurait pour effet que le salarié reçoive moins que le salaire minimum. »
Ainsi, si un employeur exige le paiement d'un vêtement particulier, par déduction salariale ou autrement, le salarié, qui reçoit l'équivalent du salaire minimum, pourra refuser de payer cette somme; si le paiement a déjà été effectué, il pourra réclamer cette somme de lui-même ou par l'entremise de la Commission des normes du travail. De même, le salarié qui gagne plus que le salaire minimum, mais pour lequel le coût d'un vêtement obligatoire et particulier a pour effet de rendre son salaire inférieur au minimum requis, pourra en demander le remboursement. À titre d'exemple, la décision rendue par le juge Michel Simard, dans l'affaire Commission des normes du travail c. Anctil, 200-32-004243-894; la Commission réclamait pour un salarié le coût d'un uniforme imposé par l'employeur et déduit sur sa paye. Le juge a donné raison à la Commission.
En ce qui concerne Natacha, celle-ci pourra effectivement refuser de payer pour l'achat d'un vêtement affichant le logo de la boutique sportive, puisqu'elle ne reçoit que le salaire minimum.
Si l'exigence de l'employeur est relative à un vêtement à son image ou arborant un logo qui l’identifie, il doit le fournir gratuitement. Le principe est le même s'il s'agit de vêtements vendus par l'employeur, par exemple une boutique de vêtements. Qu'ils soient ou non payés au salaire minimum, François et Jennifer n'auront donc pas à débourser le coût des vêtements décrits dans notre exemple.
En 2008, la commissaire France Giroux, de la Commission des relations du travail, a reconnu que le fait pour une salariée de contester auprès de son employeur l’obligation de payer une somme de 5 $ pour un chandail promotionnel exigé par lui constitue l'exercice d'un droit au sens de la Loi sur les normes du travail (Boucher c. Café central Coaticook, Commission des relations du travail, CM 2007-5178 et CM 2007-5179, 2008 QCRT 0206, le 6 mai 2008).
Incidence de la Charte des droits et libertés de la personne : l'atteinte aux droits fondamentaux, à la dignité et la discrimination
Le cas de Nancy n'est pas régi par la Loi sur les normes du travail. Pour aborder cette situation, nous référons le lecteur aux droits fondamentaux décrétés entre autres par la Charte des droits et libertés de la personne.
L'obligation d'exiger le port d'un vêtement particulier au travail est ultimement limitée par les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne. Les arbitres de griefs et la Commission des relations du travail reconnaissent cette limite. Un employeur doit donc éviter que ses exigences quant au port d'un vêtement particulier soient abusives ou inadmissibles pour le type d'activités propres à son entreprise.
La liberté et la dignité de la personne sont ainsi protégées par l'article 4 de la Charte québécoise. Par ailleurs, le Code civil du Québec, à l'article 2087, prévoit également que l'employeur a le devoir de s'assurer que la dignité de ses employés est protégée.
Dans une affaire tranchée par le Tribunal des droits de la personne, l'employeur des serveuses d'un restaurant où était exigé le port de hauts moulants, de jupes courtes et de souliers à talons hauts, a été condamné pour ces exigences particulières (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 2632-1661 Québec inc. (Restaurant la Courtisane) TDP 500-53-000061-968, 16 juin 1997).
De même, dans un cas semblable, des serveuses devaient porter une minijupe, un chemisier ou un chandail moulant. L'employeur avait demandé à l'une d'entre elles de déboutonner son chemisier pour faire le service; celle-ci s'était même ultimement fait congédier parce que sa poitrine n'était pas assez volumineuse. Le Tribunal des droits de la personne a condamné l'employeur et indiqué que le « fait d'exiger qu'une femme ait de gros seins ou qu'elle soit vêtue de façon à dévoiler son corps pour conserver son emploi correspond tout à fait à la définition de la discrimination, telle qu'énoncée à l'article 10 de la Charte... » Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Beaublanc inc. (1999) R.J.Q. 1875 (TDP).
Aussi, dans l'affaire Kirham et Théorêt c. Bill Edward's Cheers – Cheers Management (Pointe-Claire) inc., CM 1009-5628 et CM 1009-5631, le 30 janvier 2002, le commissaire Alain Turcotte devait décider si les plaignantes avaient fait preuve d'insubordination puis été congédiées ou si elles avaient simplement démissionné de leur poste en refusant de porter un vêtement particulier imposé par leur employeur. En effet, l'employeur obligeait les plaignantes à porter un chandail qu'elles considéraient trop transparent, trop ajusté et dégradant. Le but du port de ce chandail était d'attirer la clientèle. L'employeur exploitant un établissement où l'on sert des boissons alcoolisées, la clientèle est très près des serveuses. Certaines employées refusèrent de porter ce chandail. L'employeur leur indiqua clairement que, si elles refusaient de le porter, elles n'auraient d'autre choix que de quitter leur emploi, ce qu'elles firent.
Le commissaire concevait que l'opinion quant à la transparence du chandail et à l'impact de l'éclairage pouvaient différer d'une personne à l'autre. Cependant, si un tel chandail attirait l'attention sur les attributs féminins et qu'ainsi les plaignantes s'exposaient à des paroles, remarques ou gestes inopportuns de la part de la clientèle et non désirés par elles, l'employeur ne respectait pas son obligation de protéger leur dignité en vertu de l'article 2087 du Code civil du Québec.
Le commissaire écrit : « … lorsqu'on impose à une personne, pour conserver son emploi de serveuse dans un restaurant, de se parader devant les clients, vêtue d'un habillement dont l'objectif exclusif est de mettre en évidence ses attributs physiques et ses caractéristiques sexuelles, on brime sa liberté et on porte atteinte à sa dignité. » Le commissaire considère donc que les plaignantes pouvaient à bon droit refuser de porter le chandail litigieux, qu'il n'y avait pas eu d'insubordination de leur part et que l'employeur ne pouvait ainsi considérer qu'elles avaient démissionné.
Le cas de Nancy est semblable à celui qui a été tranché par le Commissaire dans cette affaire : l'employeur ne pourrait obliger Nancy à porter un vêtement trop transparent.
Pierre Latulippe, avocat pour le cabinet Poirier, Rivest Fradette, Commission des normes du travail
Source : VigieRT, numéro 35, février 2009.