L’obligation d’accommodement a fait couler beaucoup d’encre au cours des dernières années, particulièrement dans le contexte des accommodements religieux. Les employeurs sont maintenant bien renseignés à ce sujet et savent qu’ils doivent accorder des accommodements aux employés atteints d’un handicap ou invoquant des motifs religieux. Avec l’accroissement des naissances au cours des dernières années et les programmes accordant divers congés pour obligations familiales, mis en place au Québec, les employeurs sont de plus en plus aux prises avec l’obligation d’accommodement à l’égard des parents.
Dans un contexte où le concept de la conciliation travail/famille est sur toutes les lèvres, qu’en est-il de l’obligation d’accommodement envers un parent qui ne peut remplir sa prestation de travail en raison d’obligations familiales?
Bien entendu, il existe certains droits clairement reconnus notamment par la Loi sur les normes du travail, tels les congés de maternité, de paternité, parentaux et pour obligations familiales en plus du droit de refuser de travailler au-delà des heures normales de travail en raison d’obligations familiales. Le présent article ne vise pas à traiter de ces différents droits reconnus par la Loi, mais plutôt à déterminer si un employeur doit aller au-delà de ces obligations législatives établies.
À titre d’exemple, l’employeur doit-il accorder un accommodement à un employé qui réclame un quart de jour plutôt qu’un quart de soir parce qu’aucune garderie ne peut s’occuper de son enfant en soirée ou doit-il permettre à un employé de rentrer au travail plus tard le matin parce qu’il doit s’occuper de son enfant?
Les principes de l’obligation d’accommodement
Commençons tout d’abord par un rappel des principes applicables en matière d’obligation d’accommodement.
En premier lieu, une distinction s’impose selon la juridiction de l’entreprise. Les entreprises de juridiction provinciale sont régies par la Charte des droits et libertés de la personne (Charte québécoise), alors que les entreprises de juridiction fédérale sont régies par la Loi canadienne sur les droits de la personne (Loi canadienne).
Ce sont deux lois fondamentales qui interdisent toute discrimination en vertu de divers motifs, dont les plus connus sont l’âge, le sexe, la race, l’orientation sexuelle, le handicap et la religion. L’obligation d’accommodement est un principe qui n’est pas prévu explicitement dans la Charte québécoise et la Loi canadienne, mais qui a plutôt été développé par les tribunaux au fil des ans. Cette obligation découle de l’interdiction de discriminer en emploi en raison d’un des motifs énoncés dans ces lois.
Lorsqu’un employé invoque un des motifs prévus à la Charte québécoise ou à la Loi canadienne, pour demander un accommodement, l’employeur doit évaluer avec lui les possibilités envisageables et lui accorder cet accommodement à moins de ne pouvoir le faire en raison d’une contrainte excessive.
L’obligation d’accommodement impose ainsi aux employeurs, en collaboration avec l’employé concerné et le syndicat, le cas échéant, de rechercher une solution acceptable pour tous. Pour ce faire, l’employeur devra, à titre d’exemple, envisager de réaménager les horaires de travail, de déplacer l’employé à un autre poste ou de restructurer ses tâches.
Soulignons que l’employé devra participer à la recherche de solutions et faire des compromis. Il devra accepter les modifications à ses conditions de travail qui sont raisonnables et pertinentes. Un employé qui refuse toutes les solutions qui ne lui conviennent pas parfaitement ne pourra invoquer que l’employeur n’a pas respecté son obligation d’accommodement.
L’obligation d’accommodement a cependant une limite; c’est ce qu’on appelle la contrainte excessive. La présence du mot « excessif » signifie qu’une certaine contrainte doit être acceptée par l’employeur. Une entreprise ne pourrait se dégager de son obligation d’accommodement en invoquant de simples difficultés ou un obstacle mineur. À titre d’exemple, la crainte de créer un précédent, la préférence de la clientèle ou encore les formalités administratives ne seront pas jugées comme des contraintes excessives. En somme, l’employeur devra faire plus que des efforts négligeables.
Ainsi, une contrainte sera considérée comme excessive lorsqu’elle sera de nature à entraver indûment l’exploitation de l’entreprise ou de nature à générer des coûts excessifs. L’impossibilité de changement sur le plan des effectifs, les pertes de revenus et les dépenses supplémentaires importantes, l’impact sérieux sur le moral des employés, l’existence d’un danger pour la santé ou la sécurité de l’employé ou de ses collègues, l’impact important sur le fonctionnement usuel de l’entreprise sont tous des facteurs qui ont été considérés comme des contraintes excessives. Il est important de mentionner qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant, puisque chaque cas doit être évalué selon les faits et les circonstances de l’espèce. L’évaluation de ce qui constitue une contrainte excessive varie conséquemment d’un dossier à un autre.
L’obligation d’accommoder un parent
En vertu de la Charte québécoise et de la Loi canadienne, les parents peuvent-ils demander un accommodement afin de concilier le travail et la famille? Comme nous l’avons mentionné, l’obligation d’accommodement s’applique uniquement dans le contexte où un employé invoque un motif de discrimination prévu à la Loi. Les motifs de discrimination pouvant être soulevés varient selon qu’il s’agit de l’application de la Charte québécoise ou de la Loi canadienne...
Les entreprises de juridiction provinciale
C’est la Charte québécoise qui s’applique aux entreprises de juridiction provinciale. Cette Loi ne prévoit pas de motif de discrimination lié directement à la situation familiale ou parentale. Le motif de discrimination généralement invoqué par les travailleurs au soutien d’une demande d’accommodement pour leurs obligations familiales est le motif d’état civil. Il existe peu de décisions en droit québécois concernant l’obligation d’accommodement en raison d’un motif familial; dans ces quelques décisions, il existe un débat jurisprudentiel à savoir si la situation parentale peut être incluse dans la notion d’état civil. Sans se prononcer clairement sur l’inclusion ou non de la situation parentale dans le motif de discrimination d’état civil, la Cour d’appel, dans une décision très récente, semble indiquer que la situation parentale n’est pas un droit fondamental bénéficiant de la protection de la Charte québécoise[1]. Les délais pour porter cette décision en appel n’étant pas encore écoulés, nous ne pouvons affirmer qu’il s’agit de l’état actuel du droit. Cependant, si cette décision est maintenue, il sera dorénavant beaucoup plus difficile pour un employé d’invoquer la Charte québécoise et de demander un accommodement en raison d’une situation parentale.
Quoi qu’il en soit, même en tenant pour acquis qu’un employé puisse invoquer le motif d’état civil au soutien d’une demande d’accommodement, rares sont les décisions qui ont conclu que l’employeur avait une obligation d’accommodement. En effet, les tribunaux sont sévères à l’endroit des employés et exigent une grande contribution de leur part. Ceux-ci devront avoir tenté par tous les moyens de concilier leurs obligations professionnelles et personnelles avant de demander un accommodement.
Selon les circonstances, les employés devront évaluer les divers choix qui s’offrent à eux, notamment la possibilité qu’une autre personne s’occupe des enfants, soit un membre de la famille ou une personne de leur réseau social.
Par ailleurs, lorsqu’il modifie l’horaire de travail d’un employé, lui occasionnant ainsi une difficulté à concilier ses obligations professionnelles et personnelles, l’employeur devra lui accorder un certain délai afin qu’il puisse trouver une autre solution. Ce délai variera selon les circonstances et sera pris en compte par les tribunaux dans l’évaluation de l’obligation de chacune des parties.
Enfin, quand un employé, malgré des efforts véritables, n’arrive pas à trouver un moyen de concilier le travail et la famille, il existe toujours la possibilité qu’un tribunal impose à l’employeur d’accommoder cet employé compte tenu du débat jurisprudentiel existant concernant la notion d’état civil. Évidemment, dans de telles circonstances, tous les critères relatifs à l’obligation d’accommodement énoncés ci-dessus seront considérés, dont la présence d’une contrainte excessive. Chaque situation devra être évaluée selon les circonstances en cause afin de déterminer s’il y a lieu d’accorder un tel accommodement à l’employé.
Mentionnons finalement qu’une employée pourrait également invoquer le motif de grossesse ou du sexe pour justifier une demande d’accommodement dans les cas notamment où la discrimination serait fondée sur le fait que la personne s’est absentée durant un congé de maternité et que cela lui a fait perdre des droits. À titre d’exemple, les programmes exigeant l’accumulation d’un certain nombre d’heures de travail afin d’atteindre un statut particulier ou une promotion dans l’entreprise ont déjà été jugés discriminatoires puisque les femmes en congé de maternité ne pouvaient bénéficier des mêmes chances d’accès à ce statut que les autres employés[2]. Encore une fois, chaque cas devra être évalué individuellement, puisqu’un employeur pourrait mettre en preuve, selon les circonstances, que le nombre d’heures requis doit être travaillé afin d’acquérir l’expérience nécessaire à l’accomplissement des tâches liées au nouveau statut ou à la promotion.
Les entreprises de juridiction fédérale
La situation est bien différente pour les entreprises de juridiction fédérale. En effet, la Loi canadienne prévoit précisément la situation de famille comme motif de discrimination. La discrimination fondée sur ce motif a été définie comme suit par la jurisprudence : « […] mesures ou […] attitudes qui ont pour effet de limiter les conditions d’embauche ou les perspectives d’emploi des employés sur la base d’une caractéristique liée à leur […] famille. »
Il existe encore peu de décisions rendues en matière d’obligation d’accommodement en raison de ce motif de situation de famille. Cependant, contrairement aux décisions rendues en vertu de la Charte québécoise, les tribunaux ont davantage tendance à conclure qu’il faut accorder l’accommodement à l’employé.
À titre d’exemple, à la suite de son retour de congé de maternité, une travailleuse a demandé à son employeur de l’affecter au quart de jour, puisqu’elle ne pouvait concilier son horaire de nuit avec celui des services de garde et était incapable de trouver une gardienne prête à s’occuper de son enfant durant la nuit. L’employeur alléguait que l’employée n’avait pas fait suffisamment d’efforts pour trouver un service de garde. Le tribunal conclut que l’employeur a fait preuve de discrimination selon la situation de famille, puisqu’il n’a pas accordé d’accommodement, alors qu’il était en mesure de le faire[3].
Dans une autre affaire, la travailleuse avait été appelée à travailler trois samedis. N’ayant pas réussi à trouver une gardienne pour son enfant, elle a demandé à son employeur de lui permettre de ne pas travailler ces jours-là. L’employeur lui a accordé les congés, mais sans solde. La cour a conclu que l’employeur avait fait preuve de discrimination fondée sur la situation de famille et n’avait pas réussi à démontrer qu’il subissait une contrainte excessive[4].
Afin d’invoquer ce motif de situation de famille, l’employé devra démontrer qu’il est un parent, qu’il a des tâches de parent à accomplir et qu’il n’a pas bénéficié de chances de travail égales et entières en raison de sa situation de famille. Évidemment, les critères énoncés ci-dessus en matière d’obligation d’accommodement seront appliqués, à savoir notamment la collaboration de l’employé et la présence d’une contrainte excessive pour l’employeur.
Conclusion
En somme, comme dans tous les cas d’obligation d’accommodement, l’employeur devra évaluer chaque cas individuellement et déterminer si d’une part l’employé requérant l’accommodement est victime de discrimination en raison d’un motif invoqué à la Charte québécoise ou à la Loi canadienne et d’autre part si l’accommodement recherché peut être accordé sans entraîner une contrainte excessive pour l’entreprise.
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Source : VigieRT, septembre 2010.
1 | Syndicat des intervenantes et intervenants de la santé Nord-Est québécois (SIISNEQ) (CSQ) c. Centre de santé et de services sociaux de la Basse Côte-Nord, D.T.E. 2010T-215 (C.A.). |
2 | Syndicat de l’enseignement du Haut-Richelieu et Commission scolaire des Hautes-Rivières, D.T.E. 2009T-10 (T.A.). |
3 | Brown c. Canada (Ministère du Revenu national, Douanes et Accise), [1993] D.C.D.P. nº 7 (Tribunal canadien des droits de la personne). |
4 | Hoyt et Commission canadienne des droits de la personne et Compagnie des Chemins de fer nationaux du Canada et Travailleurs unis des Transports, [2006] T.C.D.P. 33 (Tribunal canadien des droits de la personne). |