Alors que l’arbitre de grief et la Cour supérieure avaient tous deux conclu à la modification illégale des conditions de travail des salariés de Walmart au magasin de Jonquière, voilà que le 11 mai 2012, la Cour d’appel du Québec annule ces décisions en déclarant que la fermeture de l’établissement ne constitue pas une modification des conditions de travail (Wal-Mart c. TUAC, 2012 QCCA 903).
En 2004, on se souvient que Walmart a cessé l’exploitation de son magasin de Jonquière à la suite du processus de syndicalisation de ses employés. Les parties avaient entrepris des pourparlers visant la négociation d’une première convention collective. À la suite de l’échec des négociations, un arbitre a été nommé par le ministre du Travail en date du 9 février 2005. Pourtant, le même jour, Walmart a décidé de fermer son établissement, ce qui a entraîné le licenciement de tous les employés du magasin moins de deux mois plus tard.
Depuis ce jour, le syndicat a intenté plusieurs recours visant la réouverture du magasin. L’un de ceux-ci avait notamment pour but de faire déclarer que la fermeture unilatérale et définitive de l’entreprise, à la suite du dépôt d’une requête en accréditation, constituait une modification des conditions de travail au sens de l’article 59 du Code du travail.
Se pose alors la question de déterminer si un employeur est libre de fermer définitivement son entreprise sans avoir de comptes à rendre à ses salariés et si, dans un tel contexte, les salariés sont en droit d’exiger la réouverture de l’entreprise.
Rappelons que l’article 59 du Code du travail énonce qu’un employeur ne peut modifier les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit du syndicat à compter du dépôt de la requête en accréditation, s’il n’y a pas eu de grève ou de sentence arbitrale. Pour que cet article trouve application, le syndicat doit démontrer qu’il y a eu une modification des conditions de travail, et l’employeur doit ensuite prouver que cette modification faisait partie du cours normal des activités de l’entreprise.
La jurisprudence, élaborée par les arbitres de grief concernant l’interprétation de la notion de « changement des conditions de travail » en vertu de l’article 59 du Code du travail, reconnaît que les conditions de maintien et de rupture du lien d’emploi font partie des conditions de travail.
La Cour d’appel mentionne que la fermeture définitive d’une entreprise, même si elle a lieu après le dépôt d’une requête en accréditation, ne constitue pas une modification des conditions de travail. Ce raisonnement repose, selon la Cour d’appel, essentiellement sur le principe qui ressort de l’arrêt Société de la Place des Arts de Montréal, 2004 CSC 2 qui soutient qu’aucune législation ne peut forcer un employeur à exploiter son entreprise et qu’aucune décision arbitrale ne peut ordonner la réouverture de l’entreprise.
La Cour d’appel est d’avis que l’arbitre de grief a commis deux erreurs.
D’une part, la Cour d’appel soutient que, dans le contexte d’une fermeture complète et définitive de l’entreprise, on ne peut parler d’une modification des conditions de travail puisque cela aurait pour effet d’accorder une sécurité d’emploi à laquelle les employés ne pouvaient prétendre avant le dépôt de la requête en accréditation. Selon la Cour d’appel, « aussi bien dire que l’employeur ne pourrait alors jamais congédier pendant la période décrite à 59 C. tr. ».
D’autre part, la Cour d’appel traite de l’esprit même de l’article 59 du Code du travail. Bien que cet article prévoie un gel des conditions de travail, il n’est prévu nulle part que ces conditions ne puissent se détériorer, mais uniquement se bonifier.
Ainsi, la fermeture ne constitue pas une modification, mais une « suppression de travail », car « l’exploitation de l’entreprise ne change pas, elle disparaît. »
Cette décision de la Cour d’appel s’ajoute à une série de défaites pour le syndicat des employés de Walmart.
En effet, dans l’affaire Wal-Mart c. Plourde, 2009 CSC 54, la Cour suprême a refusé une réclamation fondée sur les articles 15 à 17 du Code du travail, lesquels permettent à la Commission des relations du travail d’exiger la réintégration ainsi que le versement de dommages à un employé qui a été congédié en raison de ses activités syndicales. En alléguant « qu’une ordonnance rendue en vertu de l’article 15 doit nécessairement s’appuyer sur l’existence d’un lieu de travail encore en activité », la Cour ne se penche pas sur les motifs antisyndicalistes qui pourraient être sous-jacents à la fermeture définitive de l’entreprise.
La Cour suprême a néanmoins ouvert une porte aux salariés en mentionnant que « le recours approprié en cas de fermeture d’une entreprise est prévu aux articles 12 à 14 du Code du travail. »
C’est vraisemblablement pour cette raison que les salariés des Couche-Tard de Montréal et de Laval, dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs des Couche-Tard de Montréal et Laval – CSN c. Fédération du commerce, 2011 QCCRT 0449, ont intenté un recours sous ces mêmes articles 12 à 14 du Code du travail, en déposant une plainte de négociation de mauvaise foi, d’entrave, d’intimidation et de menaces pour activités syndicales. La procédure comporte, notamment, une demande d’ordonnance provisoire visant à maintenir les opérations de l’établissement.
Essentiellement, les salariés plaident que la fermeture de l’entreprise résulte de motifs illégaux et ne peut donc être réelle. Ils s’appuient sur les circonstances de la fermeture, sa soudaineté, l’attitude de l’employeur et la rentabilité de l’entreprise.
Or, le 29 septembre 2011, la Commission des relations du travail a rejeté cette demande d’ordonnance provisoire et indiqué que, comme la fermeture est réelle et définitive, elle n’a aucun pouvoir d’intervention. La Commission ne peut pas ordonner la réouverture de l’établissement, ni le rappel au travail des salariés congédiés.
L’état de la jurisprudence nous démontre donc qu’il n’existe pas de recours visant à empêcher la fermeture de l’entreprise pour les salariés congédiés à la suite d’une fermeture réelle et définitive de celle-ci.
Finalement, il est intéressant de rappeler que la Commission des relations de travail dans l’affaire Couche-Tard a soulevé une autre possibilité. Lors de son argumentation, le syndicat a demandé qu’à défaut d’ordonner la réouverture de l’établissement, la Commission devrait ordonner à l’employeur de rappeler les salariés dans un autre de ses établissements qui lui, n’a pas été fermé de façon définitive. La Commission a évalué la question en mentionnant qu’une « telle mesure de redressement peut s’avérer appropriée dans un cas de fermeture d’un établissement lorsque la fermeture constitue un acte déloyal ou procède de motifs illégaux. » Elle a précisé que, même si une telle ordonnance ne pouvait être rendue au stade provisoire, elle avait déjà été rendue dans d’autres juridictions canadiennes.
En terminant, il semblerait bien que tous les recours ont été intentés par le syndicat et qu’aucun d’entre eux n’aura porté ses fruits. La décision récente de la Cour d’appel semble clore une longue saga judiciaire eu égard à la fermeture du magasin Walmart de Jonquière. En date des présentes, aucune demande d’autorisation d’en appeler à la Cour suprême n’a été déposée.
Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.
Source : VigieRT, juin 2012.