Aussi bien au Québec que dans les autres provinces, les employés se servent du recours qu’est l’action collective (anciennement « recours collectif ») pour faire valoir leurs droits contre leurs employeurs, leurs syndicats ou les organismes publics qui les régissent. D’autre part, les citoyennes et les citoyens qui ont subi des préjudices en raison de moyens de pression ou de grèves illégales n’hésitent pas à rechercher compensation pour eux-mêmes et les membres du groupe qu’ils représentent.
Étant d’avis que cette tendance se maintiendra, nous vous proposons dans le présent article un survol de ce qu’est l’action collective et son application au domaine de l’emploi.
Principes
L’action collective permet à une demanderesse ou à un demandeur d’intenter une action en justice en son nom et pour le compte d’un groupe de personnes qu’il décrit. Cependant, il doit obtenir au préalable l’autorisation de la Cour.
La ou le juge qui est saisi de la demande d’autorisation y fera droit s’il est satisfait que :
- la demanderesse ou le demandeur a, prima facie, une cause défendable;
- la détermination de certaines questions communes au groupe fera avancer le recours personnel de chacun des membres de ce groupe;
- l’action collective est le recours approprié;
- la demanderesse ou le demandeur peut représenter adéquatement les membres du groupe.
Lorsqu’autorisée, l’action collective procède jusqu’à procès généralement comme une action ordinaire. Toutefois, toutes les personnes qui sont comprises dans la définition du groupe sont automatiquement membres de l’action collective, à moins de s’être exclues dans les délais impartis. Toute personne qui ne s’est pas exclue du groupe sera alors liée par le jugement au fond ou par tout règlement une fois approuvé par la Cour. Si la représentante ou le représentant perd sa cause, les droits de tous les membres du groupe s’éteindront. Au contraire, si sa demande est accueillie, tous les membres du groupe pourront faire valoir leurs réclamations. En d’autres mots : un pour tous, tous pour un!
Lorsque l’action collective est accueillie, la ou le juge détermine ensuite de quelle façon les réclamations des membres seront adjugées, soit collectivement ou de manière individuelle.
L’action collective en droit du travailDepuis les vingt dernières années, les Cours de justice canadiennes ont dû se prononcer, tant au stade de l’autorisation qu’au fond, sur des actions collectives portant sur plusieurs sujets liés au droit du travail. Le présent article vise donc à présenter certains de ces sujets, sans avoir la prétention d’en donner une énumération exhaustive.
- Juridiction exclusive des tribunaux administratifs
Le droit du travail est régi par plusieurs lois qui accordent une juridiction exclusive aux tribunaux administratifs. Dans l’arrêt Université Concordia[1], la Cour Suprême a établi qu’une demande d’autorisation d’exercer une action collective ne peut être accueillie lorsqu’elle porte sur un sujet qui relève de la juridiction exclusive d’un tribunal administratif. Dans cette affaire, le régime de retraite des employés avait été incorporé dans les neuf conventions collectives qui liaient l’Université à différents groupes de salariés. Dès lors, la Cour a conclu que seuls les arbitres de griefs avaient juridiction pour entendre la réclamation du représentant et ce, même si une partie des membres bénéficiant du régime de retraite étaient non-syndiqués.
- Régimes de retraite et régimes d’avantages sociaux
Les régimes de retraite et d’avantages sociaux sont des terreaux fertiles à l’action collective. Les dispositions de ces régimes s’appliquent à toutes les personnes qui y sont assujetties, et si une mésentente survient quant à la portée de ces dispositions, elle est généralement commune à tous. Ainsi, si la cause d’action mise de l’avant par la demanderesse ou le demandeur est à première vue défendable, la ou le juge autorisera l’action collective, puisque normalement, les questions qui seront tranchées par le jugement au fond s’appliqueront à tous les membres du groupe, quitte à adjuger par la suite certaines questions particulières à chaque membre du groupe, telles que la somme qui revient à chacun d’eux.
Un exemple parmi d’autres est l’affaire Singer[2] : un employé a été autorisé à intenter une action collective réclamant le surplus accumulé à la fin du régime de retraite, soit une somme de plus de 4 000 000 $, ainsi que le remboursement des congés de contributions pris par l’employeur, ce qui représentait plus de 6 000 000 $. Cette action collective a été intentée avec succès. Les membres du groupe ont donc pu bénéficier collectivement de ces sommes, lesquelles constituaient un apport important améliorant ainsi leurs prestations de retraite.
Plusieurs autres sujets concernant les régimes de retraite et avantages sociaux ont fait l’objet d’actions collectives. Le droit de modifier certaines dispositions d’un régime de retraite ou d’un régime d’avantages sociaux[3] et la responsabilité des gestionnaires d’un régime de retraite découlant de mauvais investissements[4] ou d’informations inexactes fournies aux membres du régime[5] sont des sujets qui ont fait l’objet de demandes d’autorisation. Elles ont été dans plusieurs cas autorisées et suivies d’un jugement au fond ou d’un règlement intervenu entre la demanderesse ou le demandeur et les défendeurs et approuvé par la Cour.
- Réclamations salariales contre les administrateurs à la suite de la faillite de la société
Plusieurs actions collectives ont été autorisées contre les administrateurs d’une société qui a fait faillite aux fins de réclamer des salaires dus aux employés[6].
- Licenciements collectifs et congédiements déguisés
Des demandes d’autorisation d’exercer des actions collectives ont également été déposées pour réclamer des indemnités de départ à la suite de licenciements collectifs[7], de même que des actions pour réclamer les heures supplémentaires travaillées et non payées[8].
Par contre, dans une action intentée contre Allstate du Canada, compagnie d’assurances[9], la Cour a refusé d’autoriser une action collective alléguant que plusieurs employés d’Allstate avaient fait l’objet d’un congédiement déguisé à la suite d’une décision unilatérale de l’employeur de modifier leurs conditions de travail. La Cour en est arrivée à la conclusion que le cas de chaque personne devait être analysé individuellement pour arriver à déterminer si la modification au contrat individuel de travail constituait ou non un congédiement déguisé et que l’action collective n’était pas le recours approprié en l’instance.
- Recouvrements de ristournes et de cotisations syndicales
L’employeur n’est pas le seul à faire face à des actions collectives. En effet, une action collective a été accueillie contre un syndicat au nom des membres qui avaient été privés des ristournes versées par ce dernier[10].
Cependant, dans l’affaire Caron[11], la Cour refusait d’autoriser l’action collective du demandeur qui cherchait le remboursement de différentes cotisations et contributions déduites à même le salaire des membres et remises au syndicat provincial et à la CCQ, alors que les membres œuvraient pour des entreprises de compétence fédérale non assujetties à la loi québécoise sur les relations du travail dans l’industrie de la construction (Loi R-20).
- Grèves illégales
Les syndicats ont également fait face à des actions collectives intentées au nom de personnes ayant subi un préjudice en raison de moyens de pression ou de grèves illégales. Dans certains cas, les tribunaux sont allés jusqu’à condamner les syndicats, non seulement à des dommages compensatoires, mais également à des dommages punitifs[12].
Conclusion
L’action collective a été créée pour permettre un accès à la justice aux personnes qui autrement ne feraient pas valoir leurs droits, responsabiliser les entités qui seraient tentées de ne pas respecter leurs obligations et économiser les ressources judiciaires pour qu’un seul jugement sur les questions communes soit rendu concernant la réclamation de tous les membres. Dès lors, les tribunaux n’hésitent pas à autoriser une action collective lorsque les conditions donnant ouverture à celle-ci sont satisfaites.
En raison de sa nature, le domaine de l’emploi se porte bien au véhicule de l’action collective. Considérant l’impact significatif que peut avoir une telle action sur les finances et la réputation de l’employeur ou du syndicat, il serait prudent pour ceux-ci de bien évaluer les conséquences des décisions qu’ils entendent prendre à l’égard de leur personnel ou de leurs membres.
Source : VigieRT, novembre 2016.