Vous lisez : ITAR et discipline

Le International Traffic in Arms Regulations (ITAR) est un règlement américain encadrant sévèrement le transfert d’informations ou l’accès à des produits de défense pour les entreprises américaines œuvrant dans ce secteur. Le Règlement sur les marchandises contrôlées (DORS/2001-32) est en quelque sorte le pendant fédéral canadien de ce règlement américain.

Dans deux décisions récentes, un arbitre était saisi de griefs contestant les congédiements de deux salariés ayant été en possession, ayant consommé ou fait le trafic de substances désignées en violation de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C.; 1996 c. 19. Les cas de mesures disciplinaires et souvent le congédiement imposé à des employés ayant eu en leur possession de la drogue, en ayant consommé ou encore en faisant le trafic au travail abondent. De ce point de vue, les deux décisions s’inscrivent dans le courant majoritaire reconnaissant qu’il s’agit là d’infractions graves qui justifient généralement la décision de congédiement par l’employeur.

Dans ces affaires[1], l’employeur avait soumis à titre de facteur aggravant, que l’entreprise où œuvraient les deux salariés était soumise au Règlement sur les marchandises contrôlées. La preuve avait révélé que plus de 33 000 articles conservés dans l’entreprise étaient visés par ledit Règlement. Plus particulièrement, l’employeur a fait valoir que :

« [177] Les articles 11, 15 et suivants du Règlement sur les marchandises contrôlées prévoient que les employés doivent périodiquement faire l’objet d’évaluations de sécurité, afin de s’assurer que le Règlement est respecté dans l’entreprise et qu’il n’y a pas d’espionnage, ni de vol de données. »

En l’espèce, les salariés n’avaient pas d’antécédents criminels pertinents, mais l’employeur a plaidé que leur comportement au travail était illégal et susceptible, à la suite d’accusations criminelles d’une condamnation de même nature et évidemment, d’entraîner la création d’un dossier criminel. L’employeur a fait ainsi valoir que :

« [188] D’abord, le Règlement sur les marchandises contrôlées prévoit un lien très étroit entre l’évaluation de sécurité des employés et leurs antécédents criminels. Quant au Code d’éthique professionnelle adopté par CAE inc. (pièce E-10), il interdit spécifiquement la possession ou la remise de substances contrôlées. Or, il faut lire le Code d’éthique en fonction de la nature particulière de l’entreprise et de la législation applicable. En l’espèce, le fait, pour les employés, d’avoir des antécédents criminels peut avoir des conséquences tant sur la réputation de CAE inc. que sur leur capacité d’y travailler. »

L’arbitre a retenu cet argument et considéré ce contexte particulier comme un facteur aggravant en ces termes :

« [267] L’arbitre Me Carol Jobin énumère, dans sa décision Union des employés et employées de service, section locale 800 et Gestion des déchets Malexinc., les facteurs à prendre en considération dans l’analyse de la justesse de la sanction choisie par l’employeur :
« [73] Dans son examen de la sanction, l’arbitre tient compte de la nature de l’entreprise et des fonctions du salarié, de la présence d’un règlement d’entreprise, des circonstances de temps et de lieu entourant la consommation et, parfois, de la nature de la substance. J’ajoute à cela qu’il faut mener cette analyse en ayant à l’esprit l’effet de l’infraction et du comportement du salarié sur le lien de confiance nécessaire au maintien de l’emploi.
[268] En l’espèce, la preuve a amplement démontré que CAE Inc. est une entreprise fabriquant du matériel de défense militaire, qui conclut des contrats avec les gouvernements canadien et américain. À ce titre, elle doit satisfaire à des normes précises et rigoureuses imposées par la législation fédérale canadienne et américaine, dont le Règlement sur les marchandises contrôlées (pièce E-16) et le International Traffic in ArmsRegulations.

[269] Plus particulièrement, le Règlement sur les marchandises contrôlées exige que des attestations de sécurité de tous les employés qui y travaillent soient effectuées et maintenues à jour.

[270] Or, un des éléments pris en compte dans l’évaluation de la fiabilité des employés est l’absence d’antécédents criminels.

[271] Bien qu’en l’espèce, monsieur Palardy n’ait pas fait l’objet d’accusations criminelles pour les gestes reprochés, il n’en demeure pas moins qu’il a, à plusieurs reprises, adopté un comportement criminel alors qu’il était sur les lieux du travail ce qui, à mon avis, constitue un facteur aggravant, vu le type d’entreprise donc (sic) il est question ici. »

Dans le deuxième dossier, le plaignant avait été congédié pour avoir trafiqué au travail de la drogue sans contrepartie financière directe et immédiate, ce qui était tout de même contraire à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. L’arbitre a considéré également dans ce cas l’applicabilité du Règlement sur les marchandises contrôlées comme un facteur particulièrement aggravant :

« [161] Plus particulièrement, le Règlement sur les marchandises contrôlées exige que des évaluations de sécurité de tous les employés qui travaillent chez CAE Inc. soient effectuées et maintenues à jour. Ces évaluations portent notamment sur l’honnêteté et la fiabilité des employés visés.

[162] Or, un des éléments pris en compte dans l’évaluation de la fiabilité des employés est l’absence d’antécédents criminels.

[163] Bien qu’en l’espèce, monsieur Dineen n’ait pas fait l’objet d’accusations criminelles pour les gestes reprochés par l’employeur, il n’en demeure pas moins qu’il a, à plusieurs reprises, adopté un comportement criminel alors qu’il était sur les lieux du travail ce qui, à mon avis, constitue un facteur aggravant, vu le type d’entreprise dont il est question ici.

[164] Je fais donc miens les propos suivants de l’arbitre Émile Moalli :
« Canadair n’est pas une PME. On n’est pas, non plus, à la bibliothèque d’un service public (non pas que ce serait plus excusable, mais au moins ce serait moins dommageable). Il s’agit d’une entreprise grandement visible, de haute volée, dont l’existence et par conséquent le nombre de ses effectifs, dépendent de sa réputation, de la qualité de sa production. Un accroc à cette réputation et on met en jeu les emplois quelle procure. »

Dans le dossier du second plaignant, un autre élément aggravant plutôt habituel a été soulevé, à savoir l’absence de franchise du plaignant. L’arbitre a considéré que cette absence d’honnêteté était un facteur aggravant additionnel dans une entreprise visée par le Règlement sur les marchandises contrôlées :

« [172] J’ajouterai à cet égard que dans le type d’entreprise dont il est question ici, c’est-à-dire une entreprise dans laquelle tous les employés doivent subir une évaluation de sécurité portant notamment sur leur honnêteté et leur fiabilité, la franchise et le lien de confiance envers les employés sont des éléments absolument nécessaires au maintien du lien d’emploi. »

Ces deux décisions parmi les premières référant particulièrement à l’applicabilité du Règlement sur les marchandises contrôlées en matière disciplinaire sont intéressantes à plus d‘un égard. Ainsi, il est évident que les salariés ayant un comportement susceptible de les exposer à une condamnation criminelle et, par conséquent, à l’ouverture d’un dossier de même nature sont plus à risque pour une entreprise soumise au Règlement sur les marchandises contrôlées qu’une autre qui n’a pas à se soumettre au processus d’évaluation de sécurité de ses employés. En bref, une condamnation criminelle d’un employé a plus de conséquences pour un employeur soumis au Règlement sur les marchandises contrôlées qu’un employeur qui n’est pas assujetti à une telle réglementation. Il semble même qu’une condamnation à la suite d’activités hors travail pourrait également être pertinente dans la gestion disciplinaire du dossier de l’employé. En effet, le Règlement ne fait aucune distinction entre les antécédents criminels d’un employé selon que ceux-ci découlent d’activités au travail ou hors travail.

Au surplus, le Règlement référant à l’honnêteté d’un employé, nous soutenons que l’absence de celle-ci peut donc techniquement avoir des effets plus grands, notamment pour les employés, chez un employeur soumis au Règlement sur les marchandises contrôlées. Les exigences en pareille matière devraient être plus élevées chez l’entreprise soumise à ce règlement que chez celle qui ne l’est pas. Nous croyons, si une telle analogie nous est permise, qu’un employé travaillant dans une entreprise soumise au Règlement sur les marchandises contrôlées doit faire preuve d’une honnêteté encore plus grande que s’il travaille dans une autre entreprise au même titre qu’un employé aux commandes d’un véhicule motorisé ou pire un avion doit faire preuve d’une abstinence totale alors que les exigences en cette matière pour un simple employé de bureau peuvent être différentes.

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1 CAE inc. et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et Sylvain Palardy (T.A.), 25 juillet 2012, arbitre Me François Blais et CAE inc. et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) et James Edward Dineen (T.A.), 25 juillet 2012, arbitre Me François Blais
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