Vous lisez : Infirmières privées syndiquées et agences de placement

Des infirmières qui ont été embauchées par des agences de placement pour travailler dans un établissement de santé du Bas-Saint-Laurent doivent se soumettre à la même convention collective que leurs consœurs salariées, a tranché la Commission des relations du travail. Une décision qui pourrait créer un précédent dans le milieu de la santé, si elle n’est pas renversée.

Elles sont neuf infirmières à travailler plus ou moins fréquemment pour le service Info-Santé du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de La Mitis. Elles ont choisi de quitter le réseau public, probablement pour obtenir un cadre de travail plus flexible. Mais elles pourraient effectuer un rapide retour vers le passé : le Commissaire Louis Garant a statué le 29 mai dernier que leur employeur n’est pas les deux agences qui les ont embauchées, mais bien le CSSS. « Les infirmières des agences sont très bien intégrées à l’entreprise […] et on voudrait qu’elles ne soient pas visées par l’accréditation syndicale parce qu’une autre personne paie leur salaire qui est remboursé par le Centre de santé? Il s’agit d’un non-sens », peut-on lire dans la décision.

Cette décision, qui créera un précédent s’il n’y a pas demande de révision, a surpris Me André Sasseville, CRIA, avocat spécialisé en droit de l’emploi et du travail. « Traditionnellement, on a toujours considéré les agences comme les employeurs, car ce sont elles qui prennent la décision fondamentale d’embaucher une personne. Elles fixent aussi les salaires et décident qui référer », ajoute l’associé chez Langlois Kronström Desjardins.

Le commissaire Garant a pour sa part considéré que le CSSS contrôlait la plus grande part du travail des infirmières autonomes, ce qui fait d’elles ses salariées, au sens du Code du travail. Elles sont en effet supervisées par le Centre, et non par le privé, partagent les mêmes locaux que leurs consœurs syndiquées et remplacent des collègues salariées, « qu’il y ait du personnel syndiqué disponible ou non ».

Exit les agences privées?
Le président de l’agence de placement Groupe Santé Québec, qui fournit des infirmiers et infirmières surtout en Abitibi-Témiscamingue depuis 2005, est complètement outré que des infirmières syndiquées aient lutté pour que leurs consœurs autonomes aient les mêmes conditions qu’elles. « C’est niveler vers le bas! » s‘exclame Daniel Beauvais, qui croit plutôt que les conditions de travail doivent être améliorées dans le réseau public pour rejoindre celles des infirmières d'agence. Par exemple, ces dernières ne sont pas obligées de faire des heures supplémentaires, ont un horaire plus flexible et ont un meilleur salaire horaire, quoiqu'elles n'aient pas d'avantages sociaux et parfois pas de fond de retraite. « Mon but, c’est de fournir du personnel en paix et qui a du plaisir à travailler. Mes infirmières ne veulent pas retourner aux conditions du réseau public. Elles ont les conditions de travail dont elles rêvent depuis toujours. »

Cette décision, si elle est appliquée, menace-t-elle les agences privées, selon lui? « Si elle est un jour appliquée partout, nous, on ferme, c’est certain », répond tout de go celui qui a quarante ans de métier en soins infirmiers. On peut en effet difficilement imaginer ce qui pourrait pousser les infirmières à quitter le réseau public pour retrouver les mêmes conditions dans les agences de placement privées.

Le directeur général de Girafe Santé, agence qui place des infirmiers et infirmières à l’échelle de la province n'est, pour sa part, pas inquiet du tout. Selon lui, le cas de La Mitis en est un isolé. « C'est du cas par cas, dit Stéphane Prévost. Nous avons eu plusieurs dossiers comme ça en cour et nous avons toujours gagné. La portée de ce jugement est exagérée par les syndicats. »

Car pour les syndicats regroupant des infirmiers du Québec, c’est une grande victoire. « Tout le monde attend la suite », laisse tomber la présidente de la Fédération interprofessionnelle de santé du Québec (FIQ), Régine Laurent.

Le Syndicat des infirmières, infirmiers auxiliaires et inhalothérapeutes de l’Est-du-Québec, affilié à la Centrale des syndicats du Québec et à la Fédération de la santé du Québec, qui était le requérant dans cette cause, voit là un premier pas pour que cesse « l’iniquité » qui existe entre les infirmières syndiquées et celles qui sont autonomes. « Certaines infirmières ont dix, quinze ou vingt ans d’expérience et n’ont jamais eu de vacances d’été avec leurs enfants, alors que les infirmières d’agence, à la fin de juin, peuvent dire : “Bye bye, je reviens à la fin d’août”, déplore la présidente Micheline Barriault. Ça n’a pas de sens. » Une telle situation sera peut-être bientôt chose du passé pour les infirmières des services Info-Santé du CSSS de La Mitis, assujetties au même régime de travail.

La FIQ considère que cette décision est un outil de plus dans sa poche pour lutter contre la privatisation dans les centres de santé publics du Québec. Deux dossiers semblables menés par la Fédération sont en cours. « On espère que cette décision va inspirer les arbitres », dit madame Laurent.

Alors que 3239 infirmières québécoises travaillent à temps complet ou partiel pour une agence privée, selon les chiffres de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, madame Barriault « souhaite qu’il y ait d’autres plaintes pour faire appliquer la même chose ». Plus encore, Régine Laurent croit que les syndicats de toutes les professions de la santé pourraient tenter le même pari en cour. « On parle souvent des infirmières, parce que la pénurie est plus accentuée, mais pour [la FIQ], c’est la même logique pour tous », explique la présidente de la FIQ.

Me Louis-Philippe Bourgeois, CRIA, conseiller en relations industrielles chez Dunton Rainville, voit plutôt là une preuve que le code du travail est dysfonctionnel. « Plusieurs des infirmières d’agences privées le sont par choix. La décision a pour effet de les assujettir à un régime de travail (convention collective, représentation syndicale, processus de détermination des conditions de travail) que ces personnes ont choisi d’écarter. Dans ce contexte, le Code du travail ne protège pas la volonté de ces personnes. »

Le CSSS de La Mitis est toujours en réflexion à savoir s’il présentera une demande de révision. C’est que, dans un contexte où quatre postes sont vacants depuis août 2008 à son service Info-Santé, les infirmières d’agences privées sont d’un grand secours. Or, si les infirmières autonomes doivent adhérer au syndicat, rien ne dit qu’elles accepteront de travailler à La Mitis.

Pierre Gingras, directeur des ressources humaines à l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux (AQESSS), explique que l’objectif du Centre est bien sûr de continuer à offrir les services. « Celui-ci va devoir essayer de trouver une façon de combiner le service et la décision de la Commission des relations du travail. Mais chose certaine, cette décision ne règle pas le problème, soit la pénurie d’infirmiers et infirmières », croit-il.

L’équipe de VigieRT a recensé pour vous ces hyperliens pertinents :

Mélissa Guillemette, journaliste indépendante

Source : VigieRT, numéro 39, juin 2009.

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