Vous lisez : Griefs en rafale

Avant les vacances estivales, nous vous proposons pour cette revue mensuelle de la jurisprudence arbitrale l’examen en rafale de quatre sentences arbitrales qui ont été récemment rendues.

Arbitre déjà nommé[1]
Dans le secteur de l’éducation, il existe un greffe des tribunaux d’arbitrage. Le problème en cause dans cette affaire découlait du fait que deux arbitres différents avaient été nommés pour entendre les huit mêmes griefs.

Cette double nomination serait vraisemblablement la conséquence de la remise au rôle de ces griefs, à la suite de la déclaration de non-disponibilité du représentant syndical. En effet, il n’y a eu ni récusation, ni motif de remplacement pour l’arbitre qui avait été nommé en premier lieu, soit Me Robert Choquette.

D’entrée de jeu, l’arbitre Jean-Pierre Villaggi a déclaré sa compétence pour se pencher sur la question de savoir s’il pouvait se saisir de ce litige[2]. Du même souffle, il a reconnu la liberté des parties de se donner les règles qui leur conviennent pour procéder à la nomination d’un arbitre de griefs[3].

Au paragraphe 15 de cette sentence arbitrale, se trouve rapporté l’extrait suivant d’un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec en 1998 et qui a fait autorité en matière de nomination des arbitres de griefs :

« Les parties patronale et syndicale sont libres de fixer ou non une procédure d'arbitrage. Elles sont libres aussi de choisir préalablement les arbitres qui entendront leurs griefs. Lorsqu'elles le font, elles fixent, pour une durée prédéterminée, leurs droits et obligations quant à la procédure d'arbitrage et le choix des arbitres. À moins d'une cause de récusation, les parties sont tenues de suivre la procédure telle que négociée.

En l'espèce, la Ville n'a pas prévu la perte de confiance potentielle envers les arbitres dont l'identité a été négociée dans la convention comme l'avait fait l'employeur dans l'affaire Bourret [Bourret c. Alphonse Lafleur Ltée, C.A. Québec, no 7693, 11 septembre 1968] en prévoyant une clause de sortie. À moins de la preuve d'une cause de récusation, l'intimée est donc liée par ses engagements avec l'appelant.

La liste des arbitres est le fruit de négociations entre les parties comme le sont les salaires, les horaires, l'ancienneté, etc. La convention collective forme un tout où chaque élément fait l'objet de compromis. Lorsque les parties signent une convention collective, elles matérialisent le fruit de ces compromis, tous interreliés. De plus, lorsque les parties imposent une durée à la convention, elles s'attendent, toutes deux, à ce que ce qui avait été négocié soit appliqué dans son intégralité pour toute la durée de la convention.

En l'espèce, la convention prévoit expressément les arbitres qui entendront les griefs. L'intimée peut-elle se dédire de la convention qu'elle a signée sans l'accord du syndicat? Je ne le crois pas. Elle est obligée de la suivre bien qu'elle soit difficile à appliquer [Association des Pompiers de Montréal c. Imbeau, (1985) C.A. 311, 312-313]. »

Me Villaggi a conclu que sa nomination comme arbitre était illégale, en ce qu’il n’avait pas été valablement saisi des griefs, notamment non conformément à l’article 9-2.09 de la convention collective alors en cause.

Journée pédagogique et élection provinciale[4]
La deuxième sentence arbitrale concerne, elle aussi, le secteur de l’éducation. Cette fois-ci, elle met en cause une commission scolaire qui avait décidé de modifier une journée pédagogique en une journée d’enseignement, en raison de la tenue d’une élection provinciale. En l’occurrence, il s’agissait de la journée du 9 mars 2009.

Pour décider du droit de cette commission scolaire d’ainsi modifier le calendrier scolaire 2008-2009, Me Jean-Guy Roy a examiné de nombreuses dispositions statutaires et conventionnelles : la Loi sur l’instruction publique[5], le Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire[6], la Convention collective des enseignants 2005-2010, l’Entente locale 1998-2000, la Loi électorale[7] et enfin le nouveau Code civil du Québec[8].

Cette sentence arbitrale illustre fort bien la nouvelle compétence élargie des arbitres de griefs qui, désormais, doivent interpréter et appliquer les lois et les règlements en plus de la convention collective, et ce, « dans la mesure où il est nécessaire de le faire pour décider d’un grief »[9].

Après avoir analysé ces dispositions, de même qu’après s’être référé à la récente doctrine sur la notion de « force majeure », l’arbitre Roy a décidé « qu’une élection provinciale ne rencontre cependant pas le caractère d’imprévisibilité que doit revêtir un cas de force majeure »[10].

Il a donc accueilli ce grief du 19 décembre 2008 et a ordonné à la Commission scolaire de maintenir la journée du 9 mars 2009 comme journée pédagogique, comme il était déjà prévu au calendrier scolaire 2008-2009.

Échange des caisses de bière promotionnelles[11]
C’est l’arbitre André Sylvestre qui a accueilli le grief que les Teamsters ont déposé pour un représentant aux ventes qui avait été congédié pour avoir utilisé une promotion de bière à son profit personnel. Le plaignant avait déjà avoué avoir donné des caisses de bière à des clients, en échange de nourriture et de cadeaux.

D’une part, l’arbitre Sylvestre a jugé que la plainte du client qui était à l’origine de cette mesure disciplinaire n’était pas fondée en raison de l’animosité de ce client envers le plaignant.

D’autre part, il a tenu compte des seuls quinze mois d’ancienneté du plaignant qui, à son avis, avait encore besoin de formation relativement à la politique de promotion des produits Molson.

Faute pour l’employeur d’avoir pu faire la preuve des faits reprochés, Me André Sylvestre a donc ordonné la réintégration de ce représentant aux ventes.

Lettres de l’assureur en matière d’invalidité[12]
L’arbitre Claude Fabien a considéré que les lettres qu’un assureur avait envoyées afin de déclarer la plaignante apte au travail ne pouvaient servir de preuve à l’employeur. Selon lui, cet assureur est un tiers dans la relation d’emploi existant entre la Ville de Montréal et la plaignante, membre des cols bleus.

L’employeur avait congédié la plaignante du fait qu’elle avait été absente pendant plus de cinq mois, et ce, sans donner signe de vie, sans fournir de certificat médical et sans même répondre aux convocations.

Après avoir évalué l’ensemble des circonstances dans cette affaire, Me Fabien a rejeté le grief et maintenu le congédiement, jugeant « inexplicable » le comportement de la plaignante. Auparavant, mentionnons qu’il avait estimé que les « tentatives de la Ville pour amener la plaignante à reprendre le travail furent suffisantes »[13], nommément le fait d’avoir signifié par huissier les lettres en question.

Diane Sabourin, CRIA, avocate et arbitre de griefs[14]

Source : VigieRT, numéro 39, juin 2009.


1 Syndicat des professionnelles et professionnels Laval Rive-Nord, c. Commission scolaire de la Seigneurie des Mille-Îles, Azimut (SOQUIJ) #AZ-50550209, arbitre Jean-Pierre Villaggi, 18 février 2009 (12 pages).
2 Ibid., note 1, au paragraphe 14.
3 Ibid., note 1, cette fois-ci au paragraphe 16.
4 Syndicat de l’enseignement des Deux rives c. Commission scolaire des navigateurs, publié dans Azimut (SOQUIJ) #AZ-50550197 et résumé à Droit du Travail Express (SOQUIJ) DTE 2009T-357, arbitre Jean-Guy Roy, 27 février 2009 (16 pages).
5 1977, L.R.Q., c. I-13.3.
6 1977, L.R.Q., c. I-13.3, r.8.
7 1977, L.R.Q., c. E-3.3.
8 1991, L.Q., c. 64.
9 Article 100.12a) du Code du travail du Québec.
10 Ibid., note 4, au paragraphe 29.
11 Teamsters Québec, local 1999 (grief de Jean Claude Payette) c. Molson Canada 2005, publié dans Azimut (SOQUIJ) #AZ-50546719 et résumé à Droit du Travail Express (SOQUIJ) DTE 2009T-338, arbitre André Sylvestre, 4 mars 2009 (48 pages).
12 Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (grief de Marie Dieudonné Dorélas), c. Ville de Montréal, Azimut (SOQUIJ) #AZ-50546706, arbitre Claude Fabien, 27 janvier 2009 (12 pages).
13 Ibid., note 12, au paragraphe 90.
14 Me Diane Sabourin, CRIA, est arbitre de griefs depuis 1984 et aussi formatrice. Au fil de ses vingt-cinq années de pratique, elle a donné plusieurs conférences, cours et séminaires, sur des sujets en droit du travail. Depuis l’an 2000, elle enseigne l’arbitrage comme chargée de cours dans le cadre du Programme de maîtrise « Prévention et règlement de différends » de l’Université de Sherbrooke (campus Longueuil).
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