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La Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (ci-après LNT) prévoit depuis 2002 que les employeurs ne peuvent imposer une formation à leurs employés contre leur gré et leur en faire subir les coûts 

« 85.2. Un employeur est tenu de rembourser au salarié les frais raisonnables encourus lorsque, sur demande de l'employeur, le salarié doit effectuer un déplacement ou suivre une formation. »

(nos soulignés)

Le Code canadien du travail ne comporte pas de disposition similaire à l’article 85.2 et, dans plusieurs cas, les tribunaux ont avalisé des ententes de remboursement de frais de formation de pilote, par exemple, à l’encontre d’employés ayant reçu une telle formation chez un employeur pour ensuite quitter abruptement l’emploi et profiter de la formation acquise chez un autre employeur[1].

Dans toutes ces affaires, les employeurs ont réclamé avec succès le remboursement des frais de formation engagés auprès de leurs employés.

L’investissement dans la formation et dans une main-d’œuvre plus compétente n’est donc pas freiné dans les entreprises couvertes par le Code canadien du travail au même titre que les entreprises dont les relations de travail et d’emploi sont de juridiction provinciale.

Pour les entreprises de juridiction provinciale, la jurisprudence semblait avoir tout de même trouvé l’équilibre entre d’une part, la protection de l’investissement des employeurs qui offrent une formation à leurs employés et d’autre part, la protection des employés se voyant imposés celle-ci alors qu’ils ne tirent pas d’enrichissement personnel de la formation plutôt limitée aux besoins de l’entreprise.

Ainsi en 2005, dans Centre du camion Mabo inc. c. Guay (AZ-50309249), l’employeur offrait une formation à ses mécaniciens pour augmenter leurs compétences. L’employé qui acceptait de suivre la formation s’engageait à rembourser les frais de formation s’il ne demeurait pas à l’emploi suffisamment longtemps pour amortir l’investissement de l’employeur. Selon le juge, l’article 85.2 ne s’appliquait pas, car la formation n’était pas « demandée ou exigée par l’employeur ». Le juge conclut donc :

« [17] La jurisprudence nous enseigne que des ententes signées par des employés en faveur de leur employeur, et prévoyant que l’employé devait rembourser à son employeur, en tout ou en partie, les coûts de formation, ont été considérées valides par nos tribunaux.

[18] Étant en présence de deux ententes contractuelles qui ne conviennent pas à l’article 85.2 en ce que les formations offertes n’étaient pas exigées par l’employeur, et que les ententes furent signées sans contrainte, le Tribunal fera droit à la réclamation du Centre du camion Mabo inc. »

(nos soulignés)

Dans une autre affaire[2] impliquant le même employeur et des faits semblables, le juge est également d’avis que l’article 85.2 n’est pas applicable et ajoute :

« [24] D’ailleurs, le défendeur a bénéficié de cette formation et il a expliqué à l’audience que ce cours lui aidait (sic) presque à chaque jour dans son nouveau travail de mécanicien au Centre du camion d’Amos. Il aurait peut-être dû négocier, avec son nouvel employeur, que ce dernier supporte les coûts de la formation spécialisée qu’il s’était engagé à rembourser à son employeur précédent. »

(nos soulignés)

En 2008, dans Services d’inspection BG inc. c. Duclos, 2008 QCCQ 11665, le juge constate au contraire que le salarié n’est pas intéressé par la formation proposée, mais signe une entente de « guerre lasse » à la suite de « pressions indues » de son employeur. De plus, rien dans la preuve n’indique que cette formation constituait un actif personnel pour le salarié. Le tribunal conclut donc « dans les circonstances présentes » que l’entente de remboursement de frais de formation contrevient à l’article 85.2 LNT.

En 2010, dans 9184-0611 Québec inc. (École de conduite Baie-Comeau) c. Laprise, 2011 QCCQ 8184, le juge cite les affaires Services d’inspection BG et Mabo, supra, mais conclut que l’article 85.2 n’est pas applicable parce que l’entente de formation et sa réalisation a eu lieu avant que le défendeur à qui était réclamé le remboursement soit un salarié. Toutefois, la réclamation de l’employeur en remboursement des frais de formation est rejetée pour d’autres motifs.

Dans le Syndicat des employés du transport public du Québec Métropolitain et Réseau de transport de la Capitale[3], l’employeur exigeait de son côté avant d’engager des chauffeurs que ceux-ci complètent à leurs frais une formation obligatoire au coût de 3 000 $. Par voie de grief, le syndicat réclama que les chauffeurs soient rémunérés pour leur période de formation et allégua que l’employeur violait indirectement l’article 85.2 LNT. L’employeur était d’avis que cet article ne s‘applique pas, car les étudiants n’étaient pas encore ses employés avant de remplir certaines conditions, dont la réussite de la formation. L’arbitre conclut effectivement que les candidats n’étaient pas des salariés et rejette les griefs réclamant un salaire et le remboursement des frais de formation.

On peut donc à ce moment faire trois constats pour les employeurs de juridiction provinciale. Premièrement, les employeurs ayant la capacité d’exiger de leurs futurs employés qu’ils acquièrent une certaine formation avant l’embauche n’ont rien à craindre de l’article 85.2 LNT. Deuxièmement, les employeurs qui usent de leur droit de gérance pour imposer une formation à des employés réticents qui n’en tirent aucun bénéfice contreviennent à l’article 85.2. Les employés sont donc protégés lorsqu’ils sont forcés de suivre une formation dans un tel contexte.

Finalement, les employeurs qui offrent une formation à leurs employés qui l’acceptent sans pression indue et qui en tirent un enrichissement personnel peuvent investir en collaboration avec leurs employés dans une entente de partage de risques.

Un jugement récent de la Cour du Québec[4] vient de refermer vivement cette mince ouverture, du moins pour les candidats à l’embauche intéressés par un programme de formation. Dans cette affaire, l’employeur est une entreprise d’entretien et de vente de véhicules lourds d’une marque bien connue. Les moteurs de cette marque sont utilisés dans plusieurs véhicules lourds et camions d’autres entreprises en concurrence avec l’employeur. L’employeur, faisant face à un déficit de main-d’œuvre qualifiée, a mis en place depuis plusieurs années une école de formation sur ses produits. Cette formation est très prisée sur le marché, et les techniciens formés par l’employeur ont une grande valeur.

Le processus de formation de l’employeur prévoit :

  1. plusieurs rencontres de pré-sélection de candidats libres et intéressés par une telle formation plusieurs mois avant leur embauche à titre « d’apprentis »;
  2. lors de ces rencontres, les candidats doivent prendre connaissance et sont informés d’une entente de remboursement qu’ils sont libres de refuser, laquelle stipule qu’il y aura un partage des frais de formation s’ils quittent l’emploi avant une certaine période d’amortissement;
  3. pendant plus de trois mois après le début de l’entente de formation d’une durée de 24 mois qui coïncide avec le début du contrat d’emploi d’apprenti, le candidat devenu employé, peut se libérer de l’entente de remboursement sans frais si, par exemple, il n’aime pas le programme ou les conditions de travail;
  4. à l’expiration de cette dernière période de 24 mois, le remboursement des frais de formation en cas de départ par l’employé avant le début de la période d’amortissement ne représente qu’une fraction (environ 30 %) des coûts réels de l’employeur qui sont régressifs pendant les 24 mois suivants.

Dans cette affaire, le candidat accepta librement l’entente après y avoir mûrement réfléchi et quitta de lui-même son emploi de mécanicien chez un concessionnaire de camions lourds pour accepter la proposition de l’employeur. Rien ne lui fut imposé, bien au contraire.

À la fin de sa formation de 24 mois et juste un mois après le début de sa période d’amortissement, il quitte abruptement l’emploi de son propre chef et refuse de rembourser ses frais de formation malgré l’entente intervenue. Le comité paritaire et demandeur réclame alors pour lui du salaire sur lequel l’employeur allègue compensation pour les frais de formation. Le comité plaide que l’entente est contraire à l’ordre public et plus particulièrement, à la disposition identique à l’article 85.2 LNT contenue au décret applicable.

Commentant la jurisprudence de l’employeur[5], le juge écrit :

« [71] À notre avis, ce qu’il faut retenir de cette jurisprudence, c’est qu’il peut exister, en dehors du cadre du contrat d’emploi, des opportunités pour un employé de suivre une formation proposée par l’employeur. Pourvu que cette formation ne soit pas obligatoire, les parties sont libres de convenir des modalités du partage des coûts de cette formation, sans enfreindre la LNT. »

(nos soulignés)

Or, il est évident que si la formation a lieu en dehors du cadre de l’emploi, elle ne peut être « obligatoire », c’est-à-dire imposée par un employeur à un salarié.

Le juge réfère ensuite à la situation où la formation a lieu pendant l’emploi et écrit :

« [72] Voici la connotation “obligatoire“ qui est donnée à l’expression composée des phrases “sur demande de l’employeur“ et “doit suivre une formation“.

[73] Inhérent à cette jurisprudence est la notion que, pour des formations non obligatoires et qui constituent un actif pour l’employé, il n’est pas contraire à l’ordre public de prévoir une contribution financière de ce dernier. »

Il ajoute ensuite une troisième catégorie référant, semble-t-il, à la situation où l’employeur exige de l’employé qu’il détienne une formation avant de l’embaucher :

« [74] Il en est de même pour la formation obligatoire imposée comme condition préalable à l’embauche. »

(nos soulignés)

Sur la question en litige, il écrit :

« [77] Le problème dans le présent cas se pose d’une autre façon puisqu’il est question de formation qui aura lieu pendant la période de l’emploi, mais dont les modalités ont été convenues avant dans le contrat d’embauche.

[78] Loin d’être des formations accessoires au contrat de travail, ce sont des cours et des travaux pratiques de formation constituant l’objet même de ce contrat.

[79] La question se pose ainsi : était-il l’intention du législateur dans la LNT de viser, par l’expression maintenant consacrée “frais raisonnables encourus lorsque sur demande de l’employeur le salarié doit effectuer une formation“ les frais de formations (sic) qui sont obligatoires dans le sens d’être l’objet même du contrat, obligatoires par le consentement mutuel des parties lors de sa conclusion? »

(nos soulignés)

Distinguant alors les jugements antérieurs de ses pairs qui avaient établi que l’article 85.2 n’était pas applicable si la formation à un employé était offerte, sans pression indue et était enrichissante personnellement pour l’employé, le juge rend à toutes fins pratiques illégales toutes les ententes librement consenties de formation en emploi qui prévoient un partage de risques entre un employeur et un candidat à l’embauche :

« [81] Ce que le législateur voulait prohiber c’est le principe qu’un employé volontairement, ou contre son gré, paie les frais, en tout et en partie, d’une formation qui, ayant lieu dans le cadre de sa relation avec l’employeur régie par le contrat d’emploi, n’est pas facultative.

[82] Si les tribunaux en décidaient autrement, ils ouvriraient les portes à la possibilité pour les employeurs de faire échec à l’article 85.2, et son équivalent dans les décrets, en incluant dans chaque contrat d’emploi une acceptation préalable par l’employé qu’il est tenu, à certaines conditions, aux frais de formation prévus contractuellement.

[83] Les employeurs pourraient ainsi se soustraire à l’ordre public en matière de formation obligatoire en rendant, dans tous les cas, cette formation consensuelle.

[84] Les employés seraient tenus, afin d’être embauchés, de consentir d’avance à la non-application de l’article 85.2, ce que l’ordre public ne leur permet pas de faire, une fois le contrat d’emploi en vigueur.

[85] De l’avis du Tribunal, les seuls cas de non-application de l’article 85.2, jusqu’alors reconnus par la jurisprudence, sont le cas de la formation véritablement non obligatoire et le cas de la formation entrepris par un candidat pour se doter des qualifications préalables à une embauche.

[86] Il y a des raisons sociales qui justifient ces deux cas de non-application. La première se justifie par le bénéfice qui peut découler d’ententes convenables concernant des objets qui sont en dehors du contrat d’emploi, d’intérêt mutuel pour les salariés et les employeurs.

[87] Le deuxième reconnaît qu’il ne faudrait pas imposer aux employeurs l’obligation de former tous les employés qu’ils voudraient engager et de leur permettre d’exclure à l’embauche ceux qui n’ont pas des qualifications préalables. »

(nos soulignés)

Selon le raisonnement du juge, le législateur a prohibé qu’un employé « volontairement » ou « contre son gré » paie les frais d’une formation qui « n’est pas facultative ». En d’autres mots, même si l‘employeur (ou le candidat) accepte volontairement une proposition, celle-ci n’est pas « facultative » du fait que c’est finalement ce que l’employeur lui offre!

De plus, il ne s’agissait pas en l’espèce d’un chèque en blanc signé par un candidat se voyant imposer plus tard des obligations[6] de formation dont le contenu exact n’avait pas été convenu au départ.

L’équilibre établi par les jugements précédents qui distinguent entre une formation véritablement imposée d’une part et une formation acceptée par l’employé semblent remis en question.

Il y a lieu de se questionner si un employé déjà en poste est plus libre d’accepter une formation proposée par son employeur (qui décide par ailleurs de ses conditions de travail, ses augmentations et ses promotions) qu’un candidat qui n’a aucun lien avec l’employeur, déjà un autre emploi qu’il peut conserver et qui connaît très bien la nature de son engagement?

Les employeurs seront probablement réticents à proposer à des candidats à l’embauche et même à leurs employés[7] une quelconque formation s’il y a un risque que celle-ci soit perçue comme « imposée » et s’ils sont par conséquent seuls à assumer les coûts sans une certaine assurance d’un rendement de leur investissement. Ce jugement écarte le libre arbitre des candidats qui peuvent en toute connaissance de cause trouver tout à fait avantageux d’obtenir une formation de grande valeur assortie, au surplus et en prime d’un emploi! En quoi sont-ils moins capables de s’obliger eux-mêmes en acceptant une proposition qui ne leur est et ne peut même pas leur être imposée par un employeur?

Les formations exigées de manière préalable à toute offre d’emploi risquent de devenir la norme. Les candidats devront assumer seuls les coûts et les risques sans, en plus, bénéficier d’un quelconque salaire pendant leur formation comme dans l’affaire Réseau de transport de la Capitale, supra.

La question se pose donc sur l’avantage conféré aux employeurs ou aux employés par cette nouvelle tendance.

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Source : VigieRT, avril 2012.


1 Air Creebec inc. c. Brodeur, AZ-50234450; Soucy Rivalair c. Mathieu Ouellet (C.Q.) Drummondville, #405-32-004069-039, 25 novembre 2004, juge Yvon Roberge; Skyservice Aviation inc. c. Cason, AZ-50471839; Prud’homme c. Viau, 2008 QCCQ 3667; Investissements Nolinor inc. c. Baud, 2011 QCCQ 1195; 2553-4330 Québec inc. c. Vallée-Pouliot, 2008 QCCQ 12658; Pascan Aviation inc. c. Di Marzio, AZ-50529368; Exact Air inc. c. Therrien, 2010 QCCQ 6644.
2 Centre du camion Mabo inc. c. Chevalier, 2006 QCCQ 16212
3 2008 CanLII 41579 (QC SAT)
4 Comité paritaire de l’industrie des services automobiles de la région de Montréal c. Hewitt Équipement Ltée, (C.Q.) Montréal, #500-22-175258-108, 2 mars 2012, juge David L. Cameron.
5 Voir par. 68 et 69 où le juge erronément indique qu’il s’agit des arguments du Comité paritaire.
6 Jean c. Omegachem inc., (C.A.), AZ-50828197
7 En effet, qu’arrivera-t-il si le salarié témoigne qu’il se sentait « obligé » de suivre une formation pour obtenir une promotion ou une augmentation de salaire ou parce qu’il était le seul parmi ses collègues à ne pas suivre de formation?
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