L’actualité des derniers mois a soulevé des débats d’importance au Québec en ce qui concerne la langue de travail. Qu’il soit question de cadres supérieurs d’institutions publiques, d’entraîneurs d’équipes sportives ou de salariés de tout niveau hiérarchique, il est important de s’en remettre au cadre législatif applicable au Québec avant de déterminer les exigences linguistiques en entreprise. Le présent article se veut un rappel des différentes notions applicables ainsi qu’un survol de quelques décisions rendues par nos tribunaux en la matière en 2011.
La Charte des droits et libertés de la personne
La première loi d’importance traitant de questions linguistiques au Québec est la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après la « Charte »). Élevée au rang quasi constitutionnel, cette Loi a donc primauté sur la Charte de la langue française que nous aborderons plus loin. La Charte protège ainsi, à son article 10, tout individu contre la discrimination fondée sur la langue. La question linguistique trouvant une importance particulièrement au moment de la création du lien d’emploi, le législateur a articulé une protection particulière en matière d’embauche et de mouvement de personnel :« 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.[2] »
Évidemment, un employeur peut exiger certaines aptitudes linguistiques des candidats et mesurer celles-ci avant de confirmer leur embauche. Ainsi, l’employeur sélectionnera le candidat répondant le plus étroitement aux exigences de l’emploi. Ces exigences doivent cependant être justifiées, eu égard aux caractéristiques du poste à pourvoir. Le législateur a formulé ainsi cette exigence :
« 20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire.[3] »
L’employeur doit donc s’assurer que les exigences linguistiques sont vraiment requises par l’emploi, d’où l’importance de bien évaluer le poste en question, mais surtout le degré de compétence linguistique qu’il requiert. Un bon conseiller en la matière pourra être garant du succès d’un tel exercice.
Dans une décision[4] rendue récemment par un tribunal d’arbitrage, un syndicat contestait l’exigence de bilinguisme lié à un poste d’avocat affiché par l’employeur, un Centre jeunesse. Ce grief était déposé à la suite du rejet de la candidature d’une salariée unilingue francophone. Le syndicat soulevait notamment que cette exigence constituait une discrimination fondée sur la langue interdite par la Charte. Selon l’employeur, il s’agissait d’une exigence raisonnablement justifiée puisqu’une partie de la clientèle était anglophone. Au surplus, ces clients avaient, en application de la Loi, le droit d’être servis dans leur langue par un avocat du Centre jeunesse.
Le tribunal, concluant qu’il y avait prima facie discrimination au sens de la Charte, a procédé à l’analyse de l’exigence professionnelle justifiée au sens de l’article 20. Ainsi, pour que cette « défense » d’exigence professionnelle justifiée soit admise, l’employeur doit démontrer que :
- Il a adopté l’exigence linguistique dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail;
- Il a adopté l’exigence linguistique en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
- L’exigence linguistique est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.
Le tribunal, après avoir analysé le portrait de la clientèle desservie par le Centre jeunesse, a convenu que l’exigence linguistique satisfait les deux premiers critères. Pour le troisième critère, afin de déterminer si l’exigence linguistique est raisonnablement nécessaire, le tribunal a évalué s’il y a possibilité d’accommoder la candidate unilingue. Or, il a été démontré par l’employeur que le recours à la traduction où à la présence d’un interprète constituerait des accommodements représentant une contrainte excessive. L’exigence formulée par l’employeur n’était donc pas, dans les circonstances, contraire à la Charte.
La Charte de la langue française
La deuxième loi d’importance au Québec à ce sujet, bien qu’elle soit la plus souvent mise de l’avant, est la Charte de la langue française[5], aussi connue sous le nom de Loi 101. Cette Loi, en plus de faire du français la langue officielle au Québec, comporte certaines exigences pour les employeurs en matière linguistique.
La principale exigence formulée à la Charte de la langue française, et celle qui fait le plus souvent l’objet de litiges, se trouve au premier paragraphe de l’article 46 :
« 46. Il est interdit à un employeur d'exiger pour l'accès à un emploi ou à un poste la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d'une langue autre que la langue officielle, à moins que l'accomplissement de la tâche ne nécessite une telle connaissance.[6] »
Un employeur peut donc exiger la connaissance d’une langue autre que le français, mais en application de cette Loi, uniquement si l’accomplissement de la tâche requiert que le candidat maîtrise cette autre langue. Le fardeau d’en faire la démonstration incombe, en de telles circonstances, à l’employeur. Ainsi, pour que celui-ci se décharge de son fardeau de la preuve, il devra démontrer :
« 1 - que la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de la langue anglaise est nécessaire pour l’accomplissement de la tâche de machiniste convoitée par le plaignant;
2 - qu’il ne peut exister d’autres moyens raisonnables permettant de satisfaire aux objectifs poursuivis par la Charte que celui d’exiger du candidat à un emploi ou à un poste une connaissance ou un niveau de connaissance spécifique de la langue anglaise, dans le cas où il est établi de façon prépondérante que la connaissance de la langue anglaise s’avère nécessaire pour l’accomplissement de la tâche de machiniste.[7] »
Cet exercice ressemble à celui effectué en application de la Charte. Les tribunaux ont cependant déterminé qu’en application du critère de nécessité, l’employeur devait aller plus loin que la démonstration de la simple utilisation d’une autre langue dans le poste à pourvoir. Il faudra ainsi que l’exigence linguistique soit étroitement liée à l’exercice des fonctions en question. De plus, l’analyse de cette nécessité ne se fera pas uniquement en fonction du ratio d’utilisation de cette autre langue que le français, mais de la possibilité ou non d’accomplir efficacement les tâches liées à l’emploi. À ce sujet, un arbitre s’est exprimé ainsi :
« Lorsqu'un tribunal d'arbitrage doit déterminer si l'usage d'une langue, autre que la langue officielle, est nécessaire pour l'accomplissement de la tâche et que la preuve démontre que ce n'est que pour une partie de l'ensemble de la tâche, que la connaissance d'une autre langue est nécessaire, la tache d'un tribunal d'arbitrage n'est pas de quantifier la proportion du temps où une autre langue est utilisée par rapport à l'utilisation de la langue officielle, mais plutôt, est de déterminer si, pour l'accomplissement de la tâche, nécessairement dans son ensemble, l'usage de cette autre langue, même limité dans le temps et les occasions, est nécessaire pour justement accomplir, de façon efficace et normale, les tâches dévolues à cette fonction.[8] »
Notons qu’en cas de recours intenté en application de la Charte de la langue française, et par lequel le salarié réclame des dommages associés à une perte de salaire, l’employeur pourra faire la démonstration que l’employé en question n’aurait, autrement que pour la question linguistique, pas obtenu l’emploi[9]. D’autres sommes pourront cependant être réclamées par le salarié en cas de violation alléguée de la Charte de la langue française, tels des dommages moraux ou punitifs.
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Source : VigieRT, janvier 2012.
1 | Charte des droits et libertés de la personne, LRQ, c C-12. |
2 | Id., art. 16. |
3 | Id., art.20. |
4 | Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1459 et Centre jeunesse de l’Abitibi-Témiscamingue, SOQUIJ AZ-50806345, 17 novembre 2011 (T.A.). |
5 | Charte de la langue française, LRQ, c C-11. |
6 | Id., art. 46. |
7 | Richard c. Centre hospitalier de l’Hôpital St-Mary, 2005 QCCRT 0012. |
8 | Syndicat des employés de l'Université de Montréal, section locale 1244 (S.C.F.P.) et Université de Montréal, D.T.E. 89T-278 (T.A.). |
9 | À titre d’illustration : Pouliot et Quality Inn & Suites Lévis, D.T.E. 2011T-352 (C.R.T.) |