Vous lisez : ÉTUDE DE CAS – La discrimination en emploi

Avant de présenter des exemples de situations présentées devant les tribunaux, voici quelques articles de loi qui spécifient et permettent de comprendre la responsabilité des employeurs et de leurs représentants dans la mise en œuvre des dispositions législatives en matière de discrimination.

D’abord, la Charte des droits et libertés de la personne accorde une protection à tous les employés du Québec qui travaillent pour une entreprise de juridiction provinciale.

« 10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

« Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

« 16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

« 17. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'admission, la jouissance d'avantages, la suspension ou l'expulsion d'une personne d'une association d'employeurs ou de salariés ou de tout ordre professionnel ou association de personnes exerçant une même occupation.

18. Un bureau de placement ne peut exercer de discrimination dans la réception, la classification ou le traitement d'une demande d'emploi ou dans un acte visant à soumettre une demande à un employeur éventuel.

« 18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d'emploi ou lors d'une entrevue relative à un emploi, requérir d'une personne des renseignements sur les motifs visés dans l'article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l'application de l'article 20 ou à l'application d'un programme d'accès à l'égalité existant au moment de la demande.

« 18.2. Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.

« 19. Tout employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement ou un salaire égal aux membres de son personnel qui accomplissent un travail équivalent au même endroit.

« Il n'y a pas de discrimination si une différence de traitement ou de salaire est fondée sur l'expérience, l'ancienneté, la durée du service, l'évaluation au mérite, la quantité de production ou le temps supplémentaire, si ces critères sont communs à tous les membres du personnel.

« Les ajustements salariaux ainsi qu'un programme d'équité salariale sont, eu égard à la discrimination fondée sur le sexe, réputés non discriminatoires, s'ils sont établis conformément à la Loi sur l'équité salariale (chapitre E-12.001).

« 20. Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d'un groupe ethnique est réputée non discriminatoire. »

Embauche
Comme on peut le constater à la lecture de ces articles, la discrimination est prohibée dès l’étape de l’entrevue d’embauche. Voici quelques cas…

La Cour d’appel a précisé la preuve à faire dans Syndicat des infirmières du Nord-Est québécois (F.I.I.Q.) c. Sylvestre, SOQUIJ AZ-50173334. Afin d'établir s'il y a eu discrimination en vertu de l'article 10 de la Charte québécoise, le syndicat devait établir 1) qu'il existe une distinction, une exclusion ou une préférence; 2) que celle-ci est fondée sur l'un des motifs énumérés au premier alinéa de l'article 10 de la Charte; et 3) que la distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la décision de l'employeur d'écarter la plaignante du processus de sélection – en raison de la dépression dont elle souffrait et en se fondant sur sa propre appréciation de son état de santé – reposait sur des stéréotypes et des préjugés et qu’elle portait atteinte à la dignité humaine.

D’autre part, le refus d'Urgences-santé d'embaucher un technicien ambulancier – qui souffrait de dégénérescence discale – a par ailleurs été déclaré fondé. Le tribunal a considéré qu’en raison des caractéristiques de ce poste, particulièrement sur l'île de Montréal, l'employeur pouvait exiger une norme d'embauche visant un niveau de sécurité accru, supérieur à celui de la sécurité raisonnable. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Corporation d'Urgences-santé, SOQUIJ AZ-50530421

Avantages sociaux
Une autre situation visée par l’article 10 de la Charte est à signaler. Il s’agit d’une convention collective qui accordait aux pères adoptifs des avantages sociaux supérieurs à ceux des pères biologiques en matière de congé parental : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de transport de Montréal, SOQUIJ AZ-50525408.

Le tribunal des droits de la personne a conclu qu’en négociant une telle clause, l’employeur et le syndicat ont compromis le droit de deux salariés d'être traités en pleine égalité. La requête pour permission d’appel a toutefois été accordée et la Cour a suggéré que la question soulevée par le syndicat soit soumise à la Cour d'appel de la façon suivante : 1) Est-il exact que la logique de la protection de l'intérêt collectif ne permet désormais plus au syndicat de justifier, sur le plan de sa responsabilité civile, la discrimination exercée à l'égard d'une partie de ses membres par les gains obtenus pour l'ensemble des salariés? 2) Si tel est le cas, compte tenu de la dynamique propre aux négociations, cela n'équivaut-il pas à imposer au syndicat une obligation de résultat en ce qui a trait à l'absence de toute disposition discriminatoire dans la convention collective? 3) À la lumière des réponses apportées à ces deux questions, la responsabilité du syndicat est-elle ici engagée à l'égard des dommages moraux à verser aux plaignants?
Syndicat du transport de Montréal — CSN c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, SOQUIJ AZ-50533390

Conditions de travail
La Loi sur les normes du travail prévoit aussi certaines interdictions :

« 87.1. Une convention ou un décret ne peuvent avoir pour effet d'accorder à un salarié visé par une norme du travail, uniquement en fonction de sa date d'embauche et au regard d'une matière sur laquelle porte cette norme prévue aux sections I à V.1, VI et VII du présent chapitre, une condition de travail moins avantageuse que celle accordée à d'autres salariés qui effectuent les mêmes tâches dans le même établissement.

« 87.2. Une condition de travail fondée sur l'ancienneté ou la durée du service n'est pas dérogatoire à l'article 87.1. »

Dans la cause Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Laval (Ville de) (Service de sécurité d'incendies), SOQUIJ AZ-50543353, la Ville de Laval et son syndicat des pompiers ont été condamnés solidairement à indemniser 38 jeunes pompiers des pertes salariales découlant d'une clause de disparité de traitement qu'ils ont négociée dans leur convention collective. Selon le Tribunal des droits de la personne, la protection contre la discrimination en matière d'emploi, et plus particulièrement en ce qui a trait à l'égalité salariale énoncée aux articles 16 et 19 de la Charte, s'inscrit dans un contexte international d'affirmation, de promotion et de protection des droits et libertés de la personne. Une requête pour permission d’en appeler de cette décision a été accueillie.

Il a par ailleurs été décidé que la Loi sur le tabac entraînait une discrimination fondée sur le handicap, soit la dépendance à la nicotine, au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. Selon l’arbitre Jean-Pierre Lussier, l'application du test établi par la Cour suprême dans la cause Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (C.S. Can., 1999-09-09), SOQUIJ AZ-50067256, J.E. 99-1807, D.T.E. 99T-868, [1999] 3 R.C.S. 3, permet cependant de conclure que la politique est valide : d'une part, son objectif est rationnellement lié à l'emploi; d'autre part, l'employeur croit sincèrement qu'elle est nécessaire afin d'atteindre cet objectif. Pratt & Whitney et TCA-Québec, section locale 510 (grief syndical), SOQUIJ AZ-50547551

Handicap, obligation d’accommodement et contrainte excessive
Une autre forme de discrimination en matière d’emploi est celle qui est fondée sur l’incapacité physique ou psychologique d’une personne à exécuter des tâches. L’employeur ne peut mettre fin à un contrat de travail en raison d’un handicap sans avoir tenté de remplir son obligation d’accommodement. Dans la cause Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systèmes de drainage Modernes inc., SOQUIJ AZ-50556082, l'employeur et son responsable des ressources humaines ont été solidairement condamnés à verser 13 000 $ à un opérateur de production congédié après deux jours de travail en raison d'une anomalie congénitale – une main sans doigts – alors que son rendement était satisfaisant et que rien n'indiquait qu'il ne pourrait effectuer le travail correctement et de façon sécuritaire. En ce qui a trait au degré de l'atteinte, la Commission fait état du jugement de la Cour suprême qui a précisé, dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud (C.S. Can., 1992-09-24), SOQUIJ AZ-92111101, J.E. 92-1483, D.T.E. 92T-1083, [1992] 2 R.C.S. 970, qu'il faut beaucoup plus qu'un inconvénient minime pour remplir le critère de la contrainte excessive.

Par ailleurs, dans la cause Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (SCFP) et Montréal (Ville de), (Michèle Roy), SOQUIJ AZ-50550227, l’arbitre a conclu que le retrait d'un bloc de 35 heures à une aide-bibliothécaire ayant des limitations fonctionnelles l'empêchant d'effectuer certaines tâches devait être assimilé à un congédiement. Selon lui, l'employeur n'a pas satisfait à son obligation d'accommodement, car il n'a pas entrepris une véritable démarche avec le syndicat et la plaignante. Il a plutôt réagi aux plaintes exprimées par les autres salariés. En conséquence, il conclut que l’employeur devra entreprendre une telle démarche dans les plus brefs délais.

Dans un autre cas, le grief contestant le refus de réintégrer une téléphoniste absente depuis plus de 36 mois, en raison d’un chondrosarcome à l'humérus, et sa cessation d’emploi a été accueilli. Estimant que certaines activités liées à ce travail étaient incompatibles avec ses limitations fonctionnelles, l'employeur a refusé de lui permettre de reprendre le travail, malgré l'avis médical selon lequel elle était apte moyennant certains aménagements de son poste. Selon l’arbitre, un employeur n'a pas l'obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail d'un salarié handicapé. Cependant, il doit aménager son poste de travail ou ses tâches afin de lui permettre d'effectuer sa prestation de travail. Ce n'est que si cet aménagement ou si les caractéristiques de la maladie sont tels qu'ils entravent de façon excessive le bon fonctionnement de l'entreprise ou encore si des mesures d'accommodement tentées par l'employeur n'ont pas rendu le salarié apte à fournir sa prestation de travail dans un avenir prévisible que l'on pourra considérer que l'employeur a rempli son obligation en raison de l'existence d'une contrainte excessive. Dans ce cas, l’arbitre a considéré que l'employeur avait évalué la situation de la plaignante en tenant pour acquis qu'elle était totalement incapable de se servir de son bras droit, alors que ses limitations fonctionnelles l'empêchaient uniquement d'effectuer du travail en haut des épaules. Aucun expert n'avait véritablement analysé les capacités de la plaignante à effectuer ses tâches ni les risques de rechute ou d'aggravation de sa condition. L'arbitre conclut que l’employeur aurait pu procéder à certains aménagements du poste afin de permettre à cette dernière d'exécuter ses tâches dans le respect de ses limitations fonctionnelles et qu’il n'avait pas été démontré que de tels aménagements lui auraient imposé une contrainte excessive. Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de santé Ste-Famille (CSN) et CSSS du Lac-Témiscamingue (Centre de santé Ste-Famille), (Céline Renault), SOQUIJ AZ-50548835.

Dans la cause Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'Hôpital général juif (CSN) et Hôpital général juif (L.A.) SOQUIJ AZ- 50558749, après avoir constaté qu’il ne pouvait conclure à une incapacité totale de retour au travail, l’arbitre a constaté que les limitations de la plaignante nécessitaient la création d'un poste sur mesure afin de lui permettre de retourner au travail, ce qui aurait imposé une contrainte excessive à l'employeur.

Moyen de défense fondé sur un handicap
La Cour supérieure a conclu qu’un arbitre de griefs n'avait pas commis d'erreur déterminante en concluant que l'employeur ne pouvait congédier la plaignante – une travailleuse sociale ayant falsifié des prescriptions médicales –, puisqu'il savait qu'elle était alors dépendante du Fiorinal, ce qui constituait un acte discriminatoire allant à l'encontre de la Charte des droits et libertés de la personne, SOQUIJ AZ-50547229 (confirme SOQUIJ AZ- 50513580). Dans cette affaire, l’arbitre avait modifié la mesure pour une suspension sans solde, compte tenu de l'existence d'un handicap, qui était connu de l'employeur, et de l’obligation d'accommodement qui lui incombait.

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Chacune des décisions mentionnées a une référence AZ (par exemple AZ-50233881).

Pour retrouver cette décision, il faut :

  • accéder à l’écran Choix de Banque;
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Monique Desrosiers, avocate, coordonnatrice, droit du travail et administratif, direction de l’information juridique, SOQUIJ

Source : VigieRT, numéro 41, octobre 2009.

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