Vous lisez : ÉTUDE DE CAS – L’agressivité au travail

L’agressivité est généralement considérée par les arbitres de griefs comme un manquement à l’obligation de civilité, mais il peut aussi s’agir d’une réaction au harcèlement psychologique. Les employeurs ont donc tout intérêt à s’assurer qu’un tel comportement est clairement proscrit dans son entreprise.

Un comportement agressif de la part d’un employé peut être volontaire ou involontaire. Dans les deux cas, l’employeur a l’obligation, d’une part, d’assurer un milieu de travail sécuritaire et exempt de harcèlement et, d’autre part, de respecter son obligation d’accommodement.  

Le texte qui suit donne un aperçu de la façon dont ce type de « manquement » de la part d’un employé a été traité par les arbitres de griefs au cours des dernières années ainsi que des principes qui s’en dégagent.

Obligation de civilité
Dans l’affaire Union des employées et employés de service, section locale 800 et Université McGill, SOQUIJ AZ-921420, l’arbitre, Me Marie-France Bich, a mentionné que le fait, pour un employé, de s’emporter à l'endroit d'un collègue en criant et en gesticulant, sans aucune menace, est une réaction inadmissible et intolérable au travail. Il s'agit d'un net manquement à l'obligation de civilité que doit respecter tout employé envers ses collègues et ses supérieurs. Elle a considéré qu’une suspension de trois jours était raisonnable dans les circonstances et que celle-ci devrait permettre au plaignant de comprendre la gravité de cette faute et avoir un effet suffisamment dissuasif.

Par ailleurs, dans l'évaluation d'une mesure disciplinaire imposée à la suite d'un manquement à l'obligation de civilité, le comportement du supérieur et ses habitudes malsaines de gestion constituent des facteurs atténuants : Mulco inc. et Syndicat des employés de Sico inc. (CSN), (Patrick Drouin), SOQUIJ AZ-50465266. Le plaignant, un mécanicien industriel, a été suspendu pour s'être présenté au bureau de son supérieur de manière cavalière afin de lui signifier avec colère sa réaction quant à la façon dont il avait été traité lors d'un bris d'équipement. À la suite d'un échange verbal véhément, le plaignant a frappé la main de son supérieur, qui le pointait avec un crayon. Le syndicat allègue que la réaction du plaignant a été provoquée par l'accumulation de situations au cours desquelles le supérieur a abusé de ses droits de direction en agissant de manière excessive, déraisonnable, inflexible, agressive et irrespectueuse. Dans sa décision, l’arbitre de griefs a retenu que la preuve des lacunes professionnelles du plaignant ne peut servir contre lui en ce qui a trait aux agissements déplacés et contraires à son obligation de civilité. Il a toutefois conclu que le ton employé et l'allure envahissante de l'intrusion du bureau du supérieur constituent une faute violant deux principes fondamentaux en matière de relations du travail, soit le lien de subordination ainsi que l'obligation de civilité, et ils doivent être sanctionnés. L’arbitre a souligné qu’il faut cependant tenir compte de toutes les circonstances de l'affaire lorsqu'on évalue la question de la proportionnalité entre la sanction imposée et le manquement reproché. En l'espèce, le comportement du supérieur hiérarchique interpellé était inutilement provocateur et menaçant, et constitue un facteur atténuant dont il aurait fallu tenir compte lors de la détermination de la sanction disciplinaire. Son comportement général était en effet peu propice au maintien d'un climat de travail normal. Les habitudes malsaines de gestion constituent un autre facteur atténuant. Enfin, le dossier disciplinaire du plaignant était vierge et le comportement reproché ne présente pas de risques de récidive. La suspension est réduite à huit heures.

Entente de dernière chance
Dans l’affaire Société en commandite Gaz Métro et Syndicat des employées et employés de Gaz Métro inc. (CSN), (E.S.), SOQUIJ AZ-50487892, l’arbitre de griefs a conclu que l’employeur n'a pas contrevenu à la Charte des droits et libertés de la personne en décidant de congédier le plaignant dont le comportement découlait de problèmes de santé mentale constituant un handicap. L'entente de dernière chance constituait une mesure d'accommodement devant être prise en considération et le plaignant avait récidivé à de nombreuses reprises en menaçant ses collègues et en faisant preuve d'agressivité au travail. De son côté, l'employeur, avant de congédier le plaignant, a obtenu une expertise psychiatrique établissant que celui-ci éprouvait toujours des problèmes de santé mentale et qu'il pouvait constituer un danger pour ses collègues. Ceux-ci ont d'ailleurs affirmé ne plus vouloir travailler avec lui en raison de ses comportements. Compte tenu de ces éléments, l’arbitre a conclu que le maintien en emploi du plaignant constituait une contrainte excessive pour les salariés et l'employeur.

Attitude de défi
Une attitude de défi à l’endroit de représentants de l’employeur et de collègues est également une manifestation d’agressivité qui n’a pas sa place dans un milieu de travail. Dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Fabrique Notre-Dame de Montréal et Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal (Donald Guérin), SOQUIJ AZ-50493844, l’arbitre a maintenu le congédiement d’un préposé dans une boutique qui a refusé d'obtempérer aux directives de l'employeur devant des clients, menacé son supérieur, braqué une caméra vidéo sur un représentant de l'employeur bien qu'on lui ait refusé de capter des images au cours d'une rencontre et proféré des menaces de mort à l'endroit d'un collègue. L'employeur a démontré qu'il n'avait d'autre choix que de mettre fin à l'emploi du plaignant, dont le comportement arrogant et agressif ainsi que les propos menaçants ont été dirigés à l'endroit de ses représentants et de ceux du syndicat ainsi que de ses collègues. Au moment de son congédiement, le plaignant avait à peine cinq ans d'ancienneté. De plus, toutes les chances lui ont été données afin qu'il comprenne qu'il devait modifier son comportement sous peine de perdre son emploi.

Harcèlement psychologique
Il faut établir une distinction entre une manifestation spontanée d'agressivité et du harcèlement psychologique : Syndicat des pompières et pompiers du Québec, section locale St-Jean-sur-Richelieu (FTQ) et St-Jean-sur-Richelieu (Ville de), (griefs individuels, Stéphane Fredette et un autre; SOQUIJ AZ-50544232. Dans cette affaire, les plaignants, soit des pompiers, ont tout mis en œuvre afin de provoquer la colère de leur supérieur. Ils ont fait preuve d'un manque de maturité et de respect. Quelles qu'aient été les paroles prononcées par le supérieur, elles ne sont qu'une réaction d'agressivité à l'insolence manifestée. Il faut établir une distinction entre une manifestation spontanée d'agressivité et du harcèlement psychologique. Par ailleurs, il n'a pas été démontré que les plaignants avaient été atteints dans leur dignité ou leur intégrité psychologique de manière à produire un effet nocif continu. Une allégation de harcèlement psychologique est sérieuse. La réputation et l'emploi de la personne visée peuvent être en jeu et rien n'empêche celle-ci de poursuivre en dommages-intérêts les responsables du recours lorsqu'il s'agit d'une procédure abusive, le comportement de ce dernier ne constitue pas « une seule conduite grave » au sens de l'article 81.18 L.N.T.

Obligation d’assurer la sécurité
Dans l’affaire Syndicat des employées et employés de l'Université du Québec à Montréal, section locale 1294 (SCFP-FTQ) et Université du Québec à Montréal (Gilles Poitras), SOQUIJ AZ-50383340, l’arbitre a décidé qu’en raison notamment de son obligation d'assurer la sécurité et de prévenir le harcèlement psychologique au travail, l'employeur était fondé à suspendre, puis à congédier un employé qui manifestait une attitude agressive à l'endroit de ses collègues. Le plaignant, un aide technique dans un laboratoire, a été suspendu quatre jours pour avoir dormi sur les lieux de travail, parfois même devant la clientèle, pour avoir adopté un comportement agressif et menaçant et pour s'être comporté à de nombreuses reprises avec colère et mépris à l'égard de collègues. Une seconde suspension (10 jours) lui a été imposée lorsqu'il s'est présenté au travail en état d'ébriété, incapable de travailler, et pour avoir dormi au travail. Enfin, l'employeur a décidé de le congédier en raison de son refus de corriger son comportement agressif, de son refus d'exécuter le travail demandé et de ses critiques constantes à l'égard de ses collègues. Il invoque ses obligations en vertu de la loi d'assurer un milieu exempt de harcèlement psychologique ainsi que la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Pour sa part, le syndicat prétend que le plaignant souffre d'un handicap et qu'il doit faire l'objet d'un accommodement. Il réclame une ordonnance afin d'imposer une psychothérapie au plaignant. L’arbitre a rejeté les griefs. Il a conclu que le syndicat n'a pas démontré que le plaignant souffre d'un handicap. Le rapport d'expertise d'un médecin ayant examiné ce dernier à la demande des parties révèle qu'il adopte des comportements de nature passive agressive qu'il ne parvient pas à changer parce qu'il manque d'autocritique. Ce manque est un trait de personnalité et non une maladie ni une déficience physique ou mentale. L'argument fondé sur le handicap est donc rejeté. Par ailleurs, le plaignant ne nie pas les comportements qui lui sont reprochés. De nombreux collègues ont témoigné relativement à ces comportements répréhensibles. Plusieurs d'entre eux estimaient que leurs conditions de travail devenaient injustes et inéquitables compte tenu des actes et des paroles agressives et intimidantes du plaignant à leur endroit. Il est clair que ce dernier a adopté à de nombreuses reprises des comportements brusques, grossiers et agressifs. Il s'agissait d'une conduite généralisée et constante. Le plaignant a fait preuve d'un manque de civilité et de diligence dans sa prestation de travail. L'employeur était fondé à lui imposer les suspensions et le congédiement en raison de son refus d'améliorer sa conduite, afin d'assumer ses obligations à l'égard des autres salariés. Aucune circonstance atténuante ne permet au Tribunal d'intervenir.

Réintégration conditionnelle
Dans l’affaire Véranda jardins inc. et Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (T.C.A.-Canada), SOQUIJ AZ-01141161, le congédiement d'un chef d'équipe ayant proféré des menaces de mort à l'endroit d'un supérieur a été annulé parce qu'il souffrait d'anxio-dépression. L’arbitre a toutefois précisé que pour être réintégré il devra faire la preuve de sa capacité à se contrôler. Selon l’arbitre, afin de conclure à l'existence d'une faute au sens disciplinaire, le comportement du plaignant doit avoir été volontaire et non avoir été animé par un état d'esprit troublé par une maladie qui aurait pour effet de l'empêcher d'agir normalement. Dans ce cas, il a été prouvé que le plaignant a souffert d'une dépression qui l'a forcé à s'absenter du travail durant deux périodes prolongées. L'employeur n'a pas contesté l'opinion du médecin traitant qui établit que le plaignant faisait une rechute à l'époque où il a proféré des menaces. Son comportement ne constitue donc pas une faute susceptible de discipline, mais une illustration des effets de la maladie dont il souffrait. En conséquence, l'employeur ne pouvait le congédier au motif d’une faute. L’arbitre a toutefois conclu que l’employeur n’ayant pas traité le dossier sous l'angle disciplinaire, il ne pouvait modifier la sanction imposée en tenant compte de toutes les circonstances de l'affaire. Il a également précisé que, devant la gravité des gestes commis, il serait déraisonnable de réintégrer le plaignant tant que son état de santé ne se sera pas amélioré et que la preuve n’indiquera pas que son comportement est normalisé lorsqu'il prend ses médicaments. Son congédiement a été annulé, mais l'arbitre n'a ordonné sa réintégration qu'au moment où il fera la preuve de sa capacité à gérer son comportement et ne représentera plus une menace sérieuse. L’arbitre a précisé qu’il était impossible de fixer un délai précis puisque la durée du traitement d'un individu atteint d'une maladie mentale n'est pas prévisible. Il a ajouté que l'employeur devra toutefois être fixé sur la date du retour au travail dans un délai raisonnable.


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Monique Desrosiers, avocate, coordonnatrice, secteur droit du travail et administratif, direction de l’information juridique, SOQUIJ

Source : VigieRT, numéro 47, avril 2010.

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