L’article 81.19 de la Loi sur les normes du travail (LNT) prévoit que : « Tout salarié a droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L'employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser ».
Le droit du salarié est clair, et les tribunaux s’entendent sur les notions de « conduite vexatoire » et d’« exercice abusif des droits de la direction ». Aussi, ce n’est pas seulement le harcèlement par un supérieur qui est visé. L’employeur est responsable du harcèlement entre collègues.
Au cours des dernières années, les décideurs ont eu à répondre à plusieurs questions relatives à l’administration de la preuve (déroulement de l’audience, présence du présumé harceleur, recevabilité des faits postérieurs à la plainte, etc.) et le rôle des trois tribunaux administratifs concernés – Commission des relations du travail (CRT), arbitres de griefs (TA) et Commission des lésions professionnelle (CLP) – a été clarifié.
Les tribunaux compétents
Le tribunal compétent pour trancher la plainte d’un employé non syndiqué est la Commission des relations du travail (CRT).
Lorsque le salarié est syndiqué, il doit déposer un grief, lequel sera déféré à un arbitre conformément à la procédure prévue à la convention collective, pourvu que cette procédure existe à son égard (art. 81.20 LNT). Les dispositions de la Loi sont alors réputées faire partie intégrante de la convention.
Les différentes voies de droit sont énoncées à l’article 123.15 LNT : réintégrer le salarié, ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire perdu, ordonner à l’employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement, ordonner à l’employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux, ordonner à l’employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d’emploi, ordonner à l’employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu’il détermine et ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.
Cependant, conformément à l’article 123.16 LNT, certaines mesures de réparation (perte de salaire, dommages moraux et exemplaires ainsi que frais pour traitements psychologiques) ne s’appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d’une lésion professionnelle qui résulte du harcèlement psychologique : « Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l'article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des paragraphes 2, 4 et 6. » Il en est de même pour l’arbitre de griefs.
Voici quelques cas récents qui illustrent bien ces principes ainsi que leur application à diverses situations susceptibles de se produire dans le cadre d’un arbitrage de grief, d’une plainte entendue par la CRT ou d’une contestation d’une décision de la CSST devant la CLP.
Juridictions concurrentes
La CRT ne peut ordonner à l'employeur de verser des dommages non pécuniaires et exemplaires afin de compenser le préjudice subi par un salarié à la suite d'événements qui, selon la CSST, ont causé une lésion professionnelle; cependant, en vertu des articles 123.15 paragraphe 4 et 123.16 LNT, elle peut accorder des dommages-intérêts relativement à des événements survenus au cours d'une période qui n'était pas visée par la réclamation à la CSST.
Le 25 octobre 2007, la CRT a accueilli les plaintes pour harcèlement psychologique et congédiement injuste déposées par la plaignante. En ce qui concerne la plainte à l'encontre du congédiement, elle a réservé sa compétence afin de déterminer les voies de droit appropriées. Par ailleurs, estimant probable que le harcèlement psychologique ait entraîné une lésion professionnelle, elle a réservé sa décision quant à la réparation du préjudice subi par la plaignante, ainsi que le prévoit l'article 123.16 de la Loi sur les normes du travail (LNT). Le 6 décembre 2007, une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a été produite. Le 6 février 2008, cette dernière a conclu que la plaignante avait subi une lésion professionnelle en raison du comportement abusif et discriminatoire de l'employeur entre le 1er septembre et le 20 octobre 2004. Le 9 septembre 2008, la CRT a rejeté la réclamation en remboursement du salaire perdu au motif que la CSST avait accepté d'indemniser la plaignante. Elle a cependant ordonné à l'employeur de verser 10 000 $ à cette dernière à titre de dommages non pécuniaires ainsi que 5000 $ à titre de dommages exemplaires. L'employeur soutient que cette décision est entachée d'un vice de fond de nature à l'invalider. Il allègue que la CRT n'avait pas compétence pour lui ordonner de payer de tels dommages-intérêts vu l'immunité civile prévue à l'article 438 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Décision
L'employeur a raison en ce qui concerne les dommages non pécuniaires, puisque la CRT les a accordés en raison d'une « atteinte [à la] dignité [subie] à de multiples reprises, en septembre et octobre 2004 ». Selon les principes relatifs à l'immunité civile, la CRT ne pouvait reconsidérer les événements survenus entre le 1er septembre et le 20 octobre 2004 aux fins d'une indemnisation pour dommages-intérêts autre que celle prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. De plus, en vertu de l'article 123.16 LNT, elle ne pouvait ordonner le paiement de dommages non pécuniaires et exemplaires pour cette même période. Dans les circonstances, l'attribution de dommages moraux pour des comportements adoptés durant la période du 1er septembre au 20 octobre 2004 constitue une erreur révisable. Par ailleurs, les articles 123.15 paragraphe 4 et 123.16 LNT permettent l'attribution de dommages punitifs ou exemplaires pour une période au cours de laquelle le salarié n'est pas victime d'une lésion professionnelle. De plus, en vertu du paragraphe 3 de l'article 128 LNT, la CRT peut accorder des dommages-intérêts lorsque les circonstances d'un congédiement vont au-delà de ce qu'une personne peut normalement éprouver à l'occasion de la cessation de son emploi. Dans la décision du 9 septembre 2008, l'attribution de dommages exemplaires vise des comportements dérogatoires de l'employeur et leur caractère manifestement intentionnel. Certains de ces comportements sont antérieurs à la période au cours de laquelle la CSST a reconnu que la plaignante avait été victime d'une lésion professionnelle résultant du harcèlement psychologique, tandis que d'autres ont eu lieu pendant la période en question. Ces derniers doivent être retranchés. Le dossier comprend suffisamment de renseignements pour que la présente formation puisse déterminer elle-même le montant approprié à titre de dommages exemplaires. La somme accordée (5000 $) est réduite de moitié.
Ovide Morin inc. et Morin-Arpin, SOQUIJ AZ-50542489
Statut de partie au litige
Devant les différents tribunaux administratifs qui sont compétents sur la question, le présumé auteur du harcèlement ne peut être considéré comme une partie au débat; on ne peut lui accorder qu'un droit d'intervention.
La CSST a accueilli la réclamation du travailleur relative à une lésion professionnelle découlant de harcèlement psychologique. L'employeur a contesté cette décision devant la CLP. Lors de l'audience, le supérieur qui a été identifié comme la cause du trouble de l'adaptation avec humeur anxiodépressive a produit une requête en intervention agressive, laquelle a été accueillie en partie. La CLP a déclaré qu'il avait le droit d'assister à toutes les étapes de l'audience, d'être représenté par un procureur — celui-ci ayant le droit de l'interroger et de le contre-interroger —, de présenter des objections lors de l'interrogatoire ou du contre-interrogatoire et de plaider en ce qui a trait à la preuve relative à son client. Elle a toutefois précisé qu'il ne lui était pas permis de contre-interroger les témoins des parties au litige ou les autres parties elles-mêmes ni de faire entendre des témoins. La Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire de cette décision. Le pourvoi pose essentiellement la question de la place du présumé auteur du harcèlement psychologique dans le contexte du processus de contestation entrepris devant les tribunaux administratifs et du degré de protection qui doit lui être accordé.
DécisionM. le juge Chamberland – La question que la Cour supérieure, saisie d'un recours en révision judiciaire, avait à trancher n'exigeait pas que soit déterminée la norme de contrôle applicable. Il ressort en effet de la jurisprudence qu'il s'agit d'un cas à l'égard duquel la CLP n'a pas droit à l'erreur, au risque d'outrepasser sa compétence. La question consiste plutôt à déterminer si les modalités de l'intervention du supérieur au débat respectent les règles de justice naturelle et lui permettent, compte tenu du contexte, de défendre adéquatement son droit fondamental à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Quant aux abus qu'une telle approche est susceptible d'encourager, il faudra les endiguer en procédant, cas par cas, à l'analyse de la question soumise à la révision judiciaire afin d'en identifier la véritable nature.
En l'espèce, la CLP a reconnu que, si les allégations d'abus et de harcèlement visant le supérieur s'avéraient fondées, elles pourraient entacher sa carrière ainsi que sa réputation, et elle lui a accordé des droits. Ce dernier prétend que l'interprétation qu'a faite la CLP de l'expression « personne qui se croit lésée » employée à l'article 359 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) est trop restrictive, puisque son comportement à titre de superviseur est au coeur du débat. Un tel point de vue ne peut être retenu. La « personne lésée » au sens de cet article ne peut être qu'une personne visée par les conclusions de la décision rendue par la CSST siégeant en révision aux termes de l'article 358 LATMP, soit, dans le cas d'un débat portant sur la reconnaissance d'une lésion professionnelle, le travailleur ou l'employeur. Le régime d'indemnisation des lésions professionnelles est un régime sans égard à la faute (art. 25 LATMP). Sauf exceptions, l'employeur bénéficie d'une immunité de poursuite en responsabilité civile (art. 438 LATMP) qui s'étend à tout travailleur ou mandataire de l'employeur (art. 442 LATMP). Ainsi, quelle que soit l'issue du débat devant la CLP, le travailleur ne pourra être poursuivi par le supérieur en raison de la lésion professionnelle qu'il allègue avoir subie. Or, l'objet du litige devant la CLP visait à déterminer si le travailleur avait subi une lésion professionnelle. Aucune condamnation ou ordonnance ne sera rendue contre le supérieur. En outre, la décision de la CLP lui a reconnu un statut particulier qui lui permettra amplement de faire valoir son point de vue, d'autant plus que l'employeur appuie entièrement sa position en contestant la réclamation du travailleur. Le droit d'être entendu ne se décline pas d'une seule façon. Un survol de la jurisprudence permet d'ailleurs de constater que la solution favorisée par la CLP concorde, à quelques exceptions près, avec ce que les arbitres de griefs, la Commission de la fonction publique et la Commission des relations du travail ont fait en présence de situations analogues. L'appel est donc rejeté, avec dépens en faveur du travailleur seulement.
McDonald c. Arshinoff & Cie ltée, SOQUIJ AZ-50429749
La demande de la supérieure – à qui on reproche d'avoir fait preuve de harcèlement psychologique – afin d'être déclarée partie à l'instance est rejetée, tout comme la possibilité qu'elle se voie accorder certains droits procéduraux, puisqu'il n'est pas fait état de comportements précis qui porteraient atteinte à sa dignité ou à sa réputation; la CLP lui réserve cependant le droit de présenter une nouvelle requête si la preuve soumise par la travailleuse au moment de l'audience le justifie.
La travailleuse prétend que sa lésion psychique est attribuable entre autres aux propos et aux agissements de sa supérieure qu'elle estime être du harcèlement psychologique. Dans le cadre de sa contestation d'une décision de la CSST confirmant qu'elle n'a pas subi de lésion professionnelle, la supérieure en cause demande au tribunal de lui reconnaître le statut de partie au litige. Elle réfère à la décision de la CLP dans l'affaire Arshinoff & Cie ltée et Bouchard (C.L.P., 2005-07-27), SOQUIJ AZ-50327170, C.L.P.E. 2005LP-128, [2005] C.L.P. 505 et fait valoir que le tribunal devra « scruter son comportement » et que cela pourrait avoir un impact sur sa réputation.
Décision
Les articles 377, 378 et 429.20 LATMP confèrent au tribunal le pouvoir de décider de la présente requête. Dans l'affaire Arshinoff & Cie ltée, la CLP a rejeté la demande du superviseur du travailleur d'être reconnu partie au litige, mais elle lui accorde toutefois certains droits procéduraux parce que les conclusions de faits retenues par la CSST pour reconnaître la lésion professionnelle du travailleur pouvaient avoir un impact important sur sa réputation et sur sa carrière. Elle retient donc l'argument de ce superviseur selon lequel ces conclusions de faits pouvaient porter atteinte à sa réputation et à sa dignité et constituer ainsi une violation de ses droits protégés par la Charte des droits et liberté de la personne et par le Code civil du Québec. La Cour d'appel a retenu que c'est dans un contexte particulier que la CLP a décidé d'accorder certains droits procéduraux à ce superviseur, soit celui où des agissements graves lui étaient reprochés puisque la réclamation du travailleur reposait sur des allégations de comportements agressifs, racistes, menaçants, déplacés, vulgaires et intimidants de sa part ([C.A., 2007-04-26], 2007 QCCA 575, SOQUIJ AZ-50429749, J.E. 2007-949, D.T.E. 2007T-396, C.L.P.E. 2007LP-11, [2007] R.J.Q. 903, [2007] C.L.P. 335, [2007] R.J.D.T. 383). En l'espèce, les allégations de la travailleuse ne sont pas du tout de même nature. Elle dénonce principalement son affectation à une nouvelle fonction en raison d'une restructuration de l'entreprise de même que son congédiement ultérieur et, à cette occasion, elle formule certains reproches à l'endroit de sa supérieure concernant le rôle qu'elle aurait joué dans ces événements. Il n'est pas question de comportements précis qui seraient à leur face même de nature à porter atteinte à la dignité et à la réputation de la supérieure. Les circonstances en cause ne justifient pas d'accorder des droits procéduraux à cette supérieure. La CLP lui réserve cependant le droit de présenter une nouvelle requête visant à lui accorder de tels droits si la preuve soumise par la travailleuse lors de l'audience le justifie. La CLP rejette la requête de la supérieure afin de lui reconnaître le statut de partie au litige, et celle-ci n'est pas autorisée à participer au débat que soulève ce litige en exerçant certains droits procéduraux. Cependant, comme elle sera appelée à témoigner lors de l'audience, elle aura l'occasion d'offrir sa propre version des événements.
RACHEL VÉRONNEAU, partie requérante, et BETAPLEX INC., partie intéressée, SOQUIJ AZ-50550838
Administration de la preuve
La demande de dépôt des notes cliniques d'un psychologue par l'employeur est accueillie; compte tenu du fait que le travailleur prétend avoir été victime de harcèlement, il s'agit d'une question nécessaire à l'exercice de la compétence de la CLP et ce dernier a renoncé implicitement au secret professionnel puisqu'il a invoqué son état de santé.
Requête incidente par l'employeur afin d'obtenir une ordonnance de dépôt des notes cliniques de deux psychologues consultées par le travailleur. Requête accueillie.
Le travailleur conteste à la CLP une décision rendue par l'instance de révision de la CSST déclarant qu'il n'a pas subi de lésion professionnelle le 31 octobre 2006. Le travailleur aurait été retiré du travail par un médecin à compter du 28 novembre 2005 et aurait entrepris un suivi psychologique avec une psychologue. À compter du 30 novembre 2006, il aurait été suivi par une autre psychologue à la suite de la recommandation de son médecin. L'employeur demande à la CLP d'ordonner le dépôt des notes cliniques de ces deux psychologues. Le travailleur s'oppose à la requête de l'employeur en raison du droit à la vie privée et au secret professionnel en vertu des articles 5 et 9 de la Charte des droits et libertés de la personne et des obligations des psychologues prévues au Code des professions et au Code de déontologie des psychologues.
Décision
Les articles 378 et 429.20 LATMP prévoient que la CLP et ses commissaires sont investis des pouvoirs nécessaires à l'exercice de leurs fonctions et qu'ils peuvent notamment rendre toutes les ordonnances qu'ils estiment propres à sauvegarder les droits des parties. La CLP a donc le pouvoir d'ordonner la production de documents médicaux qu'elle juge utiles à la solution du litige, puisqu'il s'agit d'une question nécessaire à l'exercice de sa compétence. Il est vrai que le droit à la vie privée et le respect du secret professionnel sont des droits fondamentaux. Toutefois, ces droits ne sont pas absolus, le principe de la renonciation implicite étant reconnu par la jurisprudence en regard des dossiers médicaux dans le cas d'une personne qui invoque son état de santé pour obtenir un bénéfice de la loi. En l'espèce, en déposant une réclamation à la CSST pour une condition psychique qu'il allègue être causée par du harcèlement au travail, le travailleur a donc renoncé implicitement à la protection de confidentialité des dossiers des psychologues qu'il a consultées pour ce problème. Dès lors, le tribunal doit se questionner sur la pertinence de la divulgation des notes médicales des psychologues pour la résolution du litige, car en vertu de l'article 28 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles, la règle fondamentale en matière de recevabilité d'un élément de preuve est celle de sa pertinence par rapport au litige à trancher. Selon l'affaire Rolf C. Hagen inc. et Deslongchamps (C.L.P., 2007-08-27), 2007 QCCLP 4932, SOQUIJ .AZ-50448876, C.L.P.E. 2007LP-140, [2007] C.L.P. 732, la pertinence d'une preuve ne repose pas sur le simple fait qu'il pourrait s'avérer intéressant d'en disposer, mais sur son utilité, à savoir si cet élément de preuve risque vraiment d'influencer l'issue du litige sur le fond. Dans l'affaire Résidence Jean-de-la-Lande et Maltais (C.L.P., 1999-10-26), SOQUIJ .AZ-99303099, la CLP conclut que l'exclusion d'une preuve non pertinente relève d'une décision subjective et variant selon les circonstances de chaque cas. Elle écrit que la pertinence s'apprécie « par rapport à l'obligation des parties de faire la preuve des éléments de base qu'elles entendent soumettre ». Or, le dépôt des notes de consultation des psychologues est pertinent dans la mesure où la CLP devra se prononcer sur le caractère professionnel de la lésion sur le plan psychique dont le travailleur a été atteint. D'ailleurs, le travailleur fait lui-même référence aux consultations chez une psychologue dans un document qu'il dépose à la CSST au soutien de sa réclamation et son médecin indique sur un Rapport médical qu'elle le dirige vers une psychologue. Le tribunal doit déterminer si le trouble d'adaptation avec humeur anxiodépressive dont le travailleur est atteint depuis le 31 octobre 2006 est en lien avec des événements survenus au travail, qui débutent à compter du mois d'octobre 2004, qui ont entraîné un premier arrêt de travail le 28 novembre 2005 et un second le 31 octobre 2006. La divulgation des notes des psychologues apparaît nécessaire non seulement à la défense pleine et entière de l'employeur, mais aussi au tribunal en vue de rendre une décision éclairée en regard de la détermination du caractère professionnel de la maladie psychique dont a été atteint le travailleur. Le tribunal ordonne aux psychologues en cause de déposer leurs notes médicales sous pli scellé à la CLP, qui en acheminera une copie uniquement aux procureures des parties afin de leur permettre d'en prendre connaissance et, le cas échéant, d'indiquer au tribunal avant la tenue de la prochaine audience si des informations nominatives ou non pertinentes au litige doivent être retranchées.
JOCELYN DAIGNEAULT, partie requérante, et PRATT & WHITNEY CANADA, partie intéressée, SOQUIJ AZ-50553648
La lettre adressée par l'employeur à la travailleuse et faisant état des conclusions de l'enquête interne menée à la suite de sa plainte pour harcèlement psychologique est retirée du dossier de la CLP; les conclusions d'un comité d'enquête mis en place en vertu d'une politique interne visant à contrer la violence ou le harcèlement psychologique ne lient pas le tribunal, dont le rôle est de déterminer s'il y a lésion professionnelle.
Décision
Même si l'article 2857 du Code civil du Québec édicte que toute preuve pertinente est recevable, les tribunaux, dont la CLP, ont déjà reconnu certaines exceptions à ce principe général, dont celle du privilège de confidentialité dont jouissent les communications, écrites ou verbales, faites en vue de régler un litige. Toutefois, en l'espèce, il n'y a pas lieu de se prononcer sur le caractère confidentiel ou non du document daté du 27 juin 2006, puisque ce document n'est pas pertinent au litige. Comme le tribunal est le seul juge des faits et qu'en vertu de l'article 349 LATMP, il a compétence exclusive pour déterminer si la travailleuse a subi une lésion professionnelle, les conclusions d'un comité d'enquête mis en place par l'employeur en vertu d'une politique interne ne sauraient le lier. De plus, bien que ce document fasse état des conclusions des membres du comité d'enquête, le tribunal ignore totalement le nom des témoins rencontrés, les déclarations qu'ont pu faire ces témoins ainsi que les documents consultés par les membres du comité. D'autre part, le but de l'enquête menée par l'employeur était de vérifier s'il y avait eu entrave à sa politique pour contrer la violence et le harcèlement psychologique, et ce, en fonction des balises et des définitions contenues à cette politique. Or, le rôle du tribunal est bien différent, puisqu'il a à déterminer si la travailleuse a été victime d'une lésion professionnelle. Finalement, retirer ce document du dossier ne prive aucunement la travailleuse de son droit d'être entendue puisqu'elle a pu témoigner sur tous les faits pertinents au soutien de ses prétentions, qu'elle a pu faire entendre tous les témoins qu'elle jugeait nécessaires et contre-interroger ceux de l'employeur. Par conséquent, le tribunal accueille l'objection de l'employeur et déclare que ce document doit être retiré du dossier. Quant au fond, la présomption de l'article 29 LATMP ne peut trouver application, puisque le diagnostic de trouble d'adaptation avec humeur anxieuse ne figure pas parmi les lésions énumérées à l'Annexe I de la Loi. L'article 30 LATMP ne peut non plus trouver application, puisqu'il n'a pas été démontré que la lésion psychologique subie par la travailleuse est caractéristique du type de travail qu'elle effectue ou qu'elle s’est développée à la suite de l'exposition à des agents stressants qui sont habituellement présents dans son milieu de travail. La présomption prévue à l'article 28 LATMP ne pouvant trouver application dans le cas d'une lésion à caractère psychologique, puisque celle-ci ne constitue pas une blessure, la travailleuse doit démontrer qu'elle a été victime d'un accident du travail tel que défini à l'article 2 LATMP, c'est-à-dire un événement imprévu et soudain qui survient par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne une lésion professionnelle. En matière de lésion psychologique, la jurisprudence du tribunal reconnaît qu'une série d'événements qui sort du cadre normal et prévisible du travail peut répondre au caractère d'imprévisibilité et de soudaineté requis par la Loi. De façon générale, les problèmes normaux de relations du travail sont exclus du champ des lésions professionnelles. Par ailleurs, bien que le tribunal ait à statuer sur l'existence d'un accident du travail et non sur l'existence de harcèlement, il peut s'inspirer de la définition de harcèlement psychologique qui se trouve dans la Loi sur les normes du travail. De plus, selon l'affaire AFG Industries ltée (Glaverbec) et Bhérer (C.L.P., 2003-01-29), SOQUIJ .AZ-02305923, C.L.P.E. 2002LP-202, [2002] C.L.P. 777, lorsqu'un travailleur prétend que sa lésion psychologique découle d'actes de harcèlement subis au travail, il ne peut être considéré comme étant victime d'une lésion professionnelle si la preuve démontre qu'il s'est lui-même placé dans une situation de conflit avec ses supérieurs ou ses collègues. En l'espèce, les événements survenus depuis 2005 et qui représentent du harcèlement selon la travailleuse font davantage référence à des problèmes courants de relations du travail et n'ont pas un caractère traumatique suffisant pour représenter un événement imprévu et soudain. La travailleuse n'était pas d'accord avec la réorganisation du travail, qui impliquait notamment des changements d'horaire. Mais il appartient à l'employeur d'établir l'organisation du travail qu'il juge appropriée, dans le respect des conventions collectives applicables aux employés concernés. Une réorganisation du travail est une situation courante dans un milieu de travail et à laquelle tout salarié peut être confronté au cours de sa carrière. Le 21 mars 2006, l'intervention du supérieur ne visait pas directement la travailleuse et le tribunal s'explique mal qu'elle ait ressenti le besoin de consulter un médecin deux jours plus tard. Par ailleurs, les événements survenus en 2005 sont peu significatifs et le tribunal ne peut y voir des gestes de l'employeur posés sans fondement ou pour des raisons injustifiées. Bien que les propos du supérieur n'aient pas toujours été des plus courtois, le tribunal ne peut conclure que ce comportement a été adopté sans raison valable ou dans le but de porter atteinte à la travailleuse. La travailleuse n'a donc pas subi de lésion professionnelle.
CHRISTIANE BLAIS, partie requérante, et CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE CHICOUTIMI (CSSS CHICOUTIMI) - HÔPITAL DE CHICOUTIMI, partie intéressée, SOQUIJ AZ-50533963
La demande de l'employeur afin que la CLP rende une ordonnance de non-divulgation des noms des parties dans le contexte d'une réclamation liée à du harcèlement psychologique est rejetée; l'employeur n'a pas démontré en quoi la divulgation de ces renseignements confidentiels pourrait être préjudiciable et, en outre, la travailleuse allègue ne subir aucun préjudice.
Considérant les dispositions de l'article 19 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles, une ordonnance de non-divulgation, de non-publication ou de non-diffusion constitue une exception au caractère public du processus judiciaire et vise à préserver l'ordre public et à assurer la saine administration de la justice. Or, l'employeur n'a pas soumis d'élément permettant de conclure à la nécessité d'émettre une telle ordonnance pour atteindre ces objectifs. De plus, il ne peut plaider pour d'autres personnes en soumettant des éléments qui ne le concernent pas directement. Il ne peut plaider que pour son propre intérêt. Il n'a pas démontré que sa demande d'ordonnance constituait le moyen nécessaire pour assurer le respect de la vie privée de la travailleuse et des autres syndiqués dans la décision à rendre. Le droit du public à la transparence du processus judiciaire l'emporte et la CLP rejette la requête de l'employeur visant à obtenir une ordonnance de non-divulgation des noms des parties et des autres syndiqués impliqués dans le présent litige. Par ailleurs, l'article 383 LATMP vise la publication des décisions de la CLP et permet de préserver le caractère confidentiel des renseignements dont la divulgation pourrait être préjudiciable à certaines personnes en omettant le nom des personnes. En l'espèce, la demande émane de l'employeur, qui évoque un possible préjudice à d'autres syndiqués impliqués au litige. Cependant, il n'a pas identifié les renseignements de caractère confidentiel susceptibles d'apparaître à la décision ni démontré comment la divulgation de ces renseignements confidentiels pourrait être préjudiciable à ces personnes. Pour sa part, la travailleuse n'allègue subir aucun préjudice. À ce stade-ci, la force du caractère public des décisions rendues par un organisme public l'emporte et la CLP rejette la requête visant l'omission des noms de la travailleuse, de l'employeur et des autres syndiqués à la décision rendue par la CLP. Toutefois, s'il l'estime approprié, l'employeur pourrait formuler de nouveau une demande visant l'application des dispositions de l'article 383 concernant la décision rendue sur le fond du litige.
ANNE ÉTHIER, partie requérante, et CÉGEP DU VIEUX MONTRÉAL, partie intéressée, SOQUIJ AZ-50511262
Fardeau de la preuve - Conduite vexatoire
L'existence d'une conduite vexatoire doit s'apprécier de façon objective en fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances; si les attributs ou les caractéristiques personnelles de la prétendue victime peuvent être pris en considération afin d'établir si celle-ci a fait l'objet de harcèlement, la « théorie du crâne fragile » doit toutefois être utilisée avec une grande prudence.
Décision
L'existence d'une conduite vexatoire doit s'apprécier de façon objective en fonction de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. Les caractéristiques personnelles de la prétendue victime peuvent être prises en considération afin d'établir si celle-ci a subi du harcèlement, mais la théorie du « crâne fragile » doit être utilisée avec une grande prudence. En effet, les caractéristiques personnelles ne doivent pas être la norme de référence pour conclure si, dans la société, une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances que la victime se considère être victime de harcèlement psychologique. Cette norme a son importance en l'espèce puisque les représentants de l'employeur ont déclaré que la plaignante était connue pour son comportement agressif, qui se manifestait régulièrement si elle était contrariée, particulièrement lorsque sa condition physique était en cause et que l'employeur cherchait à vérifier son aptitude au travail. Or, l'agressivité est contradictoire avec la notion de personne raisonnable. Il faut donc analyser les faits à la lumière du critère fondamental de référence, soit celui d’une personne raisonnable non agressive placée dans les mêmes circonstances que la plaignante, notamment parce que son agressivité était déraisonnable et non fondée.
La plaignante a fait état de deux séquences d'événements, ceux de 2003 et ceux du 6 septembre 2005. Or, deux éléments importants leur sont communs : les démarches significatives de l'employeur pour lui venir en aide et, à l'opposé, le comportement agressif et négatif de la plaignante à l'égard de toute tentative de la direction. Il est évident que la plaignante souffre d'un problème comportemental important et que, pour elle, ce sont les autres qui en sont la source. Elle n'accepte aucune intervention de la part de ses supérieurs — ni même des médecins — dont la conséquence pourrait être différente de ce qu'elle désire. Son attitude constitue un refus de participer à une procédure en vigueur dans l'entreprise, qui est de tenter de garder une personne au travail dans la mesure de ses capacités. Malgré son comportement agressif et négatif, les membres de la direction ont cherché à ne pas la vexer, sachant qu'elle s'emportait facilement. Il s'agit davantage d'une attitude respectueuse que de harcèlement. Quant aux interventions de la supérieure en date du 6 septembre, elles constituaient des directives normales, qui peuvent être désagréables, mais certainement pas harcelantes psychologiquement. Elles ne sont pas vexatoires et ne constituent aucunement des paroles ou des actes répétés, hostiles ainsi que non désirés au sens de la Loi et de la jurisprudence, et elles ne contribuent pas à rendre le milieu de travail néfaste. La plaignante a fait grand état des nombreuses occasions où l'employeur lui a suggéré de consulter un médecin ou de chercher de l'aide afin de régler son problème d'agressivité. Or, au lieu de considérer cette suggestion comme une occasion de se comporter de façon normale dans son milieu de travail ou comme une aide qui lui était offerte, elle a plutôt conclu qu'il s'agissait d'un comportement harcelant de la part de l'employeur. Une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances n'aurait pas conclu ainsi, mais aurait plutôt saisi la chance qui lui était donnée.
Olymel, s.e.c./Iberville et Teamsters Québec, section locale 1999 (Huguette Beaulieu), SOQUIJ AZ-50463278
Preuve de faits postérieurs
L'arbitre ne doit pas se limiter à considérer uniquement la preuve antérieure au dépôt du grief et faire abstraction de tous les faits subséquents qui s'inscrivent dans la même foulée; par ailleurs, le syndicat doit fournir un exposé factuel détaillé indiquant en quoi les incidents rapportés par le plaignant sont liés à l'un des éléments constitutifs du harcèlement psychologique — auquel l'employeur devra par la suite répondre.
L'employeur soutient que les réponses fournies par le syndicat aux demandes de précisions sont sommaires et superficielles. Il s'oppose également à la recevabilité en preuve de faits postérieurs au dépôt du grief. De son côté, le syndicat estime que les précisions qu'il a données sont suffisantes et qu'il n'a pas à divulguer sa preuve ni les moyens de preuve qu'il entend faire valoir à l'enquête. Il ajoute que les faits postérieurs allégués sont pertinents et qu'ils sont directement reliés à la preuve antérieure au grief.
Décision
Selon la jurisprudence, la preuve de faits postérieurs est recevable dans la mesure où ceux-ci sont intimement liés aux faits initiaux et qu'ils permettent de comprendre la situation réelle qui existait au moment où le grief est né. En confirmant l'idée que les faits sont interreliés, la Cour suprême a reconnu, dans Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal (C.S. Can., 2007-01-26), 2007 CSC 4, SOQUIJ .AZ-50408361, J.E. 2007-291, D.T.E. 2007T-111, (2007) 1 R.C.S. 161, que la preuve postérieure peut couvrir un très large spectre et s'étendre éventuellement jusqu'au moment du dernier jour d'audience. L'approche segmentée que l'employeur invoque (Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 501 et Sobeys Québec inc. [Rhéal Fontaine], [T.A., 2007-09-14], SOQUIJ .AZ-50451101, D.T.E. 2007T-867) ne peut donc être retenue. En effet, assujettir la recevabilité de faits postérieurs à une preuve préalable de harcèlement à la date du grief va à l'encontre de la position d'ouverture de la Cour suprême en cette matière. En l'espèce, même si le lien entre certains faits postérieurs et ceux existant au moment du dépôt du grief n'est pas apparent, l'objection de l'employeur est prise sous réserve. Il ne serait pas prudent, à cette étape, d'écarter ces éléments. Leur pertinence sera analysée avec l'ensemble de la preuve. Par ailleurs, le recours exercé en vertu du premier alinéa de l'article 81.18 de la Loi sur les normes du travail (LNT) vise à dénoncer des comportements s'échelonnant dans le temps et qui auraient pour effet de bafouer le droit d'un salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement. Or, le fait d'exercer ce recours ne dispense pas l'employeur de respecter son obligation prévue à l'article 81.19 LNT. Celle-ci persiste avec la même intensité tant et aussi longtemps que le lien d'emploi est maintenu, et ce, même si l'audition du grief est amorcée. Ainsi, un adjudicateur saisi d'un recours alléguant du harcèlement psychologique ne doit pas se limiter à ne considérer que la preuve précédant une date précise et faire abstraction de tous les faits subséquents qui s'inscrivent dans la même foulée. Cependant, les conditions de recevabilité d'une preuve de faits postérieurs doivent continuer à s'appliquer afin de s'assurer d'une administration efficace de la justice et du respect des droits de toutes les parties en cause.
Quant à la divulgation des faits, les parties ont accepté, avec raison, de se conformer à la procédure récemment mise au point dans Aéroports de Montréal et Alliance de la fonction publique du Canada (Pierre Nadon), (T.A., 2007-12-07), SOQUIJ .AZ-50464765, D.T.E. 2008T-86. Ainsi, la personne qui allègue avoir subi du harcèlement psychologique et son syndicat doivent transmettre à l'employeur, par ordre chronologique, la liste des reproches sur lesquels ils fondent leur prétention (dates, événements, circonstances), et ce, relativement à chacun des éléments constitutifs du harcèlement psychologique. Par la suite, l'employeur doit fournir une réponse écrite à chacun des reproches formulés et, le cas échéant, ajouter toute autre circonstance ou tout autre fait additionnels. Même si elle va beaucoup plus loin que la procédure appliquée généralement, cette exigence est nécessaire vu le contexte particulier du recours pour harcèlement psychologique. En l'espèce, les précisions transmises par le syndicat fournissent une liste de dates, d'événements et de circonstances. Cette liste doit être complétée afin d'indiquer plus précisément en quoi les événements rapportés par le plaignant sont liés à un ou à des éléments constitutifs du harcèlement psychologique. Cet exposé factuel détaillé ne doit toutefois pas devenir un cadre rigide qui ne permettrait pas par la suite la présentation en preuve de tout autre élément connexe ou incident.
Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 574 (publicité) et Presse ltée (La), (Marc Noël), SOQUIJ AZ-50476399
Lésion professionnelle
Les dommages-intérêts réclamés par un agent des services correctionnels contre une collègue pour atteinte à sa réputation ne sont pas couverts par l'immunité civile énoncée à l'article 442 LATMP; seule cette portion de la réclamation initiale est recevable, et le demandeur bénéficie d'un délai de trois mois afin de faire valoir son droit devant le tribunal compétent.
Deux agents des services correctionnels, Ghanouchi et Harrisson, ont intenté un recours en dommages-intérêts contre deux collègues, les infirmières Faucher et Lapointe, leur reprochant d'avoir sciemment porté atteinte à leur intégrité physique et psychologique en les accusant faussement de harcèlement. Il est établi que Ghanouchi et Faucher ont entretenu une relation amoureuse de courte durée. Après leur rupture, cette dernière aurait harcelé Ghanouchi ainsi que Harrisson, sa nouvelle compagne. Lapointe se serait jointe à sa collègue et amie Faucher en commettant elle aussi des actes de harcèlement. Le juge de première instance a fait droit à leur moyen de non-recevabilité, estimant que l'article 442 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) devait s'appliquer. Ghanouchi et Harrisson interjettent appel du jugement ayant rejeté leur recours contre Lapointe.
Décision
M. le juge Chamberland – Un examen de la jurisprudence de la Cour d'appel permet d'établir qu'il y a immunité civile de l'employeur et de l'employé, selon les articles 438 et 442 LATMP, lorsque : a) les événements à l'origine du recours constituent un « accident du travail » entraînant une « lésion professionnelle »; et b) le recours vise à réparer un préjudice autre que l'atteinte à la réputation, et ce, peu importe que le demandeur ait choisi ou non de recourir au régime public d'indemnisation des travailleurs mis en place en vertu de cette Loi. En l'espèce, le juge de première instance a conclu que les faits reprochés à Lapointe constituaient un accident du travail, puisqu'ils se rapportaient à des événements imprévus et soudains survenus par le fait et à l'occasion du travail des demandeurs. Il a ajouté que la maladie qui était survenue par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail constituait une « lésion professionnelle » au sens de la Loi. Il s'agit d'une conclusion mixte, de fait et de droit, exempte de toute erreur justifiant l'intervention de la Cour. D'autre part, la prétention selon laquelle le conflit provient d'une relation personnelle, à l'extérieur du contexte de travail, ne peut être retenue. La requête introductive d'instance ne contient aucune allégation relativement à une quelconque relation personnelle entre les demandeurs et Lapointe. Les seuls gestes reprochés à cette dernière sont reliés au travail. Par ailleurs, Ghanouchi réclame 10 000 $ à titre de dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation, ce qui n'est pas le cas de Harrisson. Compte tenu de la jurisprudence, le rejet de l'action de cette dernière contre Lapointe était bien fondé. Le cas de Ghanouchi pose un problème particulier, puisque le concept de « lésion professionnelle », au sens de la Loi précitée, exclut toute idée d'atteinte à la réputation. Son recours contre sa collègue Lapointe est donc, à ce titre, recevable. Toutefois, il est aujourd'hui prescrit, compte tenu des dispositions de l'article 2929 du Code civil du Québec (C.C.Q.). L'article 2895 C.C.Q. prévoit cependant que, lorsque la demande est rejetée sans qu'une décision ait été rendue sur le fond de l'affaire, le demandeur dont le recours est prescrit ou sur le point de l'être à la date du jugement bénéficie d'un délai supplémentaire de trois mois pour faire valoir son droit. Par conséquent, l'appel est accueilli à la seule fin de déclarer que, quant à la partie de sa réclamation fondée sur une atteinte à la réputation, Ghanouchi bénéficie d'un délai de trois mois à compter de la signification du jugement afin de faire valoir son droit devant le tribunal compétent.
Ghanouchi c. Lapointe, SOQUIJ AZ-50529900 (NDLR : La décision subséquente de la CLP est diffusée à SOQUIJ AZ-50547045 [prolongation de délai].)
Comme le plaignant a choisi d'être indemnisé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles plutôt que de présenter un grief à l'encontre de harcèlement de la part de collègues, l'arbitre de griefs n'a pas compétence pour lui accorder des dommages-intérêts afin de compenser la perte de son emploi.
Le plaignant, un mécanicien, s'est absenté du travail à compter du 5 avril 2004 en raison du harcèlement subi de la part de ses collègues. La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a accueilli sa réclamation et a reconnu que la situation de harcèlement qu'il avait vécue constituait une lésion professionnelle. Le 26 avril 2007, la Commission des lésions professionnelles (CLP) a décidé que le plaignant était incapable de réintégrer son emploi vu la présence des collègues qui étaient à l'origine du harcèlement, qu'il n'avait pas droit au retour au travail prévu à l'article 236 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) et qu'il était capable d'exercer l'emploi convenable de mécanicien ailleurs que dans l'établissement de l'employeur. Le plaignant réclame des dommages-intérêts compensatoires à la suite du refus de l'employeur de le réintégrer. Ce dernier s'oppose à la compétence du Tribunal pour se prononcer sur une telle réclamation. Il allègue que la CSST et la CLP avaient une compétence exclusive pour décider de toute indemnité résultant de la lésion professionnelle subie par le plaignant.
Décision
Le plaignant a choisi d'être indemnisé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles plutôt que de présenter un grief afin de se plaindre du harcèlement psychologique au travail. En procédant de cette façon, il a confié à la CSST et à la CLP le soin de s'occuper de son dossier. Or, ces organismes ont une compétence exclusive pour décider de toute indemnité qui peut être versée à la suite d'une lésion professionnelle au sens de cette Loi. Il s'agit d'un régime sans égard à la faute. L'article 438 LATMP prévoit qu'aucune action en responsabilité ne peut être intentée contre un employeur en raison d'une lésion professionnelle. La perte de l'emploi du plaignant étant directement liée à une telle lésion, il ne peut en conséquence réclamer des dommages-intérêts à l'employeur.
AFG Industries ltée et Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Québec), (Yvon Blouin), SOQUIJ AZ-50472646
L'article 123.16 LNT impose à la CRT de réserver sa décision quant à certaines mesures de réparation lorsqu'elle estime probable que le harcèlement psychologique a entraîné une lésion professionnelle; cependant, elle ne peut suspendre sa compétence de manière préliminaire sur ces remèdes avant d'avoir entendu la preuve relativement au harcèlement psychologique allégué.
Le plaignant a déposé des plaintes en vertu des articles 123.6 et 124 de la Loi sur les normes du travail (LNT), respectivement pour harcèlement psychologique et congédiement sans cause juste et suffisante. Il a également déposé une réclamation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Cette réclamation a été rejetée. Lors d'une conférence préparatoire, la CRT a décidé de son propre chef de suspendre pour une période indéterminée l'enquête relative aux plaintes dont elle était saisie jusqu'à ce que la Commission des lésions professionnelles (CLP) ait décidé du sort de la réclamation fondée sur les dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le plaignant demande la révision de cette décision.
Décision
Il n'y a pas de litispendance entre la plainte pour harcèlement psychologique et la réclamation à l'égard de laquelle la CLP devra se prononcer. D'autre part, l'article 123.16 LNT impose à la CRT de réserver sa décision quant à certaines mesures de réparation lorsqu'elle estime probable que le harcèlement psychologique a entraîné une lésion professionnelle. Cependant, la CRT ne peut estimer probable la présence d'une telle lésion et suspendre sa compétence de manière préliminaire quant à ces remèdes si elle n'a pas entendu de preuve relativement au harcèlement psychologique allégué. En l'espèce, rien ne démontre qu'elle n'a pas compétence tant sur la plainte pour harcèlement psychologique que sur celle formulée à l'encontre d'un congédiement sans cause juste et suffisante. Par ailleurs, il est possible de suspendre l'audition d'un recours en attendant le sort d'un litige devant une autre instance, et ce, même en l'absence de litispendance. Une telle décision doit se fonder sur une application diligente et efficace de la loi et tenir compte de la saine administration de la justice. C'est l'incidence déterminante de la décision de l'autre instance sur le recours devant la CRT qui sert de critère pour accorder ou non la suspension des procédures. En l'espèce, les renseignements au dossier et ceux obtenus lors de la conférence préparatoire ne permettaient pas à la CRT d'appliquer la décision rendue dans Rajeb et Solutions d'affaires Konica Minolta (Montréal) inc. (C.R.T., 2008-04-14), 2008 QCCRT 0169, SOQUIJ .AZ-50487300, D.T.E. 2008T-415, (2008]) R.J.D.T. 763. Enfin, présumer la présence d'une lésion professionnelle sans entendre les témoins constituerait une violation des règles de justice naturelle (Clavet c. Commission des relations du travail [C.S., 2007-08-31], 2007 QCCS 4450, SOQUIJ .AZ-50452215, J.E. 2007-1923, D.T.E. 2007T-840, [2007] R.J.D.T. 1442). Le refus de la CRT d'entendre le plaignant et l'employeur en temps utile n'est aucunement fondé sur des éléments factuels ou de droit et il s'apparente à un refus d'exercer sa compétence. La décision doit être révisée, car elle est entachée d'un vice de fond.
Abouelella et Société hôtelière Hunsons inc., SOQUIJ AZ-50542487
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Monique Desrosiers, avocate, Coordonnatrice, Secteur droit du travail et droit social, Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ)
Source : VigieRT, numéro 38, mai 2009.