La dénonciation d'actes répréhensibles en milieu de travail, aussi désignée par les termes whistleblowing ou déclenchement d'alerte, est un système souvent employé pour dénoncer des situations ou des comportements qui ont une incidence négative en milieu de travail.
Une telle dénonciation doit cependant se faire dans le respect de l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, selon lequel :
« Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. »
Les politiques ou les règlements de l’employeur à ce sujet doivent donc respecter cette disposition.
Les employés et les syndicats ont eux aussi des règles à respecter lorsqu’ils dénoncent une situation ou le comportement d’un représentant de l’employeur. Par exemple, l’arbitre Marcel Morin a précisé dans l’affaire Syndicat de l'enseignement de l'Ouest de Montréal et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (griefs individuels, Ann Synnett et un autre), SOQUIJ AZ-50454011 que, dans le cas d'un enseignant, l'équilibre entre l'obligation de loyauté envers l'employeur et la liberté d'expression réside dans son devoir de loyauté envers ses élèves lorsqu'il considère que leur santé et leur sécurité sont en danger. Me Morin a précisé qu’il ne faut pas que sa loyauté envers l'employeur réduise l’enseignant au silence et, à l'inverse, que sa liberté d'expression ne lui permette pas d'attaquer publiquement des décisions de la Commission scolaire de manière constante.
Les tribunaux du travail ont eu à traiter de cette question dans différentes situations concernant des employés syndiqués et non syndiqués et des représentants syndicaux.
Droit de dénoncer son employeur
L’arbitre Me Guy E. Dulude a précisé que le droit d'un employé à déroger de ses obligations de fidélité et de loyauté envers son employeur et de recourir à la dénonciation publique ne peut s’appliquer que dans les conditions suivantes : 1) cette forme de dénonciation doit être exercée de manière exceptionnelle, au sens où tous les autres moyens internes ont été épuisés; 2) l'employé a agi entièrement de bonne foi en s'appuyant sur des motifs sérieux et objectivement défendables; 3) l'ampleur de l'intervention publique ne doit pas être disproportionnée relativement à l'objectif poursuivi; 4) l'employé ne doit dénoncer que les faits pertinents et nécessaires après en avoir vérifié l'exactitude; et 5) l'employé n'est tenu responsable que de ses propres déclarations. Société canadienne des postes et Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes (griefs individuels, Jade Daniel Sambrook et autres), SOQUIJ AZ-50324230.
Droit de l’employeur d’imposer aux employés l’obligation de dénoncer leurs collègues
L’arbitre Me Jean-Pierre Lussier a eu à se prononcer sur cette question dans l’affaire Shell Canada ltée et Travailleurs unis du pétrole du Canada, section locale 121 du SCEP (grief syndical), SOQUIJ AZ-50589632.
Il s’agissait d’un grief contestant une politique relative à l’alcool et aux drogues adoptée par l’employeur. Dans cette affaire, le syndicat conteste huit aspects de cette politique, dont notamment l'obligation pour certains salariés de se soumettre à un test de dépistage de drogues et d'alcool de façon périodique (tous les cinq ans) et l'obligation pour les salariés de dénoncer un collègue dont la consommation de drogues ou d'alcool met en danger la santé ou la sécurité du travail. Le syndicat prétend que la politique contrevient à la Charte des droits et libertés de la personne, notamment en portant atteinte de façon trop invasive à l'intégrité physique des employés et en violant de façon injustifiée leur droit à la vie privée. Il reproche aussi à l'employeur d'avoir, en matière de drogues et d'alcool, des exigences plus importantes à l'égard de ses salariés que celles qui sont imposées aux salariés des autres entrepreneurs travaillant sur les mêmes lieux de travail.
Après avoir fait état des six critères nécessaires pour qu'une politique unilatéralement imposée par l'employeur soit valide et avoir rappelé que la politique de l’employeur devait être analysée à la lumière du test établi par l’article 9.1 de la Charte des droits et libertés de la personne, Me Lussier s’est prononcé sur la question de savoir si l'employeur peut imposer aux salariés l'obligation de dénoncer un collègue dont la consommation de drogues ou d'alcool met en danger la santé ou la sécurité du travail. Il explique que, selon la jurisprudence arbitrale, l'obligation de dénonciation met en péril la sérénité du climat de travail et compromet la solidarité ayant cours dans un milieu syndiqué. Cependant, si on constate qu'un salarié qui occupe une fonction critique pour la sécurité et qui requiert un jugement sûr est dans un état d'intoxication, la règle du silence n'a pas sa place. Dans un tel cas, l'obligation de dénoncer la situation est raisonnable.
Enfin, l’arbitre conclut qu’il y a lieu de modifier le texte de la politique afin de s'assurer qu'un salarié ne soit pas retiré de son poste sur la base de simples « soupçons », mais plutôt lorsque le supérieur « a des raisons valables de croire qu'un employé n'a pas l'aptitude immédiate ». Il autorise l'employeur à imposer des tests de dépistage lorsqu'il constate que les actes, omissions ou décisions d’un salarié pourraient raisonnablement avoir contribué à causer tout autre incident important lié au travail.
Entente de dernière chance
Par ailleurs, l’arbitre accepte l'argument du syndicat selon lequel la réalisation d'une entente de dernière chance doit se faire avec sa collaboration. Selon lui, le syndicat a un rôle et un devoir de représentation à l'endroit de tous les salariés du service. Il est donc normal qu'il soit associé à tout programme de réadaptation devant conduire au retour au travail d'un salarié. Enfin, pour être conforme aux exigences de la Charte des droits et libertés de la personne, la politique doit préciser que le test de dépistage sera conduit de la façon la moins invasive possible compte tenu des circonstances.
Survol d’autres décisions en matière de dénonciation
Pour éclairer davantage la question, voici en vrac quelques autres décisions rendues dans le cadre d’un arbitrage de grief ou d’une plainte en vertu de la législation provinciale ou fédérale en matière de normes du travail.
- Une suspension de cinq jours ayant été imposée au plaignant (président du syndicat) pour avoir fait de fausses déclarations aux médias relativement au piètre état des autobus de l'employeur, un transporteur public, est confirmée (Lépine et Réseau de transport de la Capitale, SOQUIJ AZ-50330303).
- Une décision ayant conclu que les plaignants (des chauffeurs d'autobus et des membres du comité de direction du syndicat ayant distribué un tract concernant le nouveau plan de transport) avaient été suspendus sans cause juste et suffisante de leur poste est annulée, et les plaintes rejetées. Il a été établi que les erreurs commises par la CRT dans l'appréciation de la preuve ont entaché son raisonnement (Société de transport de Sherbrooke c. Commission des relations du travail [Poulin et Société de transport de Sherbrooke (STS)], SOQUIJ AZ-50538410).
- Selon une autre décision, le congédiement imposé à un représentant syndical en santé et sécurité du travail pour avoir accordé une entrevue à un journaliste au sujet de la présence d'amiante dans les édifices publics va à l'encontre de la protection prévue à la Charte des droits et libertés de la personne relativement à la liberté d'association et d'expression et heurte de plein fouet celle prévue par le législateur aux articles 15 et 17 C.tr. (Petitclerc c. Commission des relations du travail*, SOQUIJ AZ-50559682).
- Le fait d'afficher un communiqué dénonçant le congédiement d'un représentant syndical au service d'un autre employeur constitue l'exercice du droit d'association au sens de l'article 3 C.tr. ainsi que celui de sa liberté d'expression (Syndicat national catholique des employés des institutions religieuses de St-Hyacinthe et Soeurs de St-Joseph de St-Hyacinthe, maison-mère [grief syndical et Martine Brouillard], SOQUIJ AZ-50648075).
- Le congédiement d’un cuisinier et représentant syndical pour manquement à son obligation de loyauté est annulé; son rôle de délégué syndical lui permettait de se plaindre au conseil d'administration du comportement de la directrice de l'établissement ainsi que du non-respect de la convention collective (Tapp et Centre de la petite enfance [CPE] Le Petit Sentier, SOQUIJ AZ-50644944).
- Une décision établit que la plaignante n'a pas été congédiée à cause de ses fonctions de présidente du syndicat, mais bien parce qu'elle n'a pas respecté son obligation de loyauté en transmettant de l’information confidentielle à un journaliste (Bolduc et Collège de Montréal, SOQUIJ AZ-50618447).
- Le congédiement imposé à une secrétaire-comptable ayant dénoncé aux instances supérieures du syndicat employeur les malversations commises par ses supérieurs hiérarchiques est illégal, puisqu'il contrevient aux dispositions de l'article 74 de la Labour Standards Act (Saskatchewan) (Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d'armature, section locale 771, SOQUIJ AZ-50344103).
- Même si le plaignant (un débroussailleur forestier) bénéficie de la liberté d'expression, la campagne de presse et la menace d'un recours collectif contre l'employeur et ses donneurs d'ouvrage, le tout jumelé au cumul de plaintes manifestement non fondées, constituaient une cause juste et suffisante de congédiement (Mailloux et Outland Reforestation inc. [La Forêt de demain]*, SOQUIJ AZ-50369030).
- Le fait pour un policier de dénoncer une situation risquant de porter atteinte à la sécurité du public à un journaliste ne constitue pas nécessairement un manquement à son obligation de loyauté; cependant, il s'agit d'une violation de son serment de discrétion (Montréal [Ville de] et Fraternité des policières et policiers de Montréal inc. [Nataly Vachon], SOQUIJ AZ- 50377310).
- En matière de santé et de sécurité du travail, les règles concernant les dénonciations publiques (whistleblowing) ne doivent pas être appliquées de façon aussi rigoureuse que dans d'autres situations. En l'espèce, les enseignants qui ont facilité l'accès de journalistes et de caméramans à l'école afin de dénoncer un problème de moisissures ont toutefois utilisé leur liberté d'expression pour attaquer l'employeur, et les mesures imposées étaient justifiées (Syndicat de l'enseignement de l'Ouest de Montréal et Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys [griefs individuels, Ann Synnett et un autre], SOQUIJ AZ-50454011).
- Le plaignant (un chauffeur-formateur) était de bonne foi et sans malice lorsqu'il a dénoncé la gestion de l'employeur auprès du propriétaire du groupe d'entreprises duquel ce dernier fait partie; son congédiement est annulé (Prévost et Transport Rollex ltée, SOQUIJ AZ-50461439).
- Un enseignant ayant utilisé un langage méprisant envers des commissaires-parents dans une lettre qu'il a signée à titre de parent et qui a été publiée dans un journal a reçu une réprimande écrite; la liberté d'expression ne justifie pas l'usage d'un tel vocabulaire s'il a comme conséquence de ridiculiser volontairement et gratuitement des titulaires d'une fonction publique (Syndicat de l'enseignement des Vieilles-Forges [CSQ] et Commission scolaire du Chemin-du-Roy [Alain Villeneuve], SOQUIJ AZ-50461611).
- Accuser faussement la directrice d'un CPE d'avoir commis des gestes violents à l'endroit d'un enfant constitue une faute grave; le congédiement de la plaignante est confirmé (Centre de la petite enfance La Grosse Maison c. Commission des relations du travail [Boucher et Centre de la petite enfance La Grosse Maison]*, SOQUIJ AZ-50683347).
- L'obligation de dénoncer un employé ne va pas au-delà de celle de coopérer ou de participer à une enquête et elle n'est pas déraisonnable puisqu’elle vise les comportements susceptibles de constituer une faute disciplinaire ou de compromettre la sécurité du public et celle des intervenants (Association des pompières et pompiers de Gatineau et Gatineau [Ville de], [grief syndical], SOQUIJ AZ-50599520).
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Source : VigieRT, janvier 2011.