Vous lisez : Entrevues d’embauche : les pièges à éviter

Lors d’un processus de recrutement, il arrive fréquemment que l’employeur s’interroge sur la marge de manœuvre dont il dispose lorsqu’il rencontre des candidats ou lorsqu’il leur fait remplir des formulaires de demande d’emploi.

En effet, la Charte des droits et libertés de la personne prohibe, dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés de la personne, toutes formes de discrimination basée sur l’un ou l’autre des motifs qui y sont énumérés, limitant ainsi la latitude dont jouit l’employeur en ce qui concerne les renseignements qu’il souhaite obtenir d’un candidat.

Malgré cela, il est bien établi que les entrevues préalables à l’embauche sont tout à fait légitimes afin d’aider l’employeur à choisir des personnes compétentes pour pourvoir divers postes au sein de son entreprise. Toutefois, toutes les questions ne sont pas permises, et le Tribunal des droits de la personne vient tout juste de rendre une décision qui rappelle aux employeurs les conséquences pouvant découler de questions illicites (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systématix Technologies de l’information inc., 2010, QCTDP 18).

Les principes applicables
L’article 18.1 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte) circonscrit expressément la marge de manœuvre de l’employeur lors d’une entrevue d’embauche. En effet, cette disposition lui interdit de requérir d’une personne des renseignements concernant l’un ou l’autre des motifs de discrimination illicite visés par la Charte, que ce soit dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’un entretien de sélection. Ainsi, un employeur ne peut poser de questions portant sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation de moyens pour pallier ce handicap.

Toutefois, il y a trois situations dans lesquelles cette interdiction ne s’applique pas. D’abord, lorsque les renseignements demandés sont reliés aux aptitudes ou aux qualités requises dans l’exercice de l’emploi. Deuxièmement, s’ils sont justifiés par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique. Finalement, si les renseignements sont utiles à la mise en œuvre d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande. Si les deux dernières situations sont généralement claires, la première pose souvent problème, et c’est sur celle-ci que nous nous attarderons.

Ainsi, l’employeur peut interroger le candidat sur l’un des motifs de discrimination prévus à la Charte lorsque les réponses sont nécessaires pour évaluer si ce dernier a les aptitudes ou les qualités requises par l’emploi. Pour ce faire, il doit y avoir un lien objectif entre les questions et les exigences liées à la nature de l’emploi. Par exemple, il sera permis à un employeur de demander au candidat des renseignements sur ses connaissances d’une langue lorsque, pour occuper l’emploi pour lequel il postule, un niveau particulier de maîtrise est nécessaire. Et, sans surprise, le fardeau de démontrer ce lien en cas de contestation reviendra à l’employeur.

Il est également important d’accorder une attention particulière à la formulation des questions. En effet, il vaut mieux circonscrire la portée de celles-ci afin d’obtenir uniquement l’information nécessaire plutôt que de poser des questions à portée large et générale dont le lien avec les exigences de l’emploi serait plus ténu. Par exemple, l’employeur ne peut pas interroger le candidat sur son origine ethnique ou nationale lorsque ce qu’il veut réellement savoir, c’est si ce dernier a le droit de travailler au Canada. Ainsi, il devrait plutôt, dès le départ, préciser sa question et lui demander sans détour s’il peut travailler au Canada, de sorte que le lien objectif entre la qualité recherchée et la question soit beaucoup plus évident.

La majorité des décisions portant sur ce sujet découlent de griefs ou de plaintes concernant un refus d’embauche, un congédiement ou un refus de promotion. Ainsi, si une plainte est déposée à la Commission des droits de la personne pour un refus d’embauche discriminatoire, la présence de questions illicites lors de l’entrevue relative à un emploi sera un des éléments importants que la Commission considérera dans son enquête.

Par ailleurs, il est primordial de garder à l’esprit que le seul fait de poser une telle question constitue une infraction à la Charte et peut exposer la personne à une poursuite pénale, et ce, même en l’absence de plainte pour un refus d’embauche ou de promotion. Il faut noter également que certaines questions doivent être évitées dans un formulaire ou lors d’une entrevue, notamment celles portant sur l’état civil. Elles pourront toutefois être demandées après l’embauche pour des fins, entre autres, de fiscalité ou d’avantages sociaux.

La décision dans l’affaire Systématix
Le Tribunal des droits de la personne vient tout juste de rendre une décision à ce sujet. Dans cette affaire, le plaignant prétendait que son refus d’embauche découlait de questions en lien avec sa religion lui ayant été posées lors de son entrevue. Le Tribunal a rappelé que le fardeau de preuve du plaignant est d’établir l’existence d’un des motifs de discrimination prohibés par l’article 10 de la Charte et de démontrer que, dans le cadre de l’entrevue pour l’emploi, il a dû répondre à des questions sur un tel motif qui n’ont aucun lien avec ses compétences et qualifications pour l’emploi postulé.

Dans ce litige, le Tribunal a conclu que le plaignant a effectivement mis en preuve que lors de son entrevue d’embauche, des questions portant sur sa religion lui ont été posées. Pour le Tribunal, une telle preuve a suffi à établir l’atteinte aux droits protégés par l’article 18.1 de la Charte, et ce, même si l’employeur prétendait que ces questions avaient été posées par simple curiosité, pour casser la glace et pour détendre l’atmosphère. Le Tribunal a donc condamné l’employeur à payer la somme de 7 500 $ à titre de dommages moraux au plaignant. Fait intéressant, elle a ordonné également à l’employeur de se doter d’une politique antidiscrimination pour encadrer le processus de sélection, celle-ci devant être soumise à la Commission pour approbation.

Conclusion
Tout employeur et toute personne impliqués dans le processus d’embauche doivent se rappeler que certaines questions, voire certains sujets de discussion, sont, de prime abord, interdits par la Charte, et que des condamnations plutôt salées peuvent en résulter. Les questions portant sur l’un des motifs de discrimination interdite sont donc à éviter, à moins, entre autres, de pouvoir clairement établir un lien objectif et rationnel entre les questions posées et les aptitudes ou capacités requises.

Les entrevues d’embauche, bien que se voulant parfois décontractées et informelles, doivent néanmoins respecter ces règles. La prudence reste, par conséquent, toujours de mise.

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Source : VigieRT, mars 2011.

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