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L’employeur et le syndicat peuvent être tenus solidairement responsables des dommages moraux résultant d’une disposition discriminatoire contenue dans une convention collective

Le 3 décembre 2008, le Tribunal des droits de la personne rendait une décision sur la responsabilité solidaire de l’employeur et du syndicat en matière de discrimination découlant de l’application d’une convention collective[1]. La convention collective conclue entre l’employeur et le syndicat prévoyait que les pères adoptifs bénéficiaient d’un congé de paternité de 20 semaines rémunéré à 95 % de leur salaire, alors que les pères biologiques n’avaient droit qu’à un congé de paternité de cinq jours, dont trois payés. À la suite de la naissance de leur enfant, deux employés de la Société de transport de Montréal ont porté plainte à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse au motif qu’ils étaient victimes de discrimination. La Commission a intenté un recours contre l’employeur et le syndicat devant le Tribunal des droits de la personne.

Il est désormais établi que le Tribunal a compétence pour décider d'un litige découlant de la négociation ou de la formation d’une convention collective. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne sans distinction, exclusion ou préférence fondée notamment sur l’état civil. La filiation est incluse dans la notion d’état civil et tant l’employeur que le syndicat ont reconnu le caractère discriminatoire de la distinction entre les droits des pères adoptifs et ceux des pères biologiques contenue dans la convention collective. L’employeur a dédommagé les plaignants pour les dommages matériels qu’ils ont subis en raison de cette discrimination. Ceux-ci ont toutefois réclamé des dommages moraux. En conséquence, seule la question de la responsabilité respective de l’employeur et du syndicat en ce qui a trait à l’attribution de dommages moraux demeurait devant le Tribunal des droits de la personne.

Les dispositions d’une convention collective ne peuvent déroger aux protections contre la discrimination qui sont contenues dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[2], lesquelles se trouvent implicitement intégrées à la convention collective. La convention collective est le résultat d’une entente négociée entre l’employeur et le syndicat, qui sont tous deux responsables des dispositions discriminatoires qu’elle contient. La responsabilité du syndicat découle de son statut de représentant exclusif des salariés membres de l’unité de négociation. Il n’appartient pas au Tribunal de réexaminer l’ensemble des négociations pour déterminer qui de l’employeur ou du syndicat a insisté sur l’inclusion de la disposition discriminatoire dans la convention collective. Toutefois, la responsabilité du syndicat pourra être diminuée ou écartée s’il démontre une situation particulière, c’est-à-dire qu’il s’est opposé à la mesure discriminatoire de façon soutenue et sincère et qu’il a rencontré une résistance insurmontable de la part de l’employeur.

Dans les circonstances, le syndicat n’a pas eu ce fardeau de preuve. La distinction entre les pères adoptifs et les pères biologiques remontait à plus de dix-huit ans. Bien que le syndicat ait encouragé ses membres à porter plainte auprès de la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, cela ne suffit pas à le décharger de son devoir de juste représentation de ses membres et de la négociation de leurs conditions de travail. Le fait est que le syndicat a négocié à plusieurs reprises des conventions collectives contenant des dispositions discriminatoires. D’autre part, il est significatif que la convention collective 2004-2007, laquelle contenait les mêmes dispositions discriminatoires à l’égard des pères biologiques, ait été conclue après le dépôt des plaintes à la Commission. Finalement, bien que le syndicat ait argumenté qu’il avait obtenu des gains pour la majorité de ses membres, cela ne permet pas de justifier les dispositions discriminatoires à l’égard des pères biologiques.

Le syndicat et l’employeur ont été solidairement condamnés à verser des dommages moraux aux plaignants, soit 7500 $ pour l’un et 5000 $ pour l’autre. Le Tribunal a également ordonné à l’employeur et au syndicat de négocier un nouveau régime de congé parental non discriminatoire à l’intérieur d’un délai de trois mois.

Le 27 janvier 2009, la Cour d’appel a accueilli la requête du syndicat pour permission de faire appel du jugement du Tribunal[3]. Il fut déterminé que les questions qui seront soumises à la Cour d’appel seront les suivantes : Est-il exact que la logique de la protection de l’intérêt collectif ne permet désormais plus au syndicat de justifier, sur le plan de sa responsabilité civile, la discrimination exercée à l’égard d’une partie de ses membres par les gains obtenus pour l’ensemble des salariés? Dans l’affirmative, cela équivaut-il à imposer une obligation de résultat au syndicat en ce qui a trait à l’absence de toute disposition discriminatoire dans la convention collective? En l’espèce, la responsabilité du syndicat est-elle engagée à l’égard des dommages moraux à être versés aux plaignants?

En résumé, à la suite de cette décision, il est démontré que tant l’employeur que le syndicat pourront être tenus responsables des dommages moraux résultant d’une disposition discriminatoire contenue dans une convention collective, et ce, à moins que le syndicat démontre une situation particulière. Il sera toutefois intéressant de prendre connaissance des décisions rendues par la Cour d’appel au sujet des questions qui lui ont été soumises par le syndicat.

Michel Towner, CRIA, avocat du cabinet Fraser, Milner, Casgrain

Source : VigieRT, numéro 36, mars 2009.


1 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Société de transport de Montréal, D.T.E. 2009T-29 (T.D.P.Q.). Requête pour permission d’appeler, 2008-12-23 (C.A.), 500-09-019252-089.
2 L.R.Q., c. C-12.
3 D.T.E. 2009T-109 (C.A.).
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