Vous lisez : Obligation d’accommodement et arrêt Gobeil
Le plaignant travaille comme enseignant à forfait dans un cégep depuis l’hiver 2007. Il n’a donc pas le statut d’enseignant permanent. Durant la session d’hiver 2008, le plaignant obtient deux contrats d’enseignement. Le 29 avril 2008, il commence une période d’invalidité. Le cégep lui verse donc des prestations d’assurance-traitement jusqu’à la fin de son contrat, le 13 juin 2008.

Mise en contexte

Le cégep transmet donc une lettre au plaignant l’avisant que la charge d’enseignement lui sera réservée jusqu’au moment où il redeviendra apte à travailler, conformément aux dispositions de la convention collective. Suivant cette décision, le plaignant n’obtient donc pas la charge d’enseignement qui lui avait été offerte et, par le fait même, ne bénéficie pas de prestations d’assurance-salaire de la part du cégep durant son invalidité.

Il a été mis en preuve à l’audience du grief que si le plaignant n’avait pas été malade, le cégep lui aurait octroyé trois autres charges d’enseignement pendant sa période d’invalidité. En effet et dans les faits, le plaignant a été déclaré apte à travailler à partir d’août 2009.

Le syndicat dépose alors un grief afin de contester la décision du cégep de refuser le versement des prestations d’assurance-salaire au plaignant et de réclamer l’octroi de contrats d’enseignement au plaignant, pour les trois sessions suivantes.

Selon l’arbitre saisi du grief, le refus d’octroyer un contrat d’enseignement au plaignant au motif qu’il était inapte à travailler constitue l’exercice de mesures discriminatoires à son endroit. Cependant, il poursuit l’analyse du grief en s’estimant d’avis que « l’obligation d’octroyer un contrat de travail à un salarié incapable de fournir une prestation de travail (comme l’était le cas en l’espèce) dénature l’essence du contrat de travail », et que « cela constitue une contrainte excessive » pour l’employeur. L’arbitre reconnaît donc, dans ce contexte, que la décision du cégep n’était pas discriminatoire et rejette le grief.

Le syndicat décide alors de demander la révision judiciaire en Cour supérieure de cette sentence arbitrale.

Questions en litige en révision judiciaire
L'arbitre a-t-il erré en établissant que le refus du cégep d'octroyer un contrat d'enseignement en raison de l’inaptitude de l’enseignant à fournir une prestation de travail pendant une période donnée est une exigence professionnelle justifiée au sens de l'article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne?

L'arbitre a-t-il interprété la convention collective d'une manière déraisonnable en décidant que le plaignant n'avait pas le droit d'obtenir un contrat et de bénéficier ainsi de l'assurance-salaire?

Prétentions du syndicat
Le syndicat a plaidé que l'arbitre a erré dans l’évaluation de l'obligation d'accommodement raisonnable incombant au cégep en vertu de la Charte. Il a prétendu que l'arbitre aurait dû conclure que la discrimination dont le plaignant a été victime en raison de son handicap était de la discrimination par effet préjudiciable et que le droit à la pleine égalité dans l'exercice de sa priorité d'emploi a été violé.

De l’avis du syndicat, l'arbitre aurait dû reconnaître que l'obligation d'accommodement raisonnable du cégep consistait à mettre un terme à la discrimination dont le plaignant avait été victime en lui octroyant un contrat, et ce, dans le but de respecter son droit à la pleine égalité dans l'exercice de sa priorité d'emploi malgré son incapacité à accomplir sa prestation de travail.

Au surplus, le syndicat a argumenté que le cégep n’a présenté aucune preuve de contraintes excessives.

Décision de la Cour supérieure
Le Tribunal ne retient pas les prétentions du syndicat. Il mentionne que ce que le syndicat demande, « c'est non pas un accommodement, mais plutôt une indemnisation pour une incapacité de travailler. »

Il indique que l’objectif de l'obligation d'accommodement raisonnable est d'obliger l'employeur à adapter les conditions de travail de l'employé afin de lui permettre de fournir une prestation de travail, sans contraintes excessives pour l’employeur.

Or, citant l’arrêt Hydro Québec rendu par la Cour suprême en 2008, la Cour supérieure retient que « l'obligation d'accommodement n'a cependant pas pour objet de dénaturer l'essence du contrat de travail, soit l'obligation de l'employé de fournir, contre rémunération, une prestation de travail. »

Selon la preuve, le plaignant était totalement incapable de fournir une prestation de travail pendant l’ensemble de la session d’enseignement. Par conséquent, de l’avis du Tribunal :

« On ne peut imposer une obligation d'accommoder (CÉGEP) ce qui n'est pas accommodable. »

La Cour supérieure est au surplus d’avis que le cégep n’avait aucune obligation de présenter une preuve élaborée pour démontrer que l'accommodement demandé lui imposerait une contrainte excessive, à partir du moment où il avait été démontré que le plaignant était incapable de fournir toute prestation de travail.

Finalement, la Cour supérieure écarte l’arrêt Gobeil, dans lequel la Cour d’appel avait statué que des enseignantes en congé de maternité avaient été victimes de discrimination par effet préjudiciable au sens de la Charte, car l'employeur avait refusé de leur permettre d'obtenir un contrat d'enseignement en raison de leur non-disponibilité.

En l’espèce, la Cour supérieure justifie de ne pas appliquer l’affaire Gobeil au motif que depuis cet arrêt, elle aurait établi dans Hydro-Québec que l'obligation d'accommodement raisonnable, dans un contexte où la capacité de travailler d'un employé est en cause, consiste à obliger un employeur à adapter les conditions de travail afin de lui permettre de fournir une prestation de travail.

Or, la Cour supérieure est d’avis qu’il n’y a aucune façon d’adapter les conditions de travail du plaignant puisque ce dernier ne pouvait fournir aucune prestation de travail pendant les sessions concernées.

Conclusion
Ainsi, la Cour supérieure ne s’estime pas liée par les enseignements contenus dans l’arrêt Gobeil et elle refuse de les appliquer à la situation d’un employé non disponible en raison d’une maladie.

Bien que les faits à la base du dossier soient légèrement différents sur la cause de la non-disponibilité du travailleur (maladie vs congé de maternité), les principes à l’étude en matière de la Charte peuvent cependant apparaître être les mêmes.

Ainsi, dans l’arrêt Gobeil, la Cour d’appel écrivait, à propos de la portée de l’obligation d’accommodement dans de telles situations, que :

« Une règle qui a pour effet de priver du droit à l'embauche des femmes enceintes qui autrement y auraient accès viole nécessairement le droit à la pleine égalité. La distinction que crée la clause de disponibilité naît du fait que l'accouchement et le congé de maternité empêchent des femmes d'obtenir le contrat auquel elles auraient eu droit.

Quant à l'obligation d'accommodement, je suis d'opinion que l'employeur capable de fournir des congés de maternité rémunérés à ses employées peut en faire de même avec celles nouvellement engagées sans qu'il y ait de contrainte excessive. »

Ainsi, dans l’arrêt Hydro-Québec, la Cour suprême juge que la contrainte excessive ne réfère pas à l’impossibilité pour un employeur de composer avec les caractéristiques d’un employé, ni à l’incapacité totale de celui-ci de fournir toute prestation de travail dans un avenir prévisible.

Selon la Cour suprême, lorsque les caractéristiques d’une maladie sont telles que la bonne marche de l’entreprise est entravée de façon excessive ou lorsque l’employeur a tenté de trouver des mesures d’accommodement pour l’employé qui demeure néanmoins incapable de fournir une prestation de travail dans un avenir raisonnablement prévisible, on pourra considérer que l’employeur a rencontré son fardeau d’établir qu’il ne peut accommoder son employé sans subir une contrainte excessive.

Dans le présent dossier, ni l’arbitre, ni la Cour supérieure n’ont jugé opportun de traiter de la question de la capacité d’un employé de fournir une prestation de travail « dans un avenir raisonnablement prévisible. » Pour eux, le fait que le plaignant était, au moment de lui offrir la charge d’enseignement, incapable de fournir une prestation de travail était suffisant pour conclure à la contrainte excessive de l’employeur, sans preuve supplémentaire à devoir être présentée par le cégep.

Bien que le fardeau imposé aux employeurs en ce qui concerne la démonstration qu’ils doivent faire d’une contrainte excessive soit très important, les décisions rendues respectivement par l’arbitre et la Cour supérieure dans le présent dossier s’éloignent des principes reconnus par les tribunaux supérieurs.

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Source : VigieRT, mai 2011.

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