Les modes alternatifs de règlement des conflits gagnent en popularité, et de plus en plus de litiges se règlent en conciliation. En effet, il s’agit souvent d’une solution moins coûteuse pour les parties où toutes y trouvent leur compte. L’article 1 du nouveau Code de procédure civile, adopté depuis janvier 2016, oblige d’ailleurs les parties à considérer la possibilité de recourir aux modes alternatifs de règlement des litiges avant de s’adresser aux tribunaux civils. Cela inclut la médiation, la conciliation ou même l’arbitrage consensuel.
Bien que les règles de procédures civiles ne soient pas intégralement transposables en droit du travail, elles servent souvent de lignes directrices pour les tribunaux administratifs. Si le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges n’est pas obligatoire en droit administratif, plus particulièrement en droit du travail, il fait tout de même partie de la philosophie de la pratique dans ce domaine de droit. En effet, pensons notamment au recours à la médiation à l’ancienne Commission des normes du travail[1], à la conciliation à l’ancienne Commission des lésions professionnelles[2] et à la Commission des relations du travail[3], ou encore aux conciliations et à l’arbitrage en matière de négociation de convention collective. Le monde du droit du travail regorge d’exemples de recours aux modes alternatifs de règlement des litiges.
L’ensemble des modes alternatifs précédemment nommés émane de dispositions législatives. L’arbitrage de griefs, prévu aux conventions collectives et au Code du travail, ne prévoit pas quant à lui de modalités spécifiques de recours à des modes de conciliation ou de médiation, à moins de dispositions particulières dans les conventions collectives. Or, il n’est pas rare que des griefs se règlent par entente entre les parties. De manière générale, le règlement survient après des discussions entre l’employeur et le syndicat ou par l’entremise de leur représentant respectif.
Cependant, dans le cadre de dossiers plus complexes, il peut être utile, voire favorable, qu’un tiers intervienne pour aider les parties à arriver à une entente. Ainsi, certains arbitres vont offrir aux parties la possibilité de siéger comme médiateur avant d’entendre la cause en arbitrage, mais en conservant toutefois leur compétence pour entendre le dossier en cas d’échec à la médiation. Il porte alors deux chapeaux, celui de médiateur et, en cas d’échec de la médiation, celui de décideur (arbitre). Est-ce que le fait qu’une seule et même personne porte ces deux chapeaux a nécessairement pour effet d’invalider la sentence arbitrale rendue par ce décideur? C’est la question à laquelle a répondu l’honorable juge de la Cour supérieure dans l’affaire Miranda c. CSSS de la Montagne[4].
Cette décision récente est très intéressante dans le contexte où les modes alternatifs de règlement des litiges sont fortement mis de l’avant par la communauté juridique. Il est en effet utile de savoir si un arbitre choisi par les parties peut siéger tant comme médiateur que comme arbitre dans un seul et même litige.
Dans cette affaire, la requérante demandait la nullité de la sentence arbitrale par laquelle l’arbitre avait rejeté plusieurs griefs, dont un contestant son congédiement. L’historique de l’affaire peut se résumer comme suit. Lors de la première journée d’audience, les parties ont convenu que l’arbitre tiendrait une séance de médiation afin de trouver un règlement pour les différents litiges lui étant soumis. Il semble qu’au courant du processus de médiation, une entente soit intervenue, mais qu’ultérieurement, la plaignante ait retiré son consentement. Quoi qu’il en soit, constatant l’échec de la médiation, les parties ont procédé à l’arbitrage des griefs devant le même arbitre, et ce, après que tous aient donné leur consentement. Après 10 jours d’audience s’étalant sur deux ans, l’arbitre a rendu une décision rejetant les griefs de la plaignante et confirmant son congédiement.
Insatisfaite de cette décision, la plaignante a pris action et demandé la nullité de la sentence arbitrale au motif que l’arbitre ne pouvait à la fois être médiateur et arbitre en invoquant, notamment, le manque de partialité de celui-ci.
La première question à laquelle le juge de la Cour supérieure était appelé à répondre a été : l’arbitre devait-il se récuser après avoir présidé sans succès la séance de médiation? Après analyse du droit et des arguments des parties, le juge a répondu à cette question par la négative. En effet, selon ce dernier, si le principe du consensualisme est respecté, il n’y a aucun problème à ce qu’une même personne agisse comme médiateur et arbitre dans le même dossier.
Le principe du consensualisme est à la base même du processus de médiation et de l’arbitrage. Pour qu’un processus de médiation soit fructueux, il faut que les parties aient la pleine liberté des modalités entourant le déroulement de la médiation. Ce principe trouve également son application en matière d’arbitrage de griefs. En effet, dans ce domaine, de manière générale, les parties sont maîtres de choisir qui présidera l’audience et sont donc également maîtres de convenir, de manière consensuelle, que cette personne tiendra une séance de médiation avant l’arbitrage. D’ailleurs, comme le rappelle le juge, aucune règle de droit ne prohibe cette façon de procéder.
Il faut toutefois être prudent. Lorsqu’un arbitre siège d’abord comme médiateur, il ne fait aucun doute que ce denier peut avoir été mis au courant de renseignements confidentiels dont il n’aurait pas eu connaissance, n’eût été le processus de médiation. De plus, en côtoyant les parties dans le cadre de ce processus, l’arbitre peut se faire des idées quant aux parties elles-mêmes et au litige. Le principe d’impartialité des tribunaux, conféré par la Charte[5], n’est toutefois pas brimé pour autant.
Malgré la présence de ces risques, le juge a conclu que les parties sont libres d’accepter ou non qu’un arbitre agisse d’abord comme médiateur dans le cadre d’un litige. Conséquemment, tant et aussi longtemps que les parties acceptent que l’arbitre qu’elles ont choisi (ou qui a été nommé par le ministère) agisse tant comme médiateur que comme arbitre, il n’y a aucune raison de conclure qu’il serait illégal de procéder ainsi. Le juge souligne toutefois qu’après le déroulement de la médiation ou même au courant du processus d’arbitrage, une partie pourrait demander la récusation de l’arbitre si elle estimait que le processus décisionnel pourrait être entaché.
Dans l’affaire Miranda, la requérante affirmait notamment que l’arbitre avait fait preuve de partialité lors du processus d’arbitrage. Elle parlait notamment des soupirs de celui-ci durant la présentation de la preuve, des conversations entre l’arbitre et le procureur patronal, ou encore de l’insistance de l’arbitre pour qu’elle réponde aux questions du représentant de l’employeur. À cet égard, le juge a rappelé que la Charte garantit un droit à chacun à un procès impartial par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé[6]. Il précise qu’au-delà du fait que le décideur doit être impartial, il doit paraître impartial. Ainsi, pour juger du caractère impartial d’un décideur, il faut prendre en considération l’ensemble de la conduite de l’arbitre et non évaluer chacun des éléments isolément.
En l’espèce, après avoir entendu la preuve, le juge a conclu que l’arbitre n’avait pas été partial pendant l’arbitrage et que les conclusions de la plaignante relevaient davantage de fausses impressions de sa part.
Bien que cette décision confirme une pratique depuis longtemps établie en droit du travail, elle nous amène toutefois à réfléchir sur les actions des parties lors d’une audience suivant un processus de médiation. En effet, lorsqu’une médiation a précédé la tenue d’un arbitrage, des précautions seront peut-être à envisager pour assurer le caractère impartial de l’audience et qu’aucune contestation ne naîtra à la suite d’un tel processus. Par exemple, un engagement écrit des parties manifestant leur accord à ce que l’arbitre siège tant comme médiateur que comme arbitre pourrait être très utile.
Source : VigieRT, mai 2016.
1 | Depuis le 1er janvier 2016, la Commission des normes, de l’équité et de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST »). |
2 | Depuis le 1er janvier 2016, le Tribunal administratif du travail division de la santé et de la sécurité du travail. |
3 | Depuis le 1er janvier 2016, le Tribunal administratif du travail division des relations du travail. |
4 | Miranda c. CSSS de la Montagne, 2016 QCCS 963, Christian J. Brossard, j.c.s. |
5 | Article 23 Charte des droits et libertés de la personne |
6 | Id. |