Vous lisez : Discrimination chez Gaz Métropolitain?

Drôle de manière, penserez-vous, pour une arbitre de griefs que celle de commencer une chronique sur l'arbitrage par l'examen d'une récente décision[1] rendue par le Tribunal des droits de la personne du Québec!

Mais voici que l'affaire Gaz Métropolitain ne cesse de défrayer les manchettes. Encore ce matin[2], nous apprenions que Gaz Métro et sa société en commandite viennent de décider de porter en appel[3] ce jugement qui a été rendu le 11 septembre 2008.

Conséquemment, nous n’entendons pas nous prononcer sur le bien-fondé ou non de cette décision qui a accueilli en partie la plainte pour discrimination systémique à l'embauche fondée sur le sexe[4] soumise le 18 décembre 1996 par l'organisme Action travail des femmes et portée devant le Tribunal des droits de la personne, le 16 décembre 2003, par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. Cette plainte a été déposée pour et au nom de sept candidates de sexe féminin qui se disent victimes de discrimination par les pratiques d'embauche de Gaz Métropolitain, au poste de préposé réseau, soit un poste d'entrée dans la catégorie des emplois manuels et non traditionnels pour les femmes, le tout lors de concours spéciaux tenus à compter de 1995.

Nous voulons plutôt porter à votre attention les éléments de preuve que ce Tribunal a pris en considération, pour ordonner des mesures de réparation, dont 220 000 $ en dommages matériels (60 000 $), moraux (105 000 $) et punitifs (55 000 $), des réintégrations, un programme d'accès à l'égalité (en 3 mois et à 40 %), des modifications au processus de sélection, une formation obligatoire en discrimination systémique et un comité mixte.

Commençons donc par l'examen de certaines des exigences, chacun de ces éléments de preuve ayant été jugés de la sorte par le Tribunal des droits de la personne :

  • Détenir un permis de conduire, classe 3, avant l'embauche, pour conduire un camion avec 2 essieux et plus, d’une masse supérieure à 4500 kilogrammes

    Quoique la preuve offerte n'ait pas permis de savoir si la candidature des 7 victimes avait ou non été rejetée en fonction de cette première exigence, le Tribunal a d'abord jugé que cette norme, bien que « neutre en apparence », exclut « de manière disproportionnée » les femmes, le bassin de détentrices d’un permis de conduire de classe 3 étant plutôt restreint, et n'est pas non plus justifiée par les exigences du poste selon l'article 20 de la Charte québécoise[5].

    Le Tribunal a ensuite décidé, à la lumière du test élaboré par la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Meiorin[6], que le seul fait pour Gaz Métro d'avoir consenti que les candidates ne détiennent pas un tel permis de conduire au moment de leur candidature, mais bien seulement lors de leur embauche, ne constitue pas un « accommodement raisonnable ».
     
  • Détenir un diplôme de secondaire V

    Bien que cette deuxième exigence n’ait pas été contestée, toutes les victimes possédant un tel diplôme d'études, le Tribunal a néanmoins jugé que cette exigence « pose potentiellement un problème », en raison du fait que certains aspects du test théorique visaient à évaluer des connaissances de base de niveau supérieur à celui du niveau secondaire V.
     
  • Avoir une expérience non traditionnelle, par exemple avoir déjà travaillé dans des chantiers de construction, sur des chaînes de montage, sur une ferme, etc.

    D’une part, cette troisième exigence a été jugée comme étant « indéniablement un élément discriminatoire fondé sur le sexe », les hommes ne se voyant pas imposer cette mesure supplémentaire afin de vérifier leur motivation réelle pour le poste de préposé réseau.

    D'autre part, « prise isolément », cette exigence n'est pas rationnellement liée à l'objectif de Gaz Métro de recruter davantage de femmes à ce poste comportant déjà une importante sous-représentation féminine, une seule femme ayant occupé le poste de préposé réseau, de 1992 à 1995.

Examinons ensuite les principales étapes du processus de sélection, que le Tribunal des droits de la personne a ainsi jugées une à une.

  • L'absence de description du poste de préposé réseau

    Aucune description formelle n'existant à l'époque, le Tribunal a soulevé « certains doutes » quant aux étapes suivantes du processus de sélection.
     
  • Les séances d'information, tenues en 1995, mais abandonnées en 1996

    La preuve a révélé que le formateur de l'époque avait fait des commentaires qui, « pris isolément, peuvent sembler bénins », mais qui, dans le contexte, ont « indéniablement » été susceptibles de « décourager » les femmes de soumettre leur candidature.

    Par exemple, ce formateur a mentionné à la blague que les femmes n'avaient que leurs « bobettes » à apporter et que tout le reste était fourni par l'entreprise. Il en a profité pour les mettre en garde de ne pas s'attendre à avoir de passe-droit parce qu'elles sont des femmes. Outre la vidéo de présentation qui parle de « nous les gars », ce même formateur a prévenu qu'il y aurait au travail des blagues « de gars », puisque même le patron en fait!
     
  • L'entrevue préalable, incluant son déroulement, les outils d'entrevue, etc.

    Pour le concours spécial en 1995, l'entrevue a été exceptionnellement tenue préalablement aux tests, et non administrée à la fin du processus de sélection comme c'est normalement le cas, et ce, pour les femmes seulement.

    Qui plus est, ce ne sont pas toutes les candidates qui ont été rencontrées en entrevue avant de se présenter aux tests en 1995, de noter aussi ce Tribunal, certaines entrevues ayant même été effectuées au téléphone par une agence.

    Quant aux outils d'entrevue, on a utilisé la même grille d'entrevue qui avait été employée « invariablement depuis 1992 », à l'exception de l’ajout d'une seule question sur l'intégration des femmes. Il n'y a pas toujours eu prise de notes lors des entrevues ou la prise de notes s'est faite en différé. Enfin, l’absence de grille a rendu l'évaluation « trop subjective et imprécise », de l’avis des experts entendus en matière de dotation de postes.

    Une première sélection a été effectuée à partir des curriculum vitæ et, en l'absence d'expérience non traditionnelle, la candidature était retirée du processus. Lors de l'entrevue, l'expérience non traditionnelle des femmes a été évaluée « de façon subjective et restrictive », l'insuffisance ou sa non-pertinence constituant un motif pour refuser l'accès aux tests, sur la simple base d’une « hésitation sur le profil ».

    Enfin, l'exigence d'avoir une expérience non traditionnelle ainsi que l'ajout de la question sur la capacité d'intégration des femmes ont été jugées par le Tribunal comme ayant « un effet discriminatoire », puisqu’elles s’adressaient uniquement aux femmes.
     
  • Le test théorique qui, de l'avis du Tribunal des droits de la personne du Québec, a eu en l'espèce « un effet discriminatoire pour les femmes »

    Ce test a été confectionné en 1992, à partir de questions utilisées chez Gaz Métro depuis 1982, soit alors que le poste en cause était occupé à 100 % par des hommes! Qui plus est, ce test n’a jamais été soumis à des experts, à l'externe, pour une « validation critériée ».

    Enfin, 15 % des questions provenaient d'un test d'aptitudes mécaniques, appelé « test Bennett » qui, déjà en 1984, avait été écarté par le Tribunal canadien des droits de la personne[7], dans sa décision Action travail des femmes, subséquemment confirmée, soit en 1987, par la Cour suprême du Canada[8], au motif que ce test est « nettement désavantageux » pour les femmes.

    Au total, cinq des sept victimes en cause se sont rendues à cette étape du processus de sélection. Johanne Bolduc a réussi le test théorique seulement à sa troisième tentative.

    Quant à Nicole Trudel, qui détient un DEP en conduite de camions lourds et qui a suivi des cours de mécanique, elle a échoué à deux reprises.

    Pour sa part, Tania Plourde possède une formation en montage de lignes électriques, mais a aussi échoué lamentablement. De plus, Gaz Métro lui a refusé la possibilité de repasser le test écrit, malgré qu'elle ait expressément suivi son conseil de s'inscrire à des cours de mathématiques et de physique, afin d'augmenter ses chances de réussite la fois suivante.

    Shirley Thomas détient un DEC en pétrochimie, a essayé et réessayé le test écrit en 1995, a obtenu la note de passage en 1996, mais a dû refaire le test théorique, étant donné qu'elle avait raté le test pratique, échouant fatalement à cette troisième et dernière tentative en 1997.

    Marie-Claude Côté a une formation en montage de lignes électriques et, selon Gaz Métro, elle a « le profil idéal ». Mais voici qu’elle a échoué en 1995, a également suivi des cours d'appoint en mathématiques et en physique, après quoi elle a échoué le test écrit en 1996, pour finalement le réussir en 1997, lors de sa troisième tentative.
     
  • Le test de pratique qui exclut toute « mesure d'accommodement »

    Encore là, le test pratique remonte « à la nuit des temps », soit à 1981!

    À l'instar du test théorique, ce test permettant de vérifier des compétences en électricité et mécanique ainsi que la capacité d'effectuer des travaux requérant une certaine forme physique n'a jamais été soumis à une validation externe et ne tient pas non plus compte des conséquences découlant des différences anatomiques évidentes entre les hommes et les femmes.

    Enfin, ce test pratique n'a pas été modifié pour la tenue du concours spécial en 1995, soit après la signature d’une Lettre d'entente conclue entre Gaz Métro et le Syndicat CSN, afin de permettre aux femmes et aux minorités visibles d'accéder de façon préférentielle aux postes de préposé réseau en cause.

    En 1997, Johanne Bolduc a tenté sa chance au test pratique, mais sans succès, ne sachant pas que sa lenteur lui nuisait.

    Quant à Shirley Thomas, c'est en 1996 qu'on lui a fait subir le mauvais test, soit plutôt celui de préposé service, s’étant vu interdire l'usage de ses propres gants et de son ruban à mesurer, ayant eu à utiliser des clés « anormalement graisseuses » et ayant dû assembler des tuyaux « à quatre pattes à terre ».

    Enfin, Marie-Claude Côté est la seule des sept victimes à avoir réussi l'examen pratique en 1997, et ce, à seulement 60,4 %.
     
  • L'examen médical et la discrimination subséquente, au motif de grossesse

    Seule Mme Côté est parvenue, après plusieurs essais, à cette ultime étape.

    Étant alors enceinte de 21 semaines, le médecin l’a déclarée apte au travail, mais avec certaines restrictions physiques qui correspondent à une grossesse, le rapport médical n'en faisant cependant pas explicitement mention.

    Peu après, elle a appris que sa candidature n'a finalement pas été retenue.

En conclusion, nous espérons qu'après la lecture de ce résumé de la décision de 173 pages rendue par le Tribunal des droits de la personne le 11 septembre 2008, vous serez plus en mesure de prendre, dans votre entreprise, les mesures nécessaires pour prévenir, voire enrayer les possibles plaintes de discrimination à l'embauche.

Diane Sabourin, CRIA, avocate et arbitre[*]

Source : VigieRT, numéro 31, octobre 2008.


* Me Diane Sabourin, CRIA, est arbitre et formatrice à plein temps, depuis 1984. Au fil de ses 24 années de pratique comme arbitre de griefs en droit du travail, elle a donné plusieurs conférences, cours et séminaires sur des sujets reliés au droit du travail. Depuis l’an 2000, elle enseigne l’arbitrage comme chargée de cours dans le cadre du programme de 2e cycle « Prévention et règlement de différends » de l’Université de Sherbrooke (campus Longueuil).
1 Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain Inc. et al, madame la juge Michèle Rivet du Tribunal des droits de la personne du Québec, avec l'assistance des assesseures Me Yeong-Gin et Mme Ginette Bouffard, 11 septembre 2008, #500-53-000204-030. Ce jugement compte au total 173 pages et offre une table des matières.
2 Vigiexpress, mercredi 15 octobre 2008, ORHRI.
3 Cour d'appel du Québec, district de Montréal, C.A.M #500-09-019077080. Pour en appeler de cette décision du Tribunal des droits de la personne du Québec, il faut en effet une permission d'appeler qui est accordée par la Cour d'appel du Québec (article 132 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, (L.R.Q., c. C-12)), car autrement cette décision devient exécutoire comme un jugement de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure (article 130 de cette même Charte québécoise).
4 Le tout contrairement à la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, notamment aux articles 10 (interdiction de discrimination fondée sur le sexe), 16 (non-discrimination dans l'embauche) et 86 (programmes d'accès à l'égalité).
5 Cet article prévoit qu'une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi peut être réputée non discriminatoire.
6 Colombie Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 536, mieux connu comme étant l'arrêt Meiorin.
7 Action travail des femmes c. Canadien national, (1984) 5 C.H.R.R. D/2327 (Tribunal canadien).
8 Ibid, mais cette fois-ci au niveau de la Cour suprême du Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114.
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