À l’ère de la technologie, les médias sociaux ont connu une prolifération fulgurante à l’échelle mondiale. Il va sans dire que ces derniers ont eu de nombreuses répercussions sur les interactions et les moyens de communication entre les individus, modifiant inéluctablement les rapports politiques, sociaux et commerciaux. Évidemment, le domaine de l’emploi n’y échappe pas.
Bien que les réseaux sociaux ne fassent pas l’unanimité, une large majorité de la population québécoise est tout de même membre de Facebook et l’utilise quotidiennement, sans compter tous les autres médias sociaux existants. Les travailleuses et les travailleurs représentent une fraction importante des utilisateurs de médias sociaux. Ils ne semblent cependant pas toujours au fait que ce qu’ils publient sur les réseaux sociaux ne relève pas nécessairement de leur vie privée. Il convient de rappeler le vieux dicton : « Les écrits restent, les paroles s’envolent. » Tout ce qui est diffusé sur un profil Facebook est susceptible d’être lu et partagé par de nombreuses personnes, autres que le public visé initialement.
Les paramètres de confidentialité d’un compte Facebook n’incarnent qu’un leurre pour leurs utilisatrices et utilisateurs qui croient leur droit à la vie privée protégé. Le courant jurisprudentiel majoritaire a largement établi que ces paramètres leur laissent une fausse impression quant au contrôle de l’accessibilité de leurs informations personnelles, d’où la pensée collective que Facebook présente un caractère bénin.
Qu’est-ce que la diffamation?
Dans un premier temps, il convient de rappeler que le législateur n’a pas défini ce qu’était une atteinte à la réputation résultant de la diffamation, reléguant cette lourde tâche aux tribunaux.
Dès l’entrée en vigueur du nouveau Code civil du Québec (le Code civil), la Cour d’appel du Québec s’est prononcée, indiquant que « la diffamation consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables[1] ».
D’autre part, la Cour suprême du Canada, quant à elle, nous enseigne dans Prud’homme c. Prud’homme[2] que « la nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective. En d’autres mots, on doit se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. Il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. »
Ce même arrêt traite également de la faute civile en matière de diffamation, laquelle peut relever d’une intention malveillante ou d’une simple négligence de la part de son auteure ou auteur. Par conséquent, il peut y avoir diffamation tant dans une situation où les propos communiqués sont faux et que la personne qui en est l’auteure le sait ou devrait le savoir, mais également lorsque les propos sont vrais alors qu’aucun motif valable n’existait pour en justifier la diffusion.
Pour qu’un tribunal parvienne à la conclusion qu’il y a bel et bien eu diffamation, il faut impérativement qu’il y ait eu diffusion. Ainsi, les propos doivent avoir été portés à la connaissance d’une personne autre que l’auteure ou l’auteur et de la personne qui en est victime.
Quels sont les droits et les obligations en jeu en matière de diffamation au travail?
Premièrement, la diffamation met en jeu le droit à la vie privée, protégé à l’article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (la Charte), en plus des articles 3, 35 et 36 du Code civil. Le droit à la vie privée couvre un nombre important de situations, notamment, le droit à l’image, à l’autonomie, à l’anonymat et bien plus.
De surcroît, la liberté d’expression consacrée à l’article 3 de la Charte revêt une grande importance pour toute société démocratique. Or, elle ne présente pas un caractère illimité. Évidemment, la diffusion d’opinions peut provoquer une situation conflictuelle en raison de son opposition avec d’autres droits ou devoirs d’une personne, notamment à l’obligation de loyauté des salariés envers leur employeur.
Principe bien ancré au sein des tribunaux, la liberté d’expression ne permet en aucune situation de diffamer quiconque. Conséquemment, il n’est pas possible d’exercer son droit à la liberté d’expression de manière à porter atteinte aux libertés et droits fondamentaux d’une autre personne.
Plus particulièrement en matière d’emploi, il est aussi établi par la jurisprudence que le droit à la liberté d’expression des salariés est limité par leur devoir de loyauté envers leur employeur prévu à l’article 2088 du Code civil.
L’admission en preuve et les conséquences
De prime abord, il est primordial d’être en mesure d’identifier la personne derrière la publication fautive puisqu’une communication électronique ne peut être admise en preuve à titre de témoignage ou d’aveu extrajudiciaire contre son auteure ou auteur que si on est en mesure d’établir que ce document en émane[3]. Au surplus, mentionnons que si une communication électronique est obtenue en violation des droits d’une personne, elle ne sera admissible que si elle n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice[4].
Le Tribunal administratif du travail a eu l’occasion de se prononcer sur la question d’un employeur qui avait utilisé un subterfuge pour accéder à la page Facebook de l’une de ses employées. Considérant que les informations recueillies n’étaient accessibles que par l’entremise d’un membre du réseau d’amis de la travailleuse, le tribunal a considéré que l’employeur se devait de présenter des motifs justifiant l’obtention d’une telle preuve obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux, en l’occurrence le droit à la vie privée. Dans le cas contraire, il y aura d’emblée déconsidération de l’administration de la justice, et la communication sera irrecevable en preuve. La simple recherche de la vérité ne fut pas un motif suffisant en l’espèce[5].
En outre, la vaste majorité des décisions administratives et judiciaires font état d’une absence d’expectative de vie privée sur les réseaux sociaux, le critère principal étant la diffusion. En ce sens, on doit considérer les volets quantitatif et qualitatif pour déterminer le degré de l’expectative de vie privée de l’utilisatrice ou de l’utilisateur. Ainsi, une personne qui publie au vu et au su d’un nombre considérable d’abonnés ne pourra pas se prévaloir d’une attente sérieuse quant à la protection de sa vie privée.
La diffamation en milieu de travail peut donner lieu à de graves conséquences pour le membre du personnel qui en est l’auteur, telles que l’octroi de mesures disciplinaires ou l’engagement de sa responsabilité civile. Il ne peut se soustraire à son obligation de loyauté en justifiant simplement que la tenue de propos diffamatoires a eu lieu à l’extérieur de l’enceinte de l’entreprise en question. Il suffit que la nature des propos interfère avec le travail pour entraîner les conséquences.
Servant c. Ritchie[6]
En juillet 2016, la Cour du Québec a condamné un employé à payer une somme de 17 500 $ à titre de dommages moraux et exemplaires pour cause de diffamation et atteinte à la réputation à l’encontre de l’employeur qui l’avait congédié pour des raisons d’incompétence.
Les demandeurs dans cette cause étaient une femme et un homme qui exploitaient des centres de travail spécialisés avec les personnes souffrant de déficiences intellectuelles et de limitations physiques. Ils jouissaient d’ailleurs d’une excellente réputation auprès de leur clientèle.
L’employé a été embauché à titre de préposé dans l’un des établissements et congédié après 16 heures de travail, ne démontrant pas les qualités requises pour l’emploi. Ce dernier a alors publié, sur sa page Facebook personnelle ainsi que sur un groupe, des propos hautement diffamatoires à l’encontre de l’établissement qui se sont révélés, à la suite d’une enquête, complètement faux. La tenue de ces derniers n’avait pour seul objectif que de nuire à la réputation des employeurs ainsi qu’à l’image des centres de travail.
La page du groupe dénombre une dizaine de milliers d’abonnés, et la publication a fait l’objet de nombreux débats dans la région en question, provoquant des conséquences irréversibles pour les centres de travail ainsi que leurs dirigeants.
Le tribunal a conclu que l’employé, par la communication de propos diffamatoires et faux sur les réseaux sociaux, a failli à ses obligations et a engagé sa responsabilité civile.
Il s’agit de l’un des plus gros montants accordés en matière de diffamation dans un milieu de travail. Ce cas démontre l’absence de tolérance des tribunaux à cet égard.
Source : VigieRT, novembre 2016.
1 | Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles inc., [1994] R.J.Q 1811 (C.A.). |
2 | 2002 CSC 85. |
3 | 2832 C.C.Q. |
4 | 2858 C.c.Q. |
5 | Maison St-Patrice inc. et Cusson, 2016 QCTAT 482. |
6 | 2016 QCCQ 7282. |