Depuis l’été 2014, le parc de véhicules du Service de police de la Ville de Montréal (ci après le « SPVM ») est « décoré » d’autocollants aux slogans divers. Nous pouvons notamment lire « On n’a rien volé », « Contre la loi 3 » et « Libre négo ». En plus de tapisser les véhicules, ces autocollants ont été apposés sur les édifices occupés par le SPVM, tant à titre de propriétaire que de locataire. Ce moyen de pression découle de l’adoption de la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestation déterminée du secteur municipal[1] (ci-après « Loi 15 »). Ce moyen de pression s’ajoute également à la modification de l’uniforme des policiers par le port de casquettes rouges, de pantalons de camouflage, de jeans et autres. Le SPVM a toléré la modification de l’uniforme comme moyen de pression, mais il en a été autrement des autocollants.
Ces autocollants ont été apposés massivement sur les véhicules de patrouille, les façades des postes de quartier, les véhicules ton sur ton (véhicules fantômes), les motocyclettes, les postes de commandement mobiles, etc. Dans certains cas, les véhicules pouvaient être complètement recouverts d’autocollants; dans d’autres, ce sont les numéros des véhicules, les bandes réfléchissantes ou encore les inscriptions (numéro de téléphone, site Internet, etc.) qui étaient couverts.
En réaction à ce moyen de pression, le SPVM a acheminé une mise en demeure au syndicat lui demandant de retirer immédiatement tous les autocollants. Le syndicat a refusé en alléguant notamment le droit à la liberté d’expression. Devant ce refus, le SPVM a entrepris de faire retirer les autocollants par diverses entreprises. Ainsi, il a dû débourser près de 24 000 $ pour faire retirer les autocollants tant sur les véhicules que sur les édifices. Or, au fur et à mesure que les autocollants étaient retirés, d’autres étaient apposés. Ainsi, des échanges de mises en demeure ont eu lieu entre les parties, et le 26 août 2014, le SPVM a déposé un grief patronal.
Par ce grief, le SPVM a demandé une ordonnance visant à interdire au syndicat d’apposer des autocollants sur les biens appartenant à l’employeur et réclamé le remboursement de tous les dommages subis à cause de ce moyen de pression. Le 29 décembre dernier, l’arbitre a rendu sa décision[2]. Elle a accueilli le grief de l’employeur et ordonné au syndicat de cesser d’apposer des autocollants, tout en déclarant que le syndicat est responsable des dommages résultant de l’apposition des autocollants sur les biens du SPVM et des coûts de l’enlèvement de ceux-ci.
L’arbitre a d’abord dû déterminer si le moyen de pression utilisé par le syndicat constituait une « manifestation expressive » protégée par la Charte des droits et libertés de la personne[3] (ci-après la « Charte »). D’entrée de jeu, l’arbitre a rappelé que la liberté d’expression occupe un rôle primordial dans les relations de travail puisqu’elle permet aux salariés de sensibiliser la population à leur cause et de gagner son appui afin d’obtenir de meilleures conditions de travail. En ce sens, elle a retenu que le fait d’apposer des autocollants contenant des messages syndicaux constitue une manifestation de cette liberté d’expression. En effet, le syndicat a tenté par ce moyen de manifester le mécontentement de ses membres suscité par la Loi 15 et a essayé de convaincre le public de se rallier à leur cause.
Dans un second temps, l’arbitre s’est questionnée sur la légitimité de cette liberté d’expression considérant que le conflit découle de l’adoption d’une loi et qu’il n’a donc pas lieu dans le cadre d’un conflit strictement patronal/syndicat. Selon elle, cette distinction n’a pas trouvé application en l’espèce, et elle est d’avis que le régime de retraite, bien qu’il ne soit pas inclus dans la convention collective, constitue une condition de travail pour laquelle le syndicat peut manifester son mécontentement. De plus, elle a rappelé que selon les enseignements de la Cour suprême du Canada[4], un syndicat peut avoir un rôle à jouer dans les débats de société. Ainsi, elle a conclu que l’apposition d’autocollants pour dénoncer la Loi 15 constitue une manifestation de la liberté d’expression liée au droit d’association.
Cela dit, l’arbitre a précisé que le droit d’expression n’est pas illimité et qu’il comporte certaines balises. En l’espèce, le SPVM a allégué que l’apposition d’autocollants sur ses biens constituait un méfait s’assimilant à du vandalisme au sens du Code criminel[5]. La preuve a démontré que les autocollants étaient très difficiles à retirer. Certains ont d’ailleurs abîmé la peinture des véhicules de patrouille. L’employeur a également démontré que les autocollants pouvaient nuire à l’identification des véhicules, camoufler des informations d’intérêt public et même nuire à l’efficacité opérationnelle. L’arbitre a estimé que l’apposition en masse des autocollants s’apparente à la notion de méfait au sens du Code criminel ou, à tout le moins, à un acte délictuel au sens civil. Le nombre important d’autocollants apposés par le syndicat constitue un élément essentiel dans le présent dossier. En effet, l’arbitre n’a pas pu conclure à un simple désagrément ou à des inconvénients mineurs. Au contraire, elle a retenu que la balance des inconvénients entre l’atteinte à la liberté d’expression et les objectifs du SPVM penche en faveur de ce dernier. Elle a précisé que l’employeur ne s’oppose pas à la diffusion des messages syndicaux, mais il s’oppose seulement à ce que ses biens soient utilisés à titre de support pour ces messages. Ainsi, le syndicat peut continuer à apposer ses autocollants sur ses propres biens ou sur des biens appartenant à ses membres. Elle a donc conclu que la liberté d’expression du syndicat doit être limitée en raison de son caractère délictuel.
L’arbitre a aussi traité de la notion de propriété publique. En effet, elle a fait un parallèle entre la propriété du gouvernement et, en l’espèce, la propriété municipale. Elle a précisé qu’il a été déterminé que le droit de propriété du gouvernement est plus limité que celui d’un propriétaire privé, puisque les espaces gouvernementaux sont au bénéfice et à l’usage des citoyens. Or, les citoyens ont intérêt à ce que les propriétés gouvernementales soient utilisées à bon escient. Conséquemment, la manifestation de la liberté d’expression dans un espace gouvernemental doit être compatible avec le lieu où elle s’exerce. L’arbitre a retenu que ces principes s’appliquent dans un contexte municipal. Selon elle, l’apposition d’autocollants n’est pas compatible avec le lieu, et leur apposition sur les véhicules nuit à l’efficacité opérationnelle.
Plus particulièrement en lien avec le droit de propriété à l’égard des édifices du SPVM, l’arbitre a retenu l’argument de l’employeur voulant que l’effet combiné du message véhiculé par les autocollants et le fait qu’ils soient apposés sur des édifices appartenant au SPVM sont incompatibles. En effet, les autocollants vont à l’encontre du devoir d’impartialité dont doit faire preuve un corps policier. Selon l’arbitre, le fait que le SPVM soit associé à des messages voulant qu’il ne respecte pas la libre négociation ou qu’il soit un voleur nuit à l’image d’un corps policier aux yeux du public. Dans ces circonstances, il y a incompatibilité entre la manifestation expressive du syndicat et les lieux choisis pour le faire.
Conséquemment, l’arbitre a estimé que la demande d’ordonnance du SPVM était justifiée. Il en est de même de la question des dommages. Elle a retenu les principes généraux voulant que, lorsqu’on cause des dommages à autrui, le responsable ait l’obligation de réparer le préjudice[6]. Ainsi, considérant que la preuve a démontré que le syndicat a fait confectionner les autocollants, que lui et ses membres les ont apposés et qu’ils ont refusé de les retirer, le syndicat est responsable des dommages causés au SPVM.
Il s’agit d’un exemple clair de la limite à la liberté d’expression dans un contexte de conflit de travail. Les associations syndicales ne peuvent véhiculer leurs messages de n’importe quelle manière. Bien que certains décideurs aient conclu que l’apposition d’autocollants sur des biens appartenant à l’employeur (par exemple des casques) peut constituer un moyen de pression, le droit de propriété demeure une balise importante en matière de liberté d’expression. D’ailleurs, la Cour supérieure a récemment retenu des principes similaires pour les ingénieurs du gouvernement[7]. L’image des instances gouvernementales ou, comme en l’espèce, municipales semble donc avoir une grande importance pour évaluer la limite du droit à la liberté d’expression.
Source : VigieRT, février 2017.
1 | RLRQ chapitre S-2.1.1. |
2 | Ville de Montréal (SPVM)etFraternité des policiers et policières de Montréal, 2016 CanLII 91693 (T.A.), Me Nathalie Faucher, arbitre. |
3 | RLRQ chapitre C-12. |
4 | Lavignec.Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario, [1991] 2 RCS 211. |
5 | L.R.C. (1985), ch. C-46. |
6 | Article 1457Code civil du Québec. |
7 | Québec (Procureure générale)c.Commission des relations du travail, 2016 QCCS 5095, Alicia Soldevila, jcs (requête pour permission d’appeler accueillie: 2016 QCCA 1872) (voir:La liberté d’expression plus restreinte dans la fonction publique?,VigieRTnuméro 117, janvier 2017. |