Pour plusieurs employeurs, l’installation de caméras de surveillance s’est révélée une méthode efficace pour assurer la sécurité des personnes et des biens dans leurs établissements. Cependant, cette pratique suscite de nombreuses interrogations. D’une part, les employeurs se demandent si de telles caméras peuvent être installées et, d’autre part, les employés redoutent une surveillance continue.
Le présent article dresse d’abord un survol de l’état du droit concernant l’utilisation de caméras de surveillance sur les lieux de travail. Ensuite, la récente affaire Aliments Mutribar inc. et Unifor, section locale 698[1], sera analysée afin d’illustrer l’application des critères employés par les tribunaux pour évaluer la légalité de l’installation de caméras de surveillance.
D’emblée, il convient de noter que les tribunaux ont majoritairement reconnu que l’expectative de vie privée des employés sur les lieux de travail est réduite, sauf exception (salle de pause, salle de bain, casier, etc.), et que c’est plutôt sous l’angle du caractère juste et raisonnable des conditions de travail que l’utilisation des caméras de surveillance par l’employeur sera analysée. En d’autres termes, c’est le rapport entre la protection des intérêts de l’employeur et les droits des employés qui encadre le droit à la surveillance des lieux de travail par caméra.
En règle générale, la surveillance continue par caméra des employés sur les lieux de travail constitue une atteinte aux droits des salariés selon l’article 46 de la Charte québécoise des droits de la personne (ci-après la « Charte ») qui mentionne ce qui suit :
« 46. Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. »
La surveillance vidéo pourra respecter les exigences de la Charte lorsqu’elle sera effectuée pour un motif valable et par des moyens raisonnables, et ce, afin de brimer le moins possible les droits des employés. Plus particulièrement, la surveillance vidéo sera permise si elle répond aux critères suivants :
- elle repose sur des motifs sérieux et réels;
- elle permet d’élucider un problème que les autres moyens d’enquête n’ont pu résoudre;
- elle est la moins intrusive possible.
En conséquence, un employeur qui souhaite utiliser un tel dispositif de surveillance devra être en mesure de démontrer que l’installation des caméras porte une atteinte minimale au droit des employés à des conditions de travail raisonnables. À titre d’illustration, une caméra braquée sur un poste de travail de façon permanente a été jugée contraire aux droits d’un employé.
La détermination de l’existence d’un motif valable résulte d’un contexte spécifique et doit s’appuyer sur des faits objectifs dont la démonstration pourra être faite, le cas échéant. Un tel motif est défini comme suit dans l’affaire Hydro-Québec[2] :
« À mon avis, un employeur a un motif réel et sérieux pour entreprendre une surveillance au moyen d’une caméra dissimulée s’il a une crainte légitime, fondée sur des faits objectifs, qu’un salarié porte atteinte à une de ses obligations fondamentales découlant de son contrat de travail. Les faits à l’origine de la surveillance doivent donc mettre en cause les obligations de prudence, de diligence et de loyauté de l’employé. »
La jurisprudence prévoit que la surveillance pourra être permise dans des circonstances particulières. À titre d’exemple, les tribunaux ont reconnu que des problèmes récurrents de vol, de fraude et de vandalisme sont des motifs suffisants justifiant l’installation de caméras par l’employeur.
À l’opposé, la simple surveillance d’une machine de grande valeur, le désir de protéger les employés sans démontrer un risque à leur intégrité et l’intention de dissuader des employés de poser des gestes reprochables n’ont pas été reconnus comme motifs valables.
L’affaire Aliments Multibar inc. et Unifor, section locale 698
Dans cette affaire, l’employeur fait face à de nombreux incidents de vandalisme survenus dans l’atelier des électromécaniciens. Ces derniers y font notamment de l’usinage, de la maintenance et de la soudure. Toutefois, ces salariés passent peu de temps dans l’atelier, puisqu’ils sont le plus souvent sur les lignes de production pour résoudre les problèmes ou travailler sur la machinerie. Bien que ce personnel soit sous la surveillance de trois superviseurs, ces derniers ne travaillent pas la fin de semaine.
Parmi les actes de vandalisme, des chaises, un téléphone cellulaire, une porte de réfrigérateur et de la vaisselle ont été endommagés. Des photos démontrent également la présence de trous dans les murs. Finalement, la serrure de la porte des superviseurs a été forcée au cours d’une fin de semaine.
À la suite à ces événements, l’employeur a mené une enquête afin d’identifier les responsables, mais sans succès.
Il a ultimement installé une caméra de surveillance afin d’enrayer cette problématique. Il s’agit d’une caméra fixe qui montre une vue générale de l’atelier. L’appareil ne permet pas de faire de gros plans ou de cibler un employé en particulier. Les images captées par cette caméra sont conservées quelques jours seulement et demeurent en tout temps sous la responsabilité du directeur de l’ingénierie et du responsable des bâtisses.
Le syndicat dépose un grief dans lequel il demande de retirer la caméra de surveillance en invoquant une atteinte aux droits et libertés des employés.
La décision
L’arbitre procède à une analyse en trois temps afin de déterminer si la surveillance sera permise. Ce faisant, l’arbitre indique premièrement que l’employeur a établi un motif sérieux, la preuve démontrant amplement les dégâts causés par les actes de vandalisme. En effet, la jurisprudence reconnaît que la préservation des biens de l’employeur constitue un motif réel et sérieux justifiant l’installation d’un système de surveillance.
Deuxièmement, l’arbitre s’intéresse aux autres possibilités à la disposition de l’employeur afin de régler le problème. Il rappelle que l’employeur a mené sans succès des enquêtes afin de trouver les responsables des actes de vandalisme. L’installation d’un système de surveillance était devenue la solution la plus efficace pour élucider le problème. De surcroît, l’arbitre ajoute que les caméras ont été installées à la connaissance de tous les employés.
Troisièmement, le décideur souligne que l’intrusion est minimale puisque la caméra ne peut cibler de façon individuelle chacun des salariés ou faire un gros plan sur une personne. En outre, il mentionne que le visionnement est limité à quelques personnes et les données ne sont conservées que quelques jours.
Il termine son analyse en concluant que les employés ne sont pas constamment surveillés puisque la majeure partie de leur travail est effectuée à l’extérieur de l’atelier. Il conclut d’ailleurs de la façon suivante : « Les employés ne sont donc pas constamment surveillés et, lorsqu’ils le sont, cette surveillance est minimale et ne porte pas atteinte à leur dignité et ne constitue pas une condition de travail déraisonnable[3]. »
Le grief est donc rejeté, et le système de surveillance installé demeure en place.
La discussion
Dans cette affaire, les actes de vandalisme avaient été répétés et revêtaient une certaine importance. Ainsi, bien que la préservation des biens de l’employeur soit un motif qui puisse justifier l’installation d’un système de surveillance, il convient de souligner qu’un geste isolé de vandalisme ne donnerait pas nécessairement à l’employeur un motif sérieux justifiant une surveillance par caméra.
Par ailleurs, l’affaire Aliments Multibar inc. accorde une importance particulière à l’enquête interne qui a été menée avant l’installation d’une caméra. L’arbitre traite de ce critère comme d’une condition essentielle permettant l’installation de caméras. Les tribunaux s’entendent pour conclure que l’employeur doit avoir tenté de résoudre le problème par d’autres moyens d’enquête qui se sont avérés insuffisants.
Somme toute, la surveillance par caméra des lieux de travail demeure une mesure d’exception qui doit être évaluée au cas par cas. L’employeur qui souhaite s’en prévaloir devra être en mesure de démontrer qu’il a un motif sérieux de le faire et qu’il effectue la surveillance de façon raisonnable. Ainsi, les tribunaux soupèseront plusieurs éléments dont, notamment, le lieu de la caméra et son orientation, la durée du visionnement, la personne qui la visionne et les fins de l’utilisation des bandes vidéo. En définitive, il s’agit de considérer, d’une part, les intérêts de l’employeur et, d’autre part, les droits des employés.
Source : VigieRT, juin 2016.
1 | D.T.E. 2016T-292 |
2 | Hydro-Québec et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1500, D.T.E. 2015T-147 |
3 | Paragr. [74] |