Vous lisez : Démission : travailler ou être indemnisé pendant le préavis

Le démissionnaire a-t-il le droit de travailler ou d’être indemnisé pendant la période de préavis[1]? Dans un arrêt très récent[2], la Cour d’appel du Québec s’inscrit à contre-courant de la jurisprudence jusqu’ici largement majoritaire[3] au sujet du droit du salarié démissionnaire d’être indemnisé pour la période de préavis qu’il offre à son employeur mais que ce dernier refuse.

Dans cette affaire, le salarié attiré par une offre d’emploi alléchante d’un concurrent donne sa démission à son employeur et l’assortit d’un préavis de trois semaines pendant lesquelles il propose d’effectuer son travail afin de permettre une transition plus facile à son successeur.

Le salarié donne sa démission assortie d’un préavis un vendredi. Le lundi suivant, l’employeur, selon le juge de la Cour du Québec en première instance, « décide de mettre fin au contrat de travail » dès le lendemain.

La Commission des normes du travail réclame pour le salarié l’indemnité tenant lieu de préavis pour la période de préavis que le salarié avait proposée et que l’employeur a déclinée. Il réclame au surplus l’indemnité de vacances sur cette première indemnité.

Le juge de première instance donne raison à la Commission des normes du travail et confirme la jurisprudence dominante à l’effet que cette décision de l’employeur est l’équivalent de mettre fin au contrat de travail et donne par conséquent au salarié le droit à l’indemnité tenant lieu de préavis prévu par l’article 83 de la Loi sur les normes du travail.

L’employeur obtient l’autorisation d’en appeler de ce jugement à la Cour d’appel. Un des juges est dissident, mais la Cour accueille tout de même l’appel et s’inscrit à contre-courant de cette jurisprudence majoritaire.<>

Selon une des juges, l’article 2091 C.c.Q. donne une liberté à chaque partie à un contrat de travail de le rompre unilatéralement moyennant un délai de congé raisonnable. Selon le juge, cet article a pour but de protéger la partie qui reçoit le préavis.

S’inscrivant à l’encontre d’un jugement[4] souvent cité par la jurisprudence de la Cour du Québec, la majorité de la Cour d’appel est d’avis que :

« [58] En donnant le délai de congé, la partie qui résilie unilatéralement le contrat exécute simplement son obligation, et ce, au profit de celui qui a, seul, le droit d’exiger ce préavis et de le recevoir. L’avantage accessoire qu’elle peut en retirer ne saurait se transformer en droit dont son cocontractant deviendrait le débiteur. Ainsi, le salarié ne peut imposer à l’employeur de respecter intégralement le préavis que le premier, unilatéralement, donne au second; pareillement, lorsque c’est l’employeur qui résilie le contrat et donne un délai de congé  travaillé » au salarié, celui-ci ne peut pas être contraint, à mon avis, de le respecter jusqu’à la toute fin et, s’il décide de partir plus tôt, il ne peut certainement pas être tenu de donner à son tour un préavis de ce départ anticipé ou d’indemniser l’employeur qui comptait sur ses services jusqu’à la fin du délai de congé.

(…)

[60] En somme, considérant l’objet, le but et la nature de l’obligation de préavis créée par l’article 2091 C.c.Q., on serait a priori porté à conclure que la partie qui reçoit le délai de congé peut y renoncer si, pour une raison ou un autre, elle estime qu’il est dans son intérêt de le faire et qu’elle n’a pas besoin de la protection qui lui est ainsi offerte. Ce peut être le cas du salarié remercié de ses services par l’employeur et qui, avant l’échéance du préavis, trouve ailleurs un emploi équivalent. Ce peut être le cas de l’employeur qui ne souhaite pas remplacer le salarié démissionnaire ou, comme en l’espèce, qui estime inopportun de continuer à utiliser les services d’un salarié qui a déjà été embauché par un concurrent. »

La Cour rappelle que cette ouverture à la possibilité que les parties à un contrat de travail renoncent à un délai de congé pourrait être « porteuse d’abus potentiels » suivant, par exemple, des pressions exercées par un employeur. Elle souligne à cet égard la limite posée par l’article 2092 C.c.Q. qui rend illégale pour le salarié une renonciation à une indemnité tenant lieu de délai de congé. La Cour d’appel en tire alors un argument additionnel selon lequel si ce n’est pas interdit de renoncer, la renonciation serait possible. Or, l’employeur n’est pas visé par une telle interdiction et peut donc renoncer au préavis :

« [62] Paradoxalement, toutefois, le fait que le législateur, à l’article 2092 C.c.Q., empêche ainsi le salarié de renoncer au délai de congé raisonnable ou à l’indemnité qui en tient lieu confirme qu’à défaut de cet empêchement, une telle renonciation est possible. Et c’est bien parce qu’elle l’est qu’on a voulu l’interdire au salarié. S’il en était autrement, en effet, il n’aurait pas été nécessaire d’édicter cet interdit.

[63] Je note par ailleurs que, selon la jurisprudence, l’article 2092 C.c.Q. n’énonce pas une prohibition absolue : le salarié peut en effet renoncer au préavis que doit lui donner l’employeur qui résilie le contrat, et ce, à condition que cette renonciation survienne après la rupture du contrat et selon certaines exigences. Cela étant, je ne vois pas pourquoi il serait interdit à l’employeur de renoncer de son côté au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, tout comme il me semblerait incongru de l’empêcher d’y renoncer par avance (par exemple par une stipulation contractuelle convenue au moment de la conclusion du contrat, qui permettrait au salarié de démissionner sans préavis).

[64] En somme, si, par souci de le protéger contre les pressions indues d’un employeur malintentionné ou radin, le législateur interdit au salarié de renoncer au préavis que doit lui donner l’employeur qui résilie le contrat (interdit qui n’est pas absolu, comme on vient de le voir), il laisse à l’employeur la pleine liberté de renoncer (ou non) au préavis que lui donne le salarié démissionnaire, jugeant inutile dans son cas la protection d’ordre public qui sous-tend l’article 2092 C.c.Q. L’employeur peut donc, que ce soit d’avance ou au moment de la démission du salarié, renoncer en tout ou en partie au délai de congé prévu par l’article 2091 C.c.Q. »

La majorité, pour la Cour, est au surplus d’avis que la renonciation par l’employeur au préavis offert par le salarié n’est pas une situation où l’employeur met fin au contrat de travail. La Cour, faisant siens les propos du juge dans l’affaire ChemAction c. Étienne Clairmond[5], est plutôt d’avis que la décision de l’employé de remettre sa démission a en quelque sorte cristallisé la situation juridique au moment de la démission. Par conséquent, la renonciation par l’employeur au bénéfice du préavis donné par l’employé ne modifie aucunement cette situation pour en faire une fin d’emploi initiée par l’employeur.

La Cour écarte au surplus la distinction avancée par certains auteurs entre l’employé qui annonce son intention de démissionner plus tard et celui qui l’annonce avec effet immédiat, mais l’assortit d’une offre à l’employeur de travailler pendant la durée du préavis :

« [73] (…) la distinction que l’on tente d’établir ici entre le salarié qui démissionne en donnant un préavis bien déterminé et le salarié qui démissionne en offrant simplement de rester quelque temps ne peut convaincre, je le dis avec déférence. Les salariés ne s’expriment pas tous avec le même aplomb ou la même clarté, certains sont plus affirmatifs que d’autres ou, à l’inverse, plus embarrassés et, à mon avis, l’on ne peut pas différencier celui ou celle qui déclare démissionner dans trois semaines et celui ou celle qui déclare démissionner tout en offrant de rester trois semaines pour accommoder l’employeur (ce qui, soit dit en passant, est précisément le but du délai de congé). En tout respect pour l’opinion contraire, je ne peux voir de distinction juridique dans ce qui relève d’une sémantique de circonstance. Dans les deux cas, plutôt, le salarié se décharge de l’obligation que lui impose l’article 2091 C.c.Q. en prévenant l’employeur de son départ et en lui laissant un certain temps pour s’en remettre.

[74] Et dans un cas aussi bien que dans l’autre, j’estime que l’employeur peut renoncer à ce préavis (c’est-à-dire au droit qu’il a de l’exiger), sans pour autant que cette renonciation entraîne l’application de l’article 82 de la loi. »

La Cour conclut son analyse sur la question en litige ainsi :

« [84] Bref, je suis d’avis 1° que l’employeur peut librement (que ce soit d’avance, au moment de l’annonce de la rupture ou même par la suite) renoncer au préavis que le salarié démissionnaire est tenu de lui donner en vertu de l’article 2091 C.c.Q. et que 2° ce faisant, il ne se trouve pas à mettre fin au contrat de travail au sens de l’article 82 de la Loi, qui n’a pas d’application en pareil cas. »

Finalement, la Cour suggère, étant donné ses conclusions, que l’intervention du législateur serait souhaitable pour assurer la protection du salarié démissionnaire et expose à titre d’exemple la situation où un salarié donnerait un long préavis de retraite ou dans le but de s’occuper d’une personne malade.

Selon la Cour, dans un tel cas, l’employeur serait mieux avisé de réfléchir à deux fois avant de sauter sur une occasion de renoncer à un préavis, car il pourrait alors abuser de son droit à la renonciation et tout de même engager sa responsabilité.

Cet arrêt vient changer considérablement l’approche généralement recommandée aux employeurs. Elle est particulièrement utile pour les employeurs qui craignent que leurs employés qui démissionnent profitent de la durée du préavis pour les concurrencer indûment ou, plus généralement, qu’ils nuisent à leurs intérêts. On peut penser aussi aux situations où la poursuite du travail risque d’empoisonner l’atmosphère de travail ou de démoraliser les employés en place.

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Source : VigieRT, avril 2013.


1 De manière corollaire, l’employeur peut-il renoncer au préavis d’un employé qui démissionne? La Cour d’appel, au paragraphe 47 propose la question suivante : « Faut-il rappeler quelle est la finalité propre de cette obligation qui est imposée au salarié démissionnaire de donner un délai de congé suffisant à l’employeur (art. 2091 C.c.Q.) : « il s’agit d’atténuer le préjudice subi par l’employeur du fait de la démission, c’est-à-dire lui permettre de se réorganisation voire de bénéficier d’une certaine période pour trouver un remplaçant et, au besoin, pour le former. »
2 Asphalte Desjardins c. Commission des normes du travail, 2013 QCCA 484.
3 Paragraphe 48.
4 Commission des normes du travail c. Hewitt Équipment ltée, (C.Q.), Montréal, 500-02-038921-834, 14 décembre 1984, juge Paul Robitaille.
5 J.E. 2008-1789, 2008 QCCQ 7353
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