Louise vient d'avoir trente-cinq ans, a trois jeunes enfants et a vécu un divorce difficile il y a six ans. Elle a un emploi bien rémunéré qu'elle a accepté au moment de son divorce, mais cet emploi ne la comble pas. Aujourd'hui, Louise a besoin de changement et elle remet sa vie en question. Beaucoup d’options s’ouvrent à elle. Elle songe à accepter l'offre d'un ami de déménager en France ou encore à se consacrer entièrement à son passe-temps en ouvrant une boutique de vitrail…
Comme elle a une bonne relation avec son employeur, elle lui en a parlé de même qu'à plusieurs collègues de travail. Elle semble bien décidée même si aucun projet n'est encore arrêté. Avec le soutien des gestionnaires des ressources humaines de l'entreprise, Louise et son superviseur examinent les possibilités : une indemnité de fin d'emploi n'est pas possible, mais un soutien à la transition de carrière par le programme d'aide aux employés le serait.
Robert, son directeur général, veut l'aider, mais il veut aussi pouvoir organiser son remplacement. À plusieurs reprises, il insiste donc pour que Louise l’informe dans une lettre de sa date exacte de départ.
Louise ne lui remet pas cette lettre : rien n'avance comme elle le souhaite. Elle n'arrive pas à fixer son choix sur une date de départ précise. Tout ce dont elle est certaine, c'est qu'elle a besoin de changement. Elle est désorientée et se questionne de plus en plus.
En parallèle, sa situation physique et psychologique se détériore au point où elle doit consulter son médecin. Il diagnostique une dépression et prescrit un arrêt de travail de six semaines. Informé de la situation, son employeur lui demande à nouveau sa lettre de démission, mais Louise refuse de la lui remettre. Elle lui dit qu’elle commencera par se soigner et qu’elle verra à son retour au travail. Elle l’informe qu’elle a toujours l'intention de changer de carrière, mais qu’elle ne peut dire quand tout ça prendra forme.
Voulant aller de l'avant et considérant son absence de plusieurs semaines, l'employeur de Louise prend l'initiative de lui faire parvenir une lettre. Il y souligne la décision claire et soutenue de Louise de quitter un jour son emploi. Dans les circonstances, il établit une date de démission qu'il fixe unilatéralement deux mois plus tard.
Lorsque Louise reçoit cette lettre, elle plonge encore plus loin dans la dépression. Sur les conseils de son médecin, elle se rend à la Commission des normes du travail pour déposer une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante.
Quand Robert est informé de la plainte de Louise, il est consterné. La décision de Louise de quitter son emploi était pourtant claire et il devait prendre une décision pour le bien de l'entreprise. Il se dit qu’il ne pouvait être tenu en otage de la sorte pendant des mois et qu’il devait prendre une décision.
À qui appartient la démission?
Les demandes et les inquiétudes de Robert sont légitimes. Mais en décidant pour Louise de la date de la fin de son emploi, il s'est approprié une décision qui n'appartient qu'à elle. Alors que le droit de gérance appartient à l'employeur, la démission appartient au salarié et à lui seul. En agissant ainsi, Robert a procédé au congédiement de Louise.
Devant la Commission des normes du travail, Louise invoquera qu'elle a été congédiée et l'employeur soutiendra de son côté qu'elle a démissionné de son poste. La cour devra déterminer si on est en présence d'un congédiement ou d'une démission de la salariée. Si la cour concluait à une démission, la plainte de Louise serait rejetée. En effet, une plainte pour congédiement au sens de la Loi sur les normes du travail n'est possible qu'en cas de congédiement. Un salarié qui choisit volontairement de quitter son emploi ne peut donc se prévaloir de ce recours.
Reconnaître une démission
À première vue, la distinction entre une démission et un congédiement semble évidente.
À quoi reconnaît-on une démission? Dès 1948, la doctrine a établi que deux principaux critères permettent de sonder a posteriori le cœur et l'âme du salarié au moment de sa fin d'emploi, soit un élément subjectif et un élément objectif. Ainsi, la cour s'interrogera dans un premier temps sur l'intention réelle et personnelle du salarié de rompre le lien d'emploi : c'est l'élément subjectif. Quant à l'élément objectif de la fin d'emploi, ce sont les gestes concrets par lesquels le salarié exprime sa volonté de mettre un terme à son emploi.
Dans le cas de Louise, cette intention semble réelle puisqu'elle a pensé sérieusement à quitter son emploi. Par contre, aucun geste n’a concrétisé cette intention, elle n’a fixé aucune date de départ et n’a jamais remis sa lettre de démission.
Or, ces deux éléments (objectif et subjectif) doivent être présents pour que la cour puisse conclure à la démission de la salariée. En cas de doute sur l'un ou l'autre de ces critères, le tribunal refusera généralement de conclure à la démission. La situation doit donc être sans équivoque : j'ai l'intention ferme de mettre un terme à mon emploi ET je l'exprime clairement. En d'autres mots, « la démission est le fait pour un employé de quitter son emploi dans l'intention de quitter son emploi » (Tardif c. 27359975 Québec inc., D.T.E. 96T-419 C.T.).
Mais on le sait, ce qui est clair pour un individu ne l'est pas nécessairement pour tous! Avec les années, les tribunaux ont donc élaboré autour de ces deux principaux pôles divers principes permettant au juge de guider sa décision. Ainsi, la démission appartient exclusivement au salarié et elle doit être volontaire, certaine, libre et définitive, la conduite des parties avant et après la fin d'emploi est examinée, un écrit ou une déclaration du salarié ne sera pas automatiquement considéré comme le reflet de la véritable intention du salarié, l'intention de démissionner doit être examinée à la lumière de la conduite du salarié et finalement, en cas de doute, la cour refusera généralement de conclure à une démission (Fillion c. Les Services Danymark, 2005 QC CRT 0007).
En appliquant ces éléments au cas de Louise, la cour tiendrait certainement compte de la situation de dépression de Louise, du fait qu'elle a réaffirmé son intention de revenir au travail après son absence pour maladie et du fait qu'elle a rapidement déposé une plainte à la Commission des normes du travail.
Et si l’employé change d'idée?
Examinons une autre situation : Paul pense sérieusement à quitter son poste de technicien de laboratoire. Il fait des recherches dans Internet et dans les journaux et il en parle à des amis. Finalement, il ne trouve rien qui lui convient vraiment et il décide de remettre cette décision à plus tard. Son employeur est toutefois informé par des collègues de ses recherches d'emploi et comprend qu'il démissionne.
Tant que Paul n'a pas clairement informé son employeur de sa décision de quitter son emploi, il peut changer d'idée et mettre fin à son projet de poursuivre ailleurs sa carrière. L'employeur ne peut en déduire qu'il a démissionné du seul fait de ses recherches d'emploi qui ne se sont pas concrétisées.
Par ailleurs, si Paul avait clairement informé son employeur de sa fin d'emploi, par lettre ou verbalement, et qu'il avait changé d'idée par la suite en disant regretter sa décision, l'employeur pourrait alors invoquer avec succès qu'il s'agit d'une véritable démission.
Une décision sous influence
Si Paul avait remis sa démission écrite, mais avait réussi à démontrer à la cour qu'il était désorienté, qu'il vivait une période de dépression, qu'il était sous l'effet de l'alcool ou de la drogue au moment de sa démission, sa volonté serait alors considérée comme viciée et sa démission caduque. Il en serait de même d'une décision de quitter son emploi donnée sous le coup de la colère ou lors d'une altercation avec un collègue ou un supérieur.
Congédiement déguisé
Il y a des situations dans lesquelles le salarié semble avoir volontairement quitté son emploi. L'étude des faits peut par contre démontrer que l'employeur a été l'instigateur de cette décision. Ainsi, le salarié qui a reçu des menaces ou qui a signé une lettre de démission sous la contrainte pourra en faire la preuve et la cour conclura à un congédiement déguisé. Son consentement n'a pas été remis de façon libre et volontaire, mais plutôt sous la menace.
Dans le même esprit, les gestes et décisions de l'employeur pourront placer le salarié dans une situation telle qu'il ne verra d'autre alternative que de quitter son emploi. Encore une fois, nous ne pourrons parler de décision libre et volontaire du salarié, mais la cour conclurait à un congédiement déguisé. Il en serait ainsi si un employeur modifiait substantiellement les tâches assignées à un salarié, par exemple si les heures travaillées passaient de 40 à 20 heures par semaine diminuant d'autant son salaire (Provencher c. Vigie informatique 2000 inc., D.T.E. 97T-237 (C.T.). Il en serait aussi de même si on attribuait à un gérant d'épicerie les tâches de commis, même en conservant le même salaire. Il en va de même du salarié qui estime être victime de harcèlement de la part de son employeur ou qui pense que les décisions de celui-ci mettent en jeu sa santé et sa sécurité (Dubois et Cercueils Concept inc. [C.R.T.] AZ-50425910 2007-03-26). Dans tous ces cas, le salarié devra démontrer à la cour le « caractère pénible des conditions de travail au point où il n'a eu d'autre choix que de devoir démissionner ». S'il réussit, la cour pourrait conclure qu'il a été victime d'un congédiement déguisé (Rousseau c. Sainte-Rita (Municipalité de) [C.R.T.] AZ-50433356 2007-05-15).
La démission silencieuse
Marie s'absente de son travail pour maladie avec un billet médical à l'appui. Il y est spécifié qu’elle fera un retour au travail deux semaines plus tard. À la date prévue de son retour, Marie ne se présente pas au travail et ne contacte pas son employeur. Elle ne répond pas au téléphone et ne donne pas de réponse aux messages laissés à son intention.
Dans un pareil cas, il serait prudent de ne pas conclure à une démission implicite trop rapidement. Son absence ne signifie pas nécessairement qu'elle n'a pas l'intention de revenir au travail. Il est possible qu'elle soit hospitalisée à la suite d’un accident grave ou qu'elle ait simplement omis de faire parvenir la copie d'un second billet médical établissant la prolongation de son absence pour maladie (Gauthier et Aurèle Côté inc. [C.R.T.] AZ-50498432 2008-06-18).
L'employeur avisé devra donc prendre les mesures nécessaires pour s'assurer qu'il interprète correctement son absence et son silence. Il pourrait par exemple lui transmettre une lettre qui lui serait remise personnellement, lui demandant d'expliquer son absence et de préciser une nouvelle date de retour et qu'à défaut de son retour en poste ou d'une justification suffisante, il n'aura d'autre choix que de conclure qu'elle a démissionné.
Une décision volontaire, libre, certaine et définitive : s'en assurer pour éviter le pire
En résumé, lorsque l'employeur ou le représentant des ressources humaines demandent la remise d'un document écrit et signé du salarié qui annonce sa fin d'emploi, ils ne devraient pas s'y limiter, mais auraient avantage à s'assurer de l'intention réelle du salarié : une décision volontaire, libre, certaine et définitive. Et en cas de doute, il est important de se souvenir que la démission ne se présume pas. Il est toujours préférable de prendre le temps de vérifier et d'éviter ainsi bien des malentendus… et des poursuites! Enfin, une communication claire et efficace demeure probablement le meilleur gage de succès en pareille situation.
Jocelyne Cotnoir, avocate du cabinet POIRIER, RIVEST, FRADETTE œuvrant pour la Direction des affaires juridiques de la Commission des normes du travail
Source : VigieRT, numéro 32, novembre 2008.