Vous lisez : Congédier après un congédiement, une option à considérer

La situation se produit fréquemment : un employé est congédié et, suivant son départ, l’employeur reprend ses outils de travail tels le téléphone intelligent ou l’ordinateur. Aussi, les dossiers sur lesquels l’employé travaillait sont analysés, repris ou transférés à d’autres employés qui doivent s’enquérir du travail qu’accomplissait l’employé congédié pour en assurer la continuité.

Cet exercice réserve parfois des surprises à l’employeur. En effet, il n’est pas rare qu’il mène à la découverte de renseignements ou de gestes commis par l’ex-employé constituant des fautes qui auraient pu justifier, si l’employé était demeuré au travail, une sanction disciplinaire, voire un congédiement.

Qu’advient-il lorsque l’employé en question conteste son congédiement initial, par exemple en déposant une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante (art. 124 de la Loi sur les normes du travail) ou un grief et que l’employeur découvre, après le premier congédiement, d’autres faits qui, en soi, justifieraient un congédiement pour un autre motif? L’employeur doit-il alors procéder à un second congédiement et, le cas échéant, de quelle façon doit-il s’y prendre?

Notons que la Cour d’appel a déjà confirmé le droit de l’employeur d’imposer un congédiement à un employé déjà congédié pour des faits postérieurs au premier congédiement ainsi que l’obligation, pour l’arbitre de grief, de rendre une décision sur ce nouveau congédiement[1]. Également, la Cour d’appel a déjà reconnu la possibilité pour un employeur de s’appuyer sur des faits antérieurs découverts postérieurement à un congédiement afin d’imposer un second congédiement[2].

Nous proposons ci-dessous quelques éléments que l’employeur devrait prendre en compte dans le contexte exposé précédemment, c’est-à-dire en cas de découverte, à la suite d’un congédiement, de faits antérieurs à la fin d’emploi qui justifient un congédiement.

  1. Les faits découverts justifieraient-ils vraiment un congédiement si l’employé n’avait pas déjà été congédié?
    • S’assurer que personne n’avait connaissance de ces faits avant le congédiement;
    • S’assurer que les faits ou le comportement n’ont pas été tolérés par l’employeur;
    • Se méfier du sentiment de vengeance/de l’envie de riposter à la suite d’une plainte contestant le premier congédiement ‒ l’objectivité s’impose;
    • Vérifier si les mêmes faits ont déjà occasionné un congédiement ou des mesures moins sévères.
  2. L’employeur est-il en mesure d’obtenir tous les renseignements nécessaires à l’imposition de la mesure malgré l’absence de l’employé?
    • L’employé n’étant plus sur les lieux de travail et n’ayant plus de lien de subordination avec l’employeur, peut-on obtenir toute l’information nécessaire à l’imposition de la mesure disciplinaire, et ce, même sans sa version des faits?
  3. Existe-t-il un lien entre les faits liés au premier congédiement et ceux liés au deuxième?
    • Si les faits découverts sont en lien direct avec les motifs du premier congédiement, ils pourront vraisemblablement être utilisés comme faits postérieurs à l’appui du premier congédiement[3];
    • Si les faits sont complètement distincts, il est opportun d’analyser la possibilité de congédier une deuxième fois.
  4. Quel impact ce deuxième congédiement est-il susceptible d’avoir sur le premier?
    • L’employeur devrait se méfier de l’impression d’acharnement envers le salarié que son geste pourrait susciter. Le tribunal pourrait être sensible à cet aspect. Plus le premier congédiement est solide, bien fait et bien documenté, moins le deuxième congédiement devrait être une option envisagée par l’employeur.
  5. Quels sont les avantages juridiques liés à un deuxième congédiement?
    • En cas de plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail (ci-après « LNT ») ou de grief visant à contester le premier congédiement, le risque de l’employeur en matière d’indemnité à verser afin de compenser la perte salariale subie par l’employé se trouve considérablement réduit s’il a imposé un second congédiement valide peu de temps après ce premier congédiement. En effet, si un tel recours devait être accueilli dans de telles circonstances, la période de perte salariale indemnisable pourrait être réduite de façon importante. Un raisonnement similaire pourrait s’appliquer en cas de réclamation par le salarié d’un délai-congé suffisant en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec, si un motif sérieux de congédiement lui est opposé;
    • Ce deuxième congédiement pourrait permettre à l’employeur, le cas échéant, de tenir compte de faits qu’il n’aurait pas pu mettre en preuve dans le cadre du premier congédiement en raison de l’absence de lien entre ces faits antérieurs nouvellement découverts et les motifs ayant mené au premier congédiement, dans la mesure où ces faits justifient un congédiement.

Si ces dernières considérations conduisent à la décision de congédier à nouveau l’employé déjà congédié, l’employeur devra alors choisir la façon de procéder. Nous recommandons évidemment que ce congédiement soit signifié au moyen d’un écrit officiel.

La deuxième lettre de congédiement aura avantage à être explicite sur la nature de la relation entre les parties à ce stade. Il est ainsi préférable, surtout dans des contextes où la fin d’emploi initiale peut être ambiguë, de dénoncer dans cette lettre l’existence du premier congédiement. Ceci étant dit, lorsque le salarié conteste son congédiement par grief (ou au moyen d’une plainte en vertu de l’article 124 LNT), suivant la jurisprudence, le dépôt d’un tel recours demandant la réintégration d’un salarié et contestant les motifs du congédiement suspend le lien d’emploi, qui n’est alors pas rompu de façon définitive[4]. Autrement dit, « [l]e délai de recours à la procédure de grief, comme le recours à la procédure de plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail, a pour effet de maintenir le lien d’emploi, bien qu’il soit sous condition suspensive, soit jusqu’à l’extinction du délai de recours du grief, soit (…) jusqu’à décision finale »[5]. Ainsi, l’employeur pourra être fondé à agir, dans un tel contexte, en imposant une mesure disciplinaire à son employé avec lequel le lien d’emploi n’est pas rompu de façon définitive.

La lettre devrait par ailleurs énoncer les circonstances de la découverte des faits liés au deuxième congédiement ou à tout le moins préciser que ces faits n’étaient pas connus par l’employeur au moment du premier congédiement. Enfin, selon le contexte, la lettre fera mention des motifs du congédiement de manière plus ou moins explicite. Évidemment, en milieu syndiqué, cette deuxième mesure disciplinaire devra respecter les dispositions pertinentes de la convention collective.

En définitive, la possibilité de congédier un employé après un congédiement initial a été confirmée par nos tribunaux, bien que la jurisprudence ne comporte que peu de décisions à ce sujet. Cette avenue doit à notre avis être envisagée, en tenant compte des différents facteurs mentionnés précédemment, dans un contexte de protection des intérêts de l’employeur et de déploiement d’une stratégie visant à limiter les risques en cas de litige. Chaque cas étant un cas d’espèce, le double congédiement doit faire l’objet d’une attention particulière, principalement en vue d’éviter que la qualité de la décision de l’employeur dans le cadre du premier congédiement soit remise en question, à tout le moins au point de vue de l’impression que pourrait avoir un tribunal à l’égard de ce premier congédiement dans un tel contexte.

Source : VigieRT, mai 2016.


1 Pavillon du Parc inc. c. Ferland, D.T.E. 2001T-1099 (C.A.). Dans cette affaire, l’employeur avait imposé un second et un troisième congédiements au salarié en raison de ses propos tenus en conférence de presse et devant la Régie régionale de l’Outaouais, et ce, après avoir été congédié une première fois. Voir également l’affaire Union des employées et employés de service, section locale 298, FTQ et CHSLD Vigi Dollard-des-Ormeaux, D.T.E. 2016T-94 (T.A.).
2 Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay-Lac-St-Jean (CRDI) c. Fortier, 2014 QCCA 1581. Dans cette affaire, l’employeur a découvert, à la suite de son enquête ayant mené à un premier congédiement, de nouveaux éléments ayant conduit à une enquête additionnelle. À la lumière de ces nouveaux éléments, l’employeur a congédié une seconde fois le salarié, concluant que ces faits découverts ultérieurement rompaient, à eux seuls, le lien de confiance nécessaire à la relation d’emploi. De l’avis de la Cour d’appel, rien n’empêchait l’employeur d’invoquer dans sa lettre faisant état du second congédiement des événements survenus un certain temps avant le premier congédiement, mais ayant été découverts par l’employeur beaucoup plus tard et de façon subséquente au premier congédiement.
3 À cet égard, la décision de principe à consulter est l’arrêt Cie minière Québec Cartier c. United Steelworkers of America, Local 6869, [1995] 2 R.C.S. 1095.
4 Pavillon du Parc inc. c. Ferland, préc., note 1, par. 21; Union des employées et employés de service, section locale 298, FTQ et CHSLD Vigi Dollard-des-Ormeaux, préc., note 1, par. 64.
5 Union des employées et employés de service, section locale 298, FTQ et CHSLD Vigi Dollard-des-Ormeaux, préc., note 1, par. 64.
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